27 décembre 1566 : mort du jurisconsulte Charles Dumoulin

Charles Dumoulin fut un des plus célèbres jurisconsultes du siècle de l’Hôpital, du XVI^e siècle, et comme la plupart de ceux qui s’illustraient alors dans les sciences ou dans les lettres, ce fut avec emportement qu’il se livra à l’étude.

Statue de Charles Dumoulin sur la façade de l’Hôtel de Ville de Paris

Il alla jusqu’à se faire couper la barbe, parce que le soin de l’entretenir lui consumait trop de temps (c’était un accès de passion peu réfléchi, car il ne fallait guère moins de temps pour la raser afin de la maintenir courte) ; et pour se mettre à l’abri des distractions que lui auraient données des emplois à exercer, des biens à administrer, et un ménage à gouverner, il refusa toute fonction publique, prit le parti de ne point se marier, et fit abandon de son patrimoine à son frère.

Mais bientôt après, revenant sur ces exagérations juvéniles, il laissa repousser sa barbe, chercha et trouva une femme, et travailla à faire fortune. Reçu avocat au parlement à l’âge de 22 ans (1522), mais obligé de renoncer à la plaidoirie par suite d’un bégaiement qu’il ne put corriger, il se consacra tout entier à la consultation et à la composition des ouvrages de jurisprudence.

Ainsi que le plus grand nombre des hommes de probité et de savoir à cette époque, Dumoulin, né dans la religion catholique, avait embrassé la réforme ; cette abjuration lui suscita les plus longues et les plus actives persécutions , parce que, comme il faisait autorité et comme il avait une conscience nullement accommodante, il fut obligé de se mêler à toutes les querelles que soulevait alors la matière religieuse. Le premier ouvrage qui lui valut des admirateurs, et par conséquent des ennemis, fut un écrit sur des discussions survenues (1550) entre Henri II et Jules III à propos de la collation des bénéfices, et à la suite desquelles le roi avait défendu par un édit l’envoi des deniers à Rome.

Dumoulin, plein de notions saines sur les limitations respectives des autorités spirituelle et temporelle, défendit si lumineusement l’indépendance de la couronne de France, que le connétable Anne de Montmorency disait à Henri II : « Sire, ce que votre majesté n’a pu faire avec trente mille hommes, ce petit homme l’a achevé avec son petit livre. » Aussi l’ouvrage fut-il mis à l’index à Rome, et les catholiques zélés, chez lesquels fermentaient déjà les levains de la ligue, se déchaînèrent-ils avec tant de fureur contre le jurisconsulte, que Dumoulin, après avoir vu sa maison pillée et détruite, fut obligé de fuir en Allemagne pour sauver sa tête.

Rentré à Paris, il en fut chassé de nouveau par des attaques que dirigèrent contre lui non-seulement les catholiques, mais aussi les calvinistes, qui ne lui pardonnaient pas d’avoir préféré le luthéranisme à leurs dogmes. Dumoulin revint cependant dans la capitale et la guerre recommença aussitôt. Une consultation qu’il donna en faveur de l’Université contre les jésuites, qui sollicitaient et qui obtinrent l’autorisation d’ouvrir un collège, stimula l’animosité de ses ennemis ; ils éclatèrent avec fureur lorsqu’il eut publié ses opinions contre le Concile de Trente, dont ils demandaient la promulgation en France.

Ils firent tant de bruit que le gouvernement même, sur l’invitation duquel le jurisconsulte avait écrit, n’osa prendre sa défense, pas plus que le parlement, dont la protection n’avait pas manqué jusqu’alors à tant de lumières, d’érudition et de zèle patriotique. Dumoulin jeté en prison n’en put sortir qu’après s’être engagé à ne rien imprimer qu’avec l’autorisation préalable du roi. A peine venait il de perdre cette bataille contre les catholiques, qu’il appela sur le terrain les calvinistes, ses autres ennemis non moins acharnés. Il les dénonça au parlement comme perturbateurs du repos public, mais il mourut avant de savoir le sort de sa dénonciation qui mettait tout les esprits en rumeur. Peu de temps auparavant , Dumoulin était rentré dans le giron de l’église, lorsqu’il eut vu que la réforme, dont il attendait l’épuration des mœurs et la répression des vices, n’avait fait que jeter le royaume dans le désordre et accroître la corruption.

Nous n’avons jusqu’ici considéré Dumoulin que comme publiciste (sauf l’anachronisme d’expression) ; cependant ses ouvrages de jurisconsulte sont beaucoup plus considérables, et son travail sur les Coutumes est un monument plus complet, plus beau et d’une plus vaste importance. Si son opinion était respectée dans le domaine politique, elle faisait article de code dans les tribunaux. Peu d’interprètes des lois eurent plus d’autorité que Dumoulin parmi ses contemporains. Il la dut à la pureté de ses intentions, à l’austérité de sa vie, à la loyauté de sa conscience , à l’universalité de son érudition, à la droiture et à la solidité de son jugement.