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22 août 1782 : mort d'Henri-Louis Duhamel du Monceau, génie des sciences

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22 août 1782 : mort d’Henri-Louis
Duhamel du Monceau, génie des sciences
(D’après « Dix-huitième siècle. Revue annuelle publiée par
la Société française d’Étude du XVIIIe siècle
avec le concours du C.N.R.S. » paru en 1969
et « Biographie universelle, ancienne et moderne » (Tome 12) paru en 1814)
Publié / Mis à jour le mardi 22 août 2023, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 12 mn
 
 
 
Inlassable travailleur, homme de génie et d’un coeur modeste mettant un point d’honneur à ne parler que de ce qu’il connaissait pour l’avoir étudié, Duhamel du Monceau consacra toute sa vie à étendre et à perfectionner les connaissances en rapport avec l’agriculture, la marine, le commerce et les arts mécaniques, écrivant avec méthode et clarté

Un gentilhomme hollandais d’origine française, Loth du Hamel, rentre en France, au temps du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. Il se fixe dans le Gâtinais à Denainvilliers, dont le voici seigneur. Deux siècles plus tard, de sa lignée naît à Paris en 1700 Henri-Louis, fils d’Alexandre du Hamel, seigneur de Denainvilliers et d’Anne Trottier.

L’enfant fait ses classes au Collège d’Harcourt. Il paraît réaliser peu de progrès dans ses études. Mais il se découvre une vocation : les hommes en observant la nature ont commencé à créer une science, qui s’appelle la physique ; elle devrait intervenir partout dans la vie humaine. Or ce qu’on en enseigne est pitoyable. Libre, riche, Henri-Louis Duhamel du Monceau va vivre pour étudier, par lui-même, la physique.

Et cet idéal va tenir toute sa vie. Pour être tout à la science, il ne va pas se marier ; en faisant son éloge, Condorcet ajoute qu’il ne le désira point. Il est très attaché à son frère aîné, M. de Denainvilliers ; il sera aidé par lui dans ses travaux ; il habitera souvent chez lui, dans une campagne dont ses efforts vont modifier les arbres, les cultures, les techniques agricoles. Il sera entouré de neveux dont l’un, Fougeroux de Bondaroy, de trente-deux ans plus jeune que lui et d’une carrière académique très parallèle à la sienne, va continuer son œuvre. Telle, sa vie fut heureuse.

Buste d'Henri-Louis Duhamel du Monceau. Sculpture de Julien-Charles Dubois (1845)

Buste d’Henri-Louis Duhamel du Monceau. Sculpture de Julien-Charles Dubois (1845)

Comment mettre en train cette vie dont il rêve, consacrée à ce qui fut tour à tour dans le langage des savants, philosophie expérimentale, science, enfin pour nous recherche scientifique ? Si l’on en croit l’éloge de Condorcet, il n’était alors à Paris qu’un seul établissement où l’on enseignât ce qu’il désirait, à savoir le Jardin du Roi. Condorcet nous dit ceux qu’il fréquente. Ce sont, de même âge que lui, Du Fay, ce jeune capitaine au régiment de Picardie qui a combattu en Espagne et qui, adjoint-chimiste à l’Académie dès 1723, sera le premier Intendant du Jardin du Roi ; puis Bernard de Jussieu, dont le frère aîné, pensionnaire botaniste à l’Académie, est professeur de botanique au Jardin du Roi, tandis que Bernard lui-même va y devenir démonstrateur au départ de Vaillant. Par Bernard de Jussieu, Duhamel connaît aussi, de la génération précédente, les Geoffroy dont l’aîné est professeur de chimie au Jardin du Roi, Louis Lemery qui y fréquente et qui est pensionnaire chimiste à l’Académie, enfin Vaillant lui-même, qui est le directeur des cultures du Jardin. Est-il besoin de dire les espoirs que font naître en lui ces amitiés ?

Et il va nous paraître tout naturel qu’après plusieurs années où Duhamel du Monceau a travaillé pour lui-même, pour le plaisir de l’étude, pour la joie de connaître et de comprendre, le moyen lui soit offert d’entrer, lui aussi dans la carrière. S’il faut en croire Condorcet, le gouvernement consulta l’Académie sur les causes et les remèdes d’une maladie, appelée la « mort » du safran, et l’Académie chargea Duhamel de cette étude. Mais si l’on précise que le grand producteur de safran, et presque le seul en France, est ce Gâtinais au milieu duquel se trouve Denainvilliers, on pensera que le hasard a été moins grand sans doute qu’il ne veut sembler.

Voici donc Duhamel en présence d’un mystère à éclaircir : le safran. Duhamel en connaît la vie intimement mêlée à celle de son pays. Le champ où, en plein été, on plante en lignes dans des sillons qu’on fait à la houe, des oignons qui ont un pouce de diamètre, environ 3 cm, et qu’on espace de la même longueur. Avec les premières pluies de l’automne, en terre, des racines se développent et vers octobre les sillons effacés renaissent de l’alignement des fleurs, gris-de-lin dit Duhamel, violet pâle, diront d’autres. Les fleurs cueillies, les feuilles paraissent, longues, minces, qui rendront le champ vert jusqu’au printemps.

Puis le sol est nu l’été et à l’automne, cette seconde année, paraîtra une profusion de fleurs ; car dans le sol les oignons se sont multipliés. Après une troisième année il faudra replanter ailleurs. À la floraison, tandis que des femmes, courbées en deux, un panier au bras, cueillent les fleurs, autour de la grande table de la ferme, d’autres femmes en séparent les stigmates, d’un rouge vif et brillant, pleins de matière colorante et de parfum. Le maître fait sécher lui-même cette fine récolte dans des tamis de crin, à la chaleur de braises recouvertes de cendre. Et c’est une richesse du pays.

C’est au printemps qu’apparaît la maladie qu’on appelle la mort. Au milieu des feuillages verts, voici que les feuilles d’une plante jaunissent. Le mal s’étend aux plantes voisines dont les feuilles, à leur tour, dépérissent. Ainsi, de proche en proche. L’été qui arrive sèche toutes les feuilles et ’sur le champ qu’on nettoie de ses mauvaises herbes, la tache suspecte est effacée. Mais à l’automne, elle triomphe : pas une fleur sur toute la surface où au printemps les feuilles avaient jauni. Les premières fleurs autour d’elle sont pâles et chétives ; plus loin tout est normal. Si l’on n’intervient pas, le mal s’étendra, l’année nouvelle, en tache d’huile. Un instinct a donné au paysan le remède. On circonscrit la tache, par une tranchée circulaire, profonde d’un fer de bêche, creusée dans la culture saine et on rejette la terre au centre de la zone infectée.

Voilà le point de départ de Duhamel. Il réfléchit qu’il y a là contagion épidémique, semblable à la peste des animaux, puisqu’une plante malade transmet son mal à la voisine. C’est une nouveauté extraordinaire pour des végétaux. Duhamel rédigea un mémoire dans lequel il démontra que la mortalité du safran provenait d’une tubérosité parasite qui croissait sur ses bulbes. Il décrivit avec soin ses progrès et la manière dont elle se propageait. Ce travail, éclairci par d’excellentes figures, fut jugé digne de paraître dans les mémoires de l’Académie, et détermina l’admission de son auteur dans cette illustre société : ce fut le 22 janvier 1728, au poste libre d’adjoint-chimiste.

Ainsi commence une longue carrière académique au cours de laquelle Duhamel va exercer sa maîtrise dans toutes sortes de domaines. Si ce que nous appelons biologie, l’histoire des êtres vivants, l’attire surtout, il est aussi, à maintes reprises, chimiste et parfois même physicien, dirions-nous. Il travaille, il apprend sans cesse et la lecture de ses œuvres persuade aisément l’historien que, comme l’a écrit Condorcet : « Il était à cinquante ans un des hommes les plus instruits de l’Europe dans toutes les branches de la science. »

Dans cette carrière académique qui s’ouvre, il nous faut choisir des exemples des divers types de l’activité que cet infatigable travailleur a réalisés. En cinquante-trois ans, il a donné quatre-vingt-quinze articles parus dans les Mémoires de l’Académie et présenté dix observations. Mais il a aussi publié trente et un ouvrages, parfois considérables : son Traité de la culture des terres comporte six volumes ; parfois une trentaine de pages seulement, dans une œuvre collective. Il a aussi fait pour l’Académie un grand nombre de rapports sur des mémoires et ouvrages qu’il s’agissait de juger.

C’est par une étude de biologie végétale que Duhamel a débuté à l’Académie. La botanique, au sens large qu’avait alors le terme, est son domaine principal. Il fait par exemple des observations sur le gui, qui sont excellentes. Il étudie les semences et leur germination, la formation et le progrès de ces racines qui ne pénètrent jamais dans le bois formé s mais seulement dans l’écorce, au sens qu’on donne alors à ce terme : elles se trouvent peu à peu engagées dans le bois du fait de la formation de bois nouveau. Il rectifie des inexactitudes de Tournefort et de Linné. Ayant parlé des fleurs à pollen, Tournefort écrit : « on trouve les fruits sur d’autres branches du même pied de gui » et Linné répète la même erreur : il suffisait là seulement d’observations consciencieuses d’un honnête naturaliste.

Mais il y a sur la morphologie végétale des problèmes bien plus difficiles à résoudre. Peuvent-ils même recevoir une solution ? Quel mystère que la croissance d’un arbre, que la formation du bois nouveau qui vient recouvrir chaque année sous l’écorce, d’une couche continue encore molle, le bois tendre ou aubier des années précédentes, que le temps transformera peu à peu en bois dur ou cœur de l’arbre, sous les nouvelles couches formées.

Planche extraite du Traité des arbres fruitiers contenant leur figure, leur description, leur culture, etc. (Tome 2) paru en 1768

Planche extraite du Traité des arbres fruitiers contenant leur figure,
leur description, leur culture, etc.
(Tome 2) d’Henri-Louis Duhamel du Monceau paru en 1768

Ce problème le hante, il le rencontre dès ses débuts à l’Académie en s’occupant des greffes, puis, presque dix ans plus tard, lorsqu’il s’associe avec Buffon, nouveau venu à l’Académie et plus jeune que lui, pour faire des recherches sur les arbres. Tous deux travaillent sur leurs terres, dans leurs forêts, Henri-Louis Duhamel du Monceau en forêt d’Orléans, Georges-Louis de Buffon dans sa propriété de Bourgogne. Ils tirent les conclusions scientifiques de ce que révèle l’abattage des arbres, qui est la vie de la forêt. Leur premier mémoire commun en 1737 explique l’excentricité des couches ligneuses et rend l’arbre indépendant de la direction de la boussole, invoquée à tort : l’excentricité est due à la présence d’une grosse racine ou d’une grosse branche dans le secteur où les couches sont plus épaisses. Et tandis que Buffon, orienté vers la mécanique, étudie la force des bois, Duhamel, patiemment, s’essaye à analyser la croissance du bois dans le tronc.

Question déjà très travaillée, sur laquelle trois théories s’affrontent. Or Duhamel, féru d’expérience, veut départager ces systèmes. Il fait toutes sortes d’expériences en décollant des écorces en lanières de haut en bas, de bas en haut, de travers, et il intercale entre elles et le bois une lame de cet étain battu qu’on emploie pour les glaces, afin de voir sur quelle face, côté bois ou côté écorce, du bois nouveau essayera de se former. Ou bien il passe « des fils d’argent trait dans l’épaisseur de l’écorce, tantôt dans les couches les plus intérieures du liber, tantôt au milieu de l’écorce et quelquefois immédiatement sous l’épiderme ». Les lanières d’écorce, une fois rabattues, se regreffent à l’arbre. Deux à trois ans plus tard, il étudie le tronc.

La physiologie végétale l’attire aussi. Plusieurs mémoires révèlent une sorte de génie physiologique. Sa seconde publication à l’Académie découle d’observations fortuites habilement rapprochées. « Lorsqu’on a fauché une mare, un étang, une rivière, s’il faut quinze jours aux plantes qui y renaissent pour gagner la superficie de l’eau dans un temps pluvieux, il leur faudra plus d’un mois dans les temps de sécheresse. » L’eau qui a un si grand rôle dans la vie des plantes ne manque ni aux unes ni aux autres. Il faut donc que les unes soient privées d’un aliment qui parvient aux autres.

« Pour les plantes aquatiques, l’eau des pluies charrie de la plaine une provision d’aliments. » Très intéressé par la chimie de la vie, Duhamel a montré à propos des plantes qu’il a cultivées sur eau, jacinthe sur carafe, plantes variées, arbres même mis à croître dans des bacs, que la croissance exige la présence « des sels et autres parties dissolubles dans l’eau pour la fertilité des plantes ». Il y reviendra par exemple dans la lecture qu’il fait à la séance publique de l’Académie des sciences en 1766, « Observations sur les sels qu’on retire des cendres des végétaux ».

La plante appelée soude dont on utilise les cendres en savonnerie, lui a fourni une recherche très originale. Il compare les soudes qui poussent sur les côtes en Charente et celles qu’il cultive dans les terres légères du Gâtinais. La nature des sols diffère profondément en Charente domine le sel marin qui fournit abondamment dans les cendres le « sel alcali » nécessaire aux savonniers ; en Gâtinais domine le « tartre vitriolé » que nous appellerions aujourd’hui sulfate de potasse. Or d’une part les soudes poussent presque aussi bien à Denainvilliers qu’en Charente ; d’autre part la composition des cendres n’y est pas la même ; enfin à Denainvilliers on trouve dans les cendres un peu du sel alcali que le sol ne fournit pas et on ne trouve pas de tartre vitriolé que le sol contient en abondance. « On peut conclure que le terrain et les plantes elles-mêmes peuvent concourir à la formation des différents sels qu’on trouve dans les cendres des végétaux. » Sans doute est-ce la première fois que de telles questions sont posées.

C’est à juste titre que Duhamel est devenu à l’Académie pensionnaire botaniste ; mais il s’intéresse aussi très naturellement aux animaux. Il s’est occupé des abeilles (1754) ; il donne un Mémoire sur l’Insecte qui dévore les grains dans l’Angoumois (1761) ; mémoires à base d’intérêt pratique, l’un et l’autre. Toutefois c’est d’anatomie animale que nous devons parler, à propos de la série des travaux sur la croissance, ou comme il dit souvent, « sur la crue des os ». Ces travaux ont un caractère inattendu. Travaux d’anatomie comparée, ils confrontent sans cesse les phénomènes de croissance des os à ce qu’il sait alors de la croissance du bois dans les arbres. Les sept mémoires sur les os sont antérieurs chronologiquement au travail décisif sur la production du bois nouveau ; mais il lui suffit d’y savoir que le bois s’accroît de couches annuelles vers l’extérieur.

Si Duhamel a fait son entrée à l’Académie comme adjoint-chimiste, il a donné par ses publications de nombreuses preuves de sa maîtrise en chimie. Deux mémoires sur le tartre et sa solubilisation, un mémoire sur l’éther, trois sur le sel ammoniac, un sur la base du sel marin paraissent entre 1732 et 1736. Dans ces travaux aussi, il y a bien du progrès scientifique. Peut-on imaginer meilleure définition de la méthode chimique que celle-ci : « On compte en chimie bien connaître un mixte, quand on est parvenu à séparer les différents matériaux dont il est composé et quand, après les avoir examinés chacun en particulier pour en bien connaître la nature, on sait ensuite les réunir de telle sorte qu’ils recomposent de nouveau un corps semblable à celui qu’on avait, pour ainsi dire, anatomisé ».

L’analyse, puis la synthèse d’un composé. C’est à propos du sel marin qu’il énonce cette méthode ; il réalise la séparation de sa base et en la recombinant à l’esprit de sel — notre acide chlorhydrique —, il reproduit les cristaux en trémie du sel marin. Hélas ! il n’est pas le premier à obtenir ainsi la base, notre soude. Stahl a déjà dû faire un travail analogue, qui, résumé dans un texte de quelques lignes était inconnu à Duhamel. C’est à propos de ce travail que l’Encyclopédie britannique dit de lui : « il fut probablement le premier à distinguer nettement entre les alcalis, potasse et soude ».

Henri-Louis Duhamel du Monceau. Timbre émis le 15 mai 2000 dans la série Commémoratifs et divers. Dessin de Jean-Paul Véret-Lemarinier

Henri-Louis Duhamel du Monceau. Timbre émis le 15 mai 2000 dans la série
Commémoratifs et divers. Dessin de Jean-Paul Véret-Lemarinier

Il ne néglige pas non plus la physique. Pourquoi la liqueur visqueuse et incolore que secrètent pourpres et buccins prend-elle la coloration violette qui a fourni aux anciens la pourpre des Césars ? Il établit que c’est la lumière solaire qui détermine le changement de coloration et qu’une intensité lumineuse minimale est nécessaire. Il fait l’épreuve des diverses lumières du spectre et emploie des écrans colorés. Il s’occupe aussi d’aimantation. En 1747, il fit des observations sur les effets physiques de la foudre, tombée « auprès de Pluviers sur un clocher où l’on sonnait ». On pensait alors, par le son des cloches, protéger de l’orage. D’après les renseignements recueillis plus tard par Condorcet sur cette séance qui avait frappé les esprits, il souligna les analogies de ces faits avec les actions alors connues de l’électricité.

Les techniques qui sont l’application des sciences ont fourni souvent matière à ses réflexions. Il s’attaque en 1745 au problème de la conservation des grains qui sont détruits par la fermentation, par les rongeurs, par les teignes ; il précise l’épaisseur maximale des tas dans les greniers pour éviter la fermentation, les soins à donner. Son étuve à grains que traverse un courant d’air sec mû par « ce soufflet que M. Hales appelle un ventilateur » est la première ébauche de nos silos. Il expose les divers moyens de renouveler l’air des salles, en particulier des infirmeries, s’intéresse au grisou, à l’économie des abeilles.

Nous n’avons évoqué jusqu’ici que les Mémoires présentés à l’Académie, c’est-à-dire le résultat des recherches personnelles de Duhamel. C’est là que la hardiesse de la pensée, organisatrice d’expériences probantes, peut, à plusieurs reprises, légitimer le mot de génie. Cette œuvre est considérable. Elle satisfait au programme de vie que Duhamel s’était tracé. Mais l’Académie enregistre aussi des travaux de routine publiés régulièrement chaque année de 1740 à 1780, généralement sous le titre Observations botanico-météorologiques faites en l’année... au château de Denainvilliers, proche Pluviers en Gâtinais : chaque jour trois lectures de température, baromètre, orientation du vent, physionomie du temps (beau avec nuages, brouillards, grêle...) ; dates de floraison (perce-neige, abricotiers...), fruits, levée des blés, arrivée et départ des hirondelles, ainsi qu’une idée générale sur le rendement des productions de la terre.

Entre 50 et 68 ans, Henri-Louis Duhamel du Monceau a publié onze traités dont l’un en six volumes. À la satisfaction du chercheur qui donne la solution des problèmes qui l’ont le plus frappé, succède celle du savant qui diffuse aux hommes les connaissances utiles qu’il a acquises. Son but est net, il écrit pour le public, c’est-à-dire pour ceux qui veulent acquérir des lumières applicables à la pratique.

Une circonstance fortuite explique la naissance de son premier traité. Un anglais, Jethro Tull, publie une méthode d’agriculture qu’il a imaginée : les engrais sont toujours déficients ; on y suppléera en multipliant les labours. Duhamel fait l’expérience de ce procédé, juge les résultats favorables et l’adopte. Il faut — c’est un devoir — le faire connaître en France. De 1750 à 1761, sous le même titre, Traité de la culture des terres, un volume nouveau vient tous les deux ou trois ans publier, après la méthode, les résultats de ceux qui, pratiquant la nouvelle culture, en ont vérifié le succès et il s’établit par là une sorte de dialogue entre Duhamel et le public.

Son second traité est Élément de l’architecture navale ou traité pratique de la construction des vaisseaux. Sujet étrange ? Non. Un devoir encore. Maurepas, le jeune et brillant ministre de la Marine, l’a chargé, avec Buffon, d’étudier les bois, car les vaisseaux ne sont que des bois assemblés ; ils sont le plus noble ouvrage des bois, sélectionnés pour les mâts et la coque, et réanimés par la vie humaine. Duhamel est devenu Inspecteur général de la Marine. Il a visité les ports, étudié les constructions navales, et c’est encore un savoir pratique qu’il traduit dans son livre. Il ne suffit pas d’ailleurs que le vaisseau soit solide : le Traité sur les moyens de conserver la santé aux équipages des vaisseaux traduit la conscience d’un chef.

Tous les autres traités sont d’agriculture, par exemple le Traité des arbres et arbustes qu’on peut élever en pleine terre, essentiellement dictionnaire alphabétique où chaque espèce est l’objet d’un article de quelques pages et d’une illustration : en tête de l’article, une vignette en taille douce, inspirée des planches de Tournefort, donne les caractères botaniques essentiels. Une planche entière présente des branches : ce sont, gravées sur bois, des planches, vieilles de plus d’un siècle, qui étaient destinées à une grande édition de Matthiole ; elles juxtaposent parfois singulièrement sur les mêmes rameaux, en anachronisme, fleurs et fruits, le printemps des pêchers roses et l’automne des fruits veloutés... Parfois ce sont des gravures récentes, sur bois encore, mais combien moins belles.

Mais le traité essentiel demeure la Physique des arbres. Ce livre est surtout une morphologie et une physiologie végétales où l’arbre est un peu plus pourtant que le prétexte. Écrit en 1758, au moment où la carrière de chercheur de Duhamel touche à sa fin, et devant être replacé, il le dit dans sa préface, à la tête d’un Traité général des forêts, il contient les éléments de la botanique. Et de fait, suivant un plan voisin de celui de nos livres actuels, on part du tissu cellulaire, des vaisseaux, des trachées, des fibres ligneuses et de la moelle, pour reconstruire, à partir d’éléments histologiques, la complexité structurale de la plante. Puis on passe au fonctionnement. Si Duhamel est assuré d’avoir prouvé l’existence d’une circulation de la sève, montante et descendante, il croit à l’existence d’une respiration végétale, mais ne saurait dire où et comment elle se produit ; il se tait donc à son sujet : on n’enseigne que des certitudes démontrées.

Il y a encore, à l’actif de Duhamel, ses publications des Arts. On aimerait savoir quelle fut sa part dans la décision, prise par l’Académie, de réaliser cette ample publication. Certes elle est tout à fait dans l’esprit du XVIIIe siècle. Ce qu’elle a de commun avec l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers suffirait à le prouver. Duhamel a rédigé au total dix-huit Arts. En 1761, qui est le début de la publication, il donne la description des Arts du charbonnier, du chandelier, de la fabrique des ancres, de l’épinglier. Il collabore à de nombreux volumes.

Ses présences à l’Académie sont aussi fréquentes que le permettent ses séjours nécessaires à Denainvilliers ou ses voyages pour la Marine. En 1766, il est présent à cinquante-sept séances sur soixante-quinze, tandis que d’Alembert par exemple ne compte que trente-sept présences. Il est l’un de ceux dont le nom reparaît le plus souvent au Registre, car on lui confie de nombreux rapports. A propos du Mémoire de Lavoisier sur la cristallisation du gypse, un rapport recopié sur cinq pages du Registre conclut à la publication aux savants étrangers, et dans la pénible affaire de La Condamine, il est l’un des trois commissaires chargés de démarches délicates.

Traité de la fabrique des manoeuvres pour les vaisseaux, ou l'Art de la corderie perfectionné d'Henri-Duhamel du Monceau paru en 1747

Traité de la fabrique des manoeuvres pour les vaisseaux, ou l’Art de la corderie perfectionné
d’Henri-Duhamel du Monceau paru en 1747

Henry-Louis Duhamel du Monceau jouit pendant sa vie d’une grande considération ; sa fortune et sa naissance y contribuèrent sans doute ; mais ce fut en mettant plus en évidence ses qualités morales et la solidité de son caractère. On sait que dans la société il était d’une modestie extrême, et qu’il s’était fait un principe de ne jamais parler que de ce qu’il avait étudié.

On connaît la leçon qu’il donna à ce sujet à un jeune marin qui l’avait interpellé plusieurs fois en lui demandant : « Qu’est-ce que cela ? — Je ne sais pas, répondait toujours Duhamel. — Mais à quoi sert donc d’être de l’Académie, riposta l’étourdi » ; et puis il s’engagea dans une discussion dans laquelle il finit par s’embrouiller tellement qu’il resta court. Alors Duhamel reprit tranquillement la parole, en lui disant : « Voilà à quoi sert d’être de l’Académie, à ne jamais parler que de ce que l’on sait. »

On raconte aussi qu’ayant présenté un projet important sur le port de Toulon, il fut tourné en ridicule et mis de côté. Quelque temps après, étant consulté par le ministre sur un plan qu’on lui avait proposé, il reconnut son travail, dont l’un de ceux qui l’avaient le plus déprécié s’était emparé.

Il était attaché à la religion par principes, et il en pratiquait tous les devoirs avec exactitude. Malgré les sollicitations de sa famille, il resta célibataire, craignant que les embarras du ménage ne le détournassent de ses travaux ; mais, regardant ses neveux comme ses propres enfants, il goûta parmi eux tous les charmes de la vie patriarcale. Une de ses nièces entre autres lui prodigua les soins les plus assidus jusqu’à sa mort, arrivée à Paris le 22 août 1782. Son éloge fut prononcé la même année et inséré dans l’histoire de l’Académie des sciences, dont il était parvenu à être le doyen.

 
 
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