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Pamphlet contre le style d'écriture de l'historien Jules Michelet. Critique de l'auteur d'une célèbre Histoire de France

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Anecdotes insolites
Petite Histoire de France et anecdotes, brèves et faits divers insolites, événements remarquables et curieux, événements anecdotiques
Pamphlet relatif au style d’écriture
de l’historien Jules Michelet
(Extrait de « L’Univers », paru en 1898)
Publié / Mis à jour le lundi 28 janvier 2013, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
C’est en 1898, et cependant que l’historien Michelet est au faîte de sa gloire, car porté aux nues en raison de sa célèbre Histoire de France et avant que ne soit observé son manque de rigueur, ses approximations et sa propension à écrire une histoire officielle au mépris des faits, qu’Eugène Tavernier, journaliste exerçant au sein de l’Univers et premier secrétaire général du Syndicat des journalistes français lors de sa fondation en 1886, entreprend quant à lui d’en fustiger le style d’écriture, et dénonce une « disposition nécromancienne » préjudiciable à la narration sérieuse du passé

On le célèbre ; on va l’apothéoser dans deux mois ; mais on continuera de ne pas le lire, car il est trop fatigant. Il y a tels livres qui, ouverts au hasard, retiennent l’attention et font oublier la besogne pressante : c’est qu’ils renferment des idées justes, un style naturel, clair et harmonieux. Michelet a un étonnant caractère de trépidation violente et continuelle. Il produit l’effet d’une flamme irrégulière, soudain éblouissante, soudain fumeuse, qui jaillit et qui s’éteint au milieu d’éclats de voix discordants, au milieu de secousses incohérentes. Quelqu’un a dit que sa prose ressemblait aux cris d’une femme en couches Il y aussi des ronflements saccadés et des miaulements aigus. Le maître s’agite comme un névrosiaque en crise perpétuelle. Sans répit, le lecteur sursaute.

Jules Michelet

Jules Michelet

« L’histoire est une résurrection ! » dit Michelet, d’après Vico, qu’il a traduit et bientôt renié, n’aant conservé de lui que cette formule, répétée sur le ton du triomphe, de la colère, de la joie enfantine, comme un rugissement, comme un murmure, comme une prière, comme un ron-ron rénétique. — Résurrection ! Résurrection ! Comprenez-vous ce mot ? — Assez bien. — Vous avez le devoir de l’entendre très bien : Résurrection. — Soit. — Mais savez-vous ce que signifie Résurrection ? — Il me semble. — Prononcez donc Résurrection. — Résurrection, voilà. — Oh ! ce n’est pas ainsi. Ecoutez : Résurrection ! — Eh ? oui, Résurrection ! — Vous n’y êtes pas du tout. Recommencez. — Ah ! non. Bonsoir.

Ainsi certains artistes, emportés par l’amour du relief, ont la manie d’accentuer à outrance les effets petits ou grands. L’ensemble et le détail se confondent. Il faut que tout soit en relief, même les creux. Michelet n’écrit pas : il évoque. Les historiens ordinaires racontent : lui commande aux peuples, aux héros, aux institutions, aux systèmes, aux éléments ; il les apostrophe et les gourmande : Debout, Celtes, Ibères, Calls, Kymrys, debout Hannibal, Marius, César, Constantin, Clovis, Charlemagne. Paraissez et obéissez. Le maître va vous habiller et vous faire manœuvrer. Ressuscitez donc et laissez-vous conduire. C’est l’heure de la représentation historique. Entrez dans le kaléidoscope.

On s’imagine nécessairement Michelet avec les oripeaux du nécromancien et un chapeau pointu orné d’étoiles. Il tient, au lieu d’une plume, une baguette magique, qu’il plonge dans un feu de Bengale. Fréquemment, le magicien vous fourre le feu de Bengale sous le nez.

Il n’en était pas arrivé là lorsqu’il composait les premiers volumes de son histoire de France, mais la disposition nécromancienne s’y montre déjà. Le style, à la fois tendu et agité, révèle le goût pour les oracles. Ce goût devient vite une passion, qui se transforme en manie impétueuse ; jusqu’à ce que l’écrivain soit, tout entier et sans remède, possédé par une fièvre trépidante et capricante. L’homme avait des manières douces, mais sous cette crème s’était amassé un volcan d’orgueil, qui pendant quarante années ne se reposa point d’être en éruption.

Peu de choses ont été écrites aussi ridicules et aussi lamentables que celles qui remplissent la préface rédigée, en 1869, pour la nouvelle édition de l’Histoire de France : « Cette œuvre laborieuse d’environ quarante ans fut conçue d’un moment de l’éclair de juillet. Dans ces jours mémorables, une grande lumière se fit, et j’aperçus la France.

« Elle avait des annales et non point d’histoire... Nul n’avait pénétré dans l’infini détail des développements divers de son activité... Le premier je la vis comme une âme et comme une personne.

« ... La plus sévère critique, si elle juge l’ensemble de mon livre, n’y méconnaîtra pas ces hautes conditions de la vie... Ce qui n’est pas moins rare dans un travail de tant d’années, c’est que la forme et la couleur s’y soutiennent.

« ... Je dégageai de l’histoire un fait énorme et trop peu remarqué. C’est le puissant travail de soi sur soi, ou la France, par son progrès propre...

« ... Mon livre m’a créé. C’est moi qui fus son œuvre. Ce fils a fait son père.

« ... J’étais mon monde en moi.

« ... Aujourd’hui... en relisant ce livre, et voyant très bien ses défauts, je dis : On ne peut y toucher.

« ... Pour la première fois paraît l’âme de la France...

« ... Certains chants de nourrice dont j’avais le secret étaient d’un effet sûr. A l’accent ils (les peuples ensevelis) croyaient que j’étais un des leurs.

« ... J’avais posé le premier la France comme une personne...

« ... Oh ! d’aurore ! oh ! la douce enfance ! Oh ! la bonne nature naturelle ! quelle santé cela fit en moi, après les dessèchements de ma subtilité mystique !... J’eus un immense accroissement de solidité dans mon art !

« ... un art à moi et nouveau.

« ... C’est la première fois que l’histoire eut une base sérieuse (1837)

« ... Ici encore je suis obligé de le dire, j’étais seul.

« ... ce volume neuf et fort.

« ... Je plongeai dans le peuple... Moi je sondai les caves où fermenta la Flandre.

« .. . Je fis la Renaissance avec des forces centuplées.

« Quand je rentrai, que je me retournai, revis mon Moyen Age, cette mer superbe de sottises, une hilarité violente me prit et au XVIe, au XVIIe siècle, je fis une terrible fête. Rabelais et Voltaire ont ri dans leur tombeau. »

Il y a trente-huit pages de ce style. Excepté les fameux accès de solennité vaniteuse dont Victor Hugo nous a donné l’exemple, nous n’avons sans doute rien de pareil dans notre littérature. On pourrait encore cependant citer M. Zola. Michelet et Zola se ressemblent par l’effort démesuré et par la préoccupation de l’effet à outrance. L’un saute et bondit continuellement ; l’autre se traîne à quatre pattes : tous deux assomment le lecteur et ils ont les mêmes incorrections. Ils suppriment souvent la conjonction et lorsqu’elle est nécessaire ; ils faussent le rapport logique des mots ; ils précipitent les métaphores les unes sur les autres, à coups de poing et à coups de pied.

Mlichelet écrit ses premières pages sur les pavés brûlants. Il dit : « je couvai, refis la vie de l’Eglise ».Pourquoi pas et ? à supposer que couver soit ici acceptable. Il entre aux siècles, comme d’autres entrent à l’Académie. Il se flatte d’avoir expliqué comment l’Angleterre et la Flandre « furent mariées par la laine et par le drap » et comme « l’Angleterre but la Flandre ». D’après lui, on tombe à une lumière comme on tombe à une profondeur de quelques mètres. C’est du vrai Zola. Pour Michelet, l’ancienne ville de Gand était « une profonde ruche de combats » ! Il entre « par Louis XI aux siècles monarchiques. »

Il est persuadé que dans ses préfaces et dans ses éclaircissements, on verra « les fondements qui sont dessous ». De sa part, c’est de la modestie de n’avoir point placé les fondements au-dessus. Il dit, comme M. Zola dirait volontiers : « J’ai bu trop d’amertumes. J’ai avalé trop de fléaux, trop de vipères et trop de rois. » Avec ce régime, en effet, on ne se fait pas un bon estomac ; et le style, qui s’en ressent comme les idées, devient tout à fait impropre à écrire l’histoire.

Il ne convient pas davantage pour une Bible de l’humanité. Le public est déconcerté quand il entend une espèce de prophète lui décrire ainsi Jérusalem : « Revenant des ombrages immenses de l’Inde et du Ramayana, revenant de l’Arbre de vie, où l’Avesta, le Shah Nameh, me donnaient quatre fleuves, les eaux du Paradis — ici, j’avoue, j’ai soif. J’apprécie le désert, j’apprécie Nazareth, les petits lacs de Galilée. Mais franchement, j’ai soif... Je les boirais d’un coup. »

C’est vraiment bien aimable à Michelet d’apprécier le désert, mais les lecteurs n’apprécient pas cette littérature sibylline et hystérique. Elle leur paraît cocasse. Ils ont soif, à leur tour, soif de tranquillité.

 
 
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