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Oncles et tantes d'Amérique : d'héritages légendaires et fabuleux en escroqueries notoires. Fortunes mythiques

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Anecdotes insolites
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« Oncles et tantes d’Amérique » :
d’héritages légendaires et fabuleux
en escroqueries notoires
(D’après « Le Petit Journal illustré », paru en 1937)
Publié / Mis à jour le mardi 26 mai 2015, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
Les héritages fabuleux d’ « oncles et tantes d’Amérique » suscitèrent bien des convoitises et donnèrent lieu, non seulement aux légendes les plus improbables bientôt ruinées par de méticuleuses recherches, mais encore à des escroqueries notoires, telles l’histoire d’un certain Bonnet prétendument parti se faire nommer roi de Madagascar, ou celle de la « Grande Thérèse » dont s’amusa tout Paris à la fin du XIXe siècle

Une histoire d’héritage fantastique enfièvre depuis des mois maintes familles d’Alsace et d’Allemagne, rapporte en 1937 le journaliste Jean Lecoq du Petit Journal. Il s’agit de la succession d’une « tante d’Amérique », succession qui avoisinerait, dit-on, le demi-milliard, un tel chiffre expilquant les convoitises des candidats héritiers qui sont au nombre de plus de 10 000.

Dans la première moitié du XIXe siècle, un modeste habitant de Bitschwiller, en Alsace, du nom de Christophe Schaeffer, émigra en Amérique, s’y maria et eut une fille, Henriette, laquelle épousa un grand planteur de tabacs, Walter Garrett. Celui-ci mourut dans les dernières années du XIXe siècle. Sa veuve, Henriette Garrett, née Schaeffer, lui survécut jusqu’en 1930. Le 16 novembre de cette année-là, elle partait à son tour, à l’âge de 90 ans, pour un monde meilleur.

Mais elle laissait après elle une des plus belles fortunes d’Amérique, une fortune de 17 millions de dollars, acquise par son époux dans la culture des tabacs. Mme Garrett n’avait pas d’héritiers directs. Soucieuse de faire profiter de son argent les membres de sa famille paternelle qui pouvaient exister encore dans la région rhénane, elle laissa par testament une somme de plus d’un million qui devait être consacrée à des recherches minutieuses en vue de découvrir ces parents éloignés.

Ces recherches commencèrent aussitôt. Pendant ce temps, la fortune d’Henriette Garrett produisait des intérêts évalués à 1500 dollars par jour ; et en 1937, ce n’était plus 17 mais 20 millions de dollars qu’elle représentait. On conçoit que l’espoir d’un tel héritage ait éveillé les espérances de tous les Schaeffer d’Alsace et d’Allemagne. Or, ce nom est, là-bas, aussi commun que le sont, ailleurs, ceux de Durand ou de Dupont. Et cela n’était pas fait pour faciliter la besogne des enquêteurs.

Le chroniqueur du Petit Journal nous rapporte qu’existe à cette époque au ministère des Affaires étrangères un service spécial qui s’occupe des recherches relatives aux successions lointaines : il est facile d’imaginer, poursuit-il, si on a enregistré là des histoires d’héritages fabuleux, d’héritages qui demeurent en souffrance, et qui ne datent pas d’hier.

La plus ancienne de ces revendications est celle qui a pour objet la succession de Jean Thierry, lequel n’était pas, d’ailleurs, un oncle d’Amérique, mais un oncle de Venise. Ce Jean Thierry, fils d’un cordonnier de Château-Thierry, était allé, à la fin du XVIIe siècle, s’établir dans la cité de Saint-Arc. Il y mourut en 1700, laissant une énorme fortune placée à la célèbre banque vénitienne, la Zecca. Or, Jean Thierry avait, à Château-Thierry, deux neveux, ses héritiers directs, qui ne furent jamais avertis de la mort de leur oncle, et de la merveilleuse succession qu’ils pouvaient revendiquer. Celle-ci demeura dans les coffres de la Zecca, improductive.

Et il arriva que, quatre-vingt-dix-sept ans plus tard, Bonaparte vint à Venise avec ses soldats en haillons. L’armée manquait de tout : il fallait la vêtir, la nourrir. L’or déposé à la Zecca fut réquisitionné. Les millions de Jean Thierry revinrent ainsi, du moins, à la France. Mais il arriva qu’un jour, les descendants des deux neveux de Château-Thierry connurent l’histoire. C’était au nom du gouvernement français que Bonaparte avait mis la main sur la fortune de leur grand-oncle. Ils en réclamèrent à l’Etat la restitution, firent des procès, furent déboutés, recommencèrent, ne se lassèrent pas.

Au début du XXe siècle l’un d’entre eux introduisait encore, devant la première chambre du tribunal civil, une action contre l’Etat en revendication des millions de Jean Thierry. Cet héritage de Jean Thierry n’était pas purement légendaire. Il exista réellement : et des papiers de l’époque du Directoire, conservés aux Archives, en font la preuve.

Mais que dire de tant d’autres successions fantaisistes qui n’existèrent jamais que dans l’imagination de ceux qui en réclamaient la possession ? Il y a, notamment, la succession d’un certain Jean-Etienne Martin, « originaire du Languedoc » (on ne dit point de quelle ville ni de quel village, et décédé à Buenos-Aires, on ne sait pas exactement en quelle année) ; la succession Martin qui, pendant des lustres, a enfiévré toutes les familles Martin, et Dieu sait s’il y en a, de la Lozère, du Gard, de l’Hérault, de l’Ardèche, de la Haute-Loire, des Landes, de la Haute-Garonne, etc. Hélas ! Malgré les recherches opérées en Argentine par les soins de l’administration du Quai d’Orsay, on ne trouva nulle trace de ce Martin et de sa fortune.

Il y a aussi la succession de Jean-Antoine Mallet, qui serait décédé au Brésil en 1888, et dont l’administration n’a jamais pu découvrir l’acte de décès. On n’a même pu savoir en quelle cité brésilienne était mort ce millionnaire. Cela n’a pas empêché d’innombrables Mallet de réclamer les six cents millions que la légende attribuait à ce Crésus mystérieux.

Mais il y eut cet autre Malet — avec un seul « l », celui-ci — qui serait mort dans l’Etat de l’Ohio, laissant une fortune supérieure à 10 millions de dollars. Ce Malet était, disait-on, le fils du général Malet, le célèbre conspirateur. Les recherches opérées en Amérique démontrèrent que le personnage avait bien existé : mais, de la fortune qu’on lui attribuait, on ne trouva pas la moindre trace.

Et il y eut encore Picard, mort à Philadelphie en 1832 ; Dupont, mort à Saint-Louis ; Tissier, de Marmande, qui serait décédé en 1884, à l’hôpital Bellevue de New-York ; Poilras et Lafforgue, qui seraient morts à Chicago, l’un en 1887, l’autre en 1905 ; et Durand, mort en Argentine ; et Guérin, décédé au Brésil ; et Boyer, à Haïti ; et Huc, au Chili ; sans compter quelques nababs des Indes néerlandaises : Colmon, Dubois, Renard, qui avaient fait, à Batavia, d’immenses fortunes dans la culture de la canne à sucre.

Car tous ces oncles d’Amérique, d’Asie, d’Océanie possédaient d’incalculables richesses. La moindre de ces fortunes, revendiquées par tant d’héritiers, s’élevait à 25 millions. Certaines de ces revendications remontent au XIXe siècle. Le seul malheur était qu’en dépit des recherches consciencieuses et obstinées de l’administration, on ne put jamais retrouver, non seulement les héritages, mais même la plus petite trace de tous ces oncles opulents.

Ils étaient innombrables, pourtant, car nous n’avons nommé ici que quelques-uns ; nous en avons passés, et des plus riches ; et, notamment, l’un des plus fantastiques, l’oncle Bonnet. Le nommé François-Claude Bonnet était un oncle, non plus d’Amérique, mais de l’Inde. A en croire ses héritiers, ledit Bonnet, après avoir vécu longtemps à Calcutta, où il aurait acquis une fortune de 75 millions, serait parti se faire nommer roi de Madagascar. Il serait mort dans la Grande Ile vers 1830.

Pendant des années, cette fable ridicule enflamme l’imagination de tous les Bonnet de France et de Navarre — et il y en a presque autant que de Schaeffer dans les régions rhénanes. Sur la demande de tous ces Bonnet, l’administration se livra à toutes les recherches possibles à Madagascar, à l’île Bourbon, dans l’Inde et même en Angleterre : elle ne trouva absolument rien ; et elle constata le fait dans une note publiée au « Moniteur officiel » le 19 mars 1834. Cette note aurait dû mettre fin à toutes les espérances et à toutes les convoitises des héritiers Bonnet : il n’en fut rien. La légende subsista, prenant même une force nouvelle.

Et l’histoire Bonnet suscita même, en fin de compte, la plus jolie escroquerie. En 1887, un Comité se forma, à Paris, et mit l’affaire Bonnet en actions. Tout le monde — Bonnet ou non — pouvait souscrire. Dès la rentrée de la succession on assurait aux souscripteurs vingt fois la valeur du capital versé. Les fonds affluèrent. Après quoi, le Comité disparut, et l’argent des victimes avec lui.

Car ce sont là, trop fréquemment, explique notre chroniqueur, la conséquence et l’aboutissement de toutes ces histoires d’héritages fabuleux. Tant qu’elles se contentent de bercer des espérances et de décevoir des convoitises, elles ne font pas grand mal ; mais trop souvent, elles favorisent l’escroquerie. Et ce ne sont pas toujours les héritiers — ou pseudo-héritiers — qui sont les seules victimes de ces dangereuses illusions.

Il faut rappeler à ce propos une affaire qu’on dénomma justement « la plus dangereuse escroquerie du siècle » et dont le retentissement ne fut peut-être jamais égale : l’affaire Humbert. Il s’agissait d’une somme de 40 millions qu’un Anglais, nommé Henry Crawford, mort à Toulouse en 1883, aurait léguée à Mme Marie-Thérèse Daurignac, épouse de Frédéric Humbert (né en 1857), député de Seine-et-Marne et fils de Gustave Humbert (né en 1822), ancien garde des Sceaux, premier président de la Cour des Comptes.

Marie-Thérèse Humbert allait donc entrer en possession de ce magnifique héritage, quand surgirent deux neveux du testateur, Robert et Henry Crawford, lesquels prétendaient détenir un autre testament de leur oncle aux termes duquel la fortune était léguée, non plus à Mme Humbert, mais à eux, Crawford frères, et à Mlle Maria Daurignac, sœur de Mme Humbert, à charge de servir à cette dernière une rente de 360 000 francs.

Or, à cette époque, Mlle Daurignac était mineure. En attendant que sa majorité rendît une transaction possible, M. et Mme Humbert étaient nommés séquestres de la fortune. On imagine ce qu’une pareille histoire pouvait entraîner de complications et favoriser d’escroqueries. Il y eut des procès ; les tribunaux rendirent des arrêts qui donnaient une existence légale à ces Crawford que personne n’avait jamais vus, pour la bonne raison qu’ils n’existaient pas plus que l’oncle opulent dont ils étaient les héritiers.

C’était Thérèse Humbert qui avait imaginé, monté et machiné toute l’affaire. Les Humbert menaient grande vie. Tout leur monde leur faisait crédit sur l’héritage. Les personnages les plus en vue fréquentaient leurs salons. Mais tant va la cruche à l’eau... Il suffit d’une seule plainte pour faire crouler l’échafaudage de mensonges dressé patiemment par la « Grande Thérèse ». Il fallut ouvrir le fameux coffre-fort dans lequel celle-ci affirmait que les millions étaient enfermés. Il était vide.

Jamais Paris ne s’amusa tant. Il faudrait un volume pour énumérer les chansons, les images, les cartes postales, les bibelots de toutes sortes commémorant les principaux épisodes de l’affaire. L’ouverture du coffre-fort, surtout, suscita la verve des chansonniers. On y trouva, disaient-ils, un grand écrin...

Et dans ce grand écrin,
Un autr’ petit écrin,
Et dans ce p’tit écrin,
Peau d’balle et balai d’crin !

Et par là-dessus, la foule, à tous les carrefours, reprenait le refrain dans un éclat de rire :

Ah ! les poires !...
Les bonnes poires !...

Au jour de l’An, les camelots vendirent sur les trottoirs « le coffre-fort et le lapin » ; au jour des Rois, les pâtissiers glissèrent dans leurs galettes une opulente Thérèse en porcelaine. On vendit « le Billet de banque Craquefort », le « Jeu des Oies de la mère Humbert », le « Dernier soupir de Thérèse ». Celle-ci fut mise en prison. « Je suis une grande victime », dit-elle. Et le plus curieux de l’histoire, c’est qu’elle le croyait.

Ces escroqueries chez lesquelles la folie de la richesse et des grandeurs est favorisée par un manque absolu de scrupules, bâtissent leur fable si laborieusement, vivent leur rêve si intensément, qu’elles finissent par en faire une réalité. Leur imagination a créé autour d’elles un monde fabuleux qui, peu à peu, leur apparaît vivant, agissant, réel. Ce fut le cas de la « Grande Thérèse » : le rêve, à force d’occuper son esprit, était devenu réalité.

 
 
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