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Lieux d'histoire. Châtaignier de Robinson. Guinguette, restaurant dans les arbres. Détente des Parisiens à la campagne

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Lieux d’Histoire
Origine, histoire de nos villes, villages, bourgs, régions, châteaux, chapelles, moulins, abbayes, églises. Richesses historiques de France
Châtaignier de Robinson ou la vogue
des restaurants au coeur des arbres
(D’après « Le Magasin pittoresque », paru en 1852)
Publié / Mis à jour le lundi 25 septembre 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 3 mn
 
 
 
Au milieu du XIXe siècle et aux environs de Sceaux, les guinguettes de Robinson, aménagées à l’intérieur et autour de châtaigniers centenaires, permettaient aux Parisiens de s’offrir un retour à la nature : on vient pour passer une journée à la campagne, fuir la pollution des grandes villes, manger, danser, s’amuser. Ainsi du châtaignier-restaurant de Robinson, au cœur du bois d’Aunay

Le chemin de fer de Paris à Sceaux se déroule et serpente alors, comme un ruisseau, entre deux rives de verdure, au milieu de bouquets d’arbres. En une demi-heure, il transporte du jardin du Luxembourg au parc de Penthièvre. Le dimanche, dès que l’on arrive au débarcadère, vis-à-vis la jolie église de Sceaux et la tombe de Florian, on est assailli par des hommes armés de fouets qui crient à tue-tête : Robinson ! Robinson !

Pour un étranger, ou même pour un Parisien qui n’a pas visité les environs de Sceaux depuis plusieurs années, un accueil si singulier est un mystère. On cède à la curiosité, on se laisse conduire par un de ces hommes à un véhicule jaune, demi-omnibus, demi-coucou ; à peine est-on assis, la course est faite : à l’endroit où l’on descend, on aperçoit encore les dernières maisons de Sceaux, et l’on est sur la lisière du bois d’Aunay, au pied de la Sablonnière.

Environs de Sceaux. Le Châtaignier de Robinson
Environs de Sceaux. Le Châtaignier de Robinson

La surprise n’a rien de bien agréable : autour de soi l’on ne voit que cabarets en bois et en plâtre, buveurs attablés, jeux de macarons poudreux, tirs à l’arbalète barbouillés d’horribles figures, fourneaux à fritures trop odorantes, chevaux de bois, balançoires, baraques à polichinelle, orgues de Barbarie nasillardes, scènes d’ivrognes, mendiants de Paris. Si l’on n’était sous un dôme verdoyant de châtaigniers et d’acacias, on se croirait de retour à la barrière d’Enfer d’où l’on est parti. Cependant un drapeau qui flotte au sommet d’un arbre élevé appelle les regards, et sur une porte rustique, artistement composée de branches mortes entrelacées, on lit le mot cabalistique : Robinson !

Sans doute on a près de soi un lac ou un étang, une île, une cabane solitaire ? Aucunement. On est en terre ferme dans une sorte de jardin sans fleurs, rempli de petites tables à l’usage de ceux qui, ayant faim et soif, peuvent payer leur écot. La merveille qui donne son nom à ce restaurant si étrangement nommé est un châtaignier d’une dimension très remarquable, et dont les robustes branches supportent deux planchers avec balustrades superposés l’un à l’autre à peu près comme deux étages. Quelques tables sont dressées dans chacune de ces salles à manger aériennes, où l’on monte par un large escalier solidement établi sur les flancs du colosse.

Le service se fait, bien ou mal et de bas en haut, à l’aide de larges paniers, de cordes et de poulies. A vrai dire, la situation pittoresque des personnes qui prennent le plaisir de ces dîners en l’air rappelle beaucoup moins le pauvre Robinson et son île que certains indigènes de l’Australie et de l’Amérique du Sud ; mais le nom d’une peuplade sauvage n’eût été compris que de peu de gens : tout le monde connaît Robinson. Sur la porte d’un chalet-cuisine, vis-à-vis l’arbre, est attachée une pancarte où l’on a écrit ce médiocre quatrain :

Robinson, nom cher à l’enfance,
Que vieux l’on se rappelle encor ;
Dont le souvenir, doux trésor,
Nous reporte aux jours d’innocence !

Quoi qu’en disent ces lignes rimées, il s’en faut que le spectacle dont on est entouré soit de nature à rappeler les austères et religieuses inspirations du roman puritain de Defoe. Il est difficile de rêver de solitude et d’innocence au milieu du cliquetis des fourchettes et des verres, des cris d’impatience des habitants de l’arbre qui appellent leur dîner, Voilà ! répétés des serviteurs ahuris, de la joie un peu étrange des jeunes commis et de leurs compagnes, et des sollicitations incessantes de musiciennes et de musiciens ambulants aux regards éhontés qui font grincer des orgues, des tambours, des vielles, ou gémir des accordéons mutités.

Les guinguettes à Robinson. Peinture de Maurice Utrillo (1910)
Les guinguettes à Robinson. Peinture de Maurice Utrillo (1910).
© Crédit photo : Musée du Domaine départemental de Sceaux

On a bien souvent observé que ce que les Parisiens aiment le moins dans la campagne, c’est sa paix et son silence ; la plupart ne se plaisent dans les champs ou dans les bois qu’à la condition d’y porter avec eux le bruit ; séparés, ils se sentent mat à l’aise ; il leur manque quelque chose, le brouhaha des rues ; ils se cherchent, se rapprochent, se serrent les uns contre les autres, et ne sont enfin heureux et gais que lorsqu’ils sont parvenus se faire une foule, un charivari de voix, de cris, de rires en un mot, un Paris en miniature.

Aussi la guinguette de Robinson a-t-elle donné au bois d’Aunay une vogue et un renom qu’il aurait en vain ambitionnés, lorsqu’il n’avait pour attraits que ses solitudes, la fraîcheur de ses ombrages et le chant de ses oiseaux. Le succès du châtaignier-restaurant a excité une émulation fatale à la forêt. Depuis un an ou deux, aux environs, la concurrence s’est mise, avec une ardeur fiévreuse, en quête des gros arbres et si l’on en découvre un qui paraisse de force à soutenir une table et huit à dix convives, aussitôt on le transforme en Robinson.

Heureusement le bois est vaste, et le charmant paysage qui l’encadre offre à ceux qui n’aiment point le tumulte et le bruit de calmes et riantes perspectives. Dans l’espace d’une lieue, on rencontre tour à tour les jolies villas d’Aunay, la vallée où Chateaubriand a écrit les Martyrs, les champs de fraises et de roses, les vignobles de Chatenay où est né Voltaire, les bosquets et les étangs du Plessis-Picquet, et l’on revient par de longues allées de peupliers à la petite ville de Sceaux, où vivent encore les souvenirs de la cour spirituelle de la duchesse du Maine, et de la douce bienfaisance du duc de Penthièvre.

 
 
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