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10 août 1723 : mort du cardinal Guillaume Dubois

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Éphéméride, événements
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10 août 1723 : mort du cardinal Dubois,
principal ministre sous la Régence
Publié / Mis à jour le jeudi 9 août 2012, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 7 mn
 

Le roi faisant la revue de sa maison, le cardinal Dubois voulut y jouir des honneurs de premier ministre, qui étaient à peu près les mêmes qu’on rendait à la personne du roi. Il monta à cheval un quart d’heure avant que ce prince arrivât et passât devant ses troupes qui le saluèrent l’épée à la main.

« J’ai vu , dit Duclos, quelques années après, la maison du roi en user ainsi à l’égard du cardinal de Fleury, qui n’avait pas pris le titre de premier ministre, mais qui jouissait de la toute-puissance. Ce qui prouve cependant qu’on lui rendait librement ces honneurs, c’est que le duc d’Harcourt, capitaine d’une compagnie des gardes du corps, et mécontent du cardinal de Fleury, le vit passer sans lui faire le moindre salut, et la troupe resta aussi tranquille que le capitaine. »

Le cardinal Dubois

Le cardinal Dubois

Le cardinal Dubois paya très cher cette petite satisfaction : le mouvement du cheval fit crever un abcès qui fit juger aux médecins que la gangrène serait bientôt dans la vessie : ils lui déclarèrent qu’à moins d’une opération prompte, il n’avait pas quatre jours à vivre : il entra dans une fureur horrible contre eux. Le duc d’Orléans, averti de l’état du malade, eut beaucoup de peine à le calmer un peu, et à lui persuader de se laisser transporter à Versailles, où ce fut une nouvelle scène. Quand la faculté lui proposa de recevoir les sacrements avant l’opération, sa fureur n’eut plus de bornes, et il apostrophait en frénétique tous ceux qui l’approchaient.

Enfin, succombant de lassitude après tant de fureurs, il envoya chercher un récollet avec lequel il fut enfermé un demi-quart d’heure. On parla ensuite de lui apporter le viatique. Le viatique, s’écria-t-il, cela est bientôt dit ; il y eut un grand cérémonial pour les cardinaux ; qu’on aille à Paris le savoir de Bissy. Les chirurgiens, voyant le danger du moindre retardement, lui dirent qu’on pouvait, en attendant, faire l’opération. A chaque proposition , nouvelles fureurs.

Le duc d’Orléans le détermina à force de prières, et l’opération fut faite par la Peyronie ; mais la nature de la plaie et du pus fit voir que le malade n’irait pas loin. Tant qu’il eut connaissance, il ne cessa d’invectiver, avec des grincements de dents, contre la faculté ; les convulsions de la mort se joignirent à celles du désespoir ; et lorsqu’il fut hors d’état de voir, d’entendre et de blasphémer, on lui administra l’extrême-onction qui lui tint lieu de viatique. Il mourut le lendemain de l’opération.

Ainsi finit ce phénomène de fortune comblé d’honneurs et de richesses : il possédait, outre l’archevêché de Cambrai, sept abbayes considérables : les abbayes de Nogent-sous-Coucy, Saint-Just, Hérivaux , Bourgueil, Béry, Saint-Vinox, Saint-Bertin et Cercamp : et quand il mourut, il cherchait à s’emparer de celles de Cîteaux, de Prémontrés et d’autres chefs d’ordre.

La place de premier ministre valait au cardinal cent cinquante mille livres, et la surintendance des postes cent mille livres ; mais il recevait de l’Angleterre une pension de quarante mille livres sterling, valant près d’un million, preuve évidente du sacrifice qu’il faisait de la France aux Anglais. Il jouissait de plus de deux millions de revenu, sans compter un argent comptant et un mobilier immense en meubles, équipages, vaisselle et bijoux de toute espèce. Plus avide qu’avare, il entretenait une maison superbe et une table somptueuse, dont il faisait très bien les honneurs, quoique sobre par lui-même. Le prodigieux mobilier du cardinal passa à son frère aîné, Dubois, secrétaire d’Etat.

Ce Dubois exerçait la médecine à Brive avant de venir à Paris : c’était un très honnête homme ; il n’avait qu’un fils, chanoine de Saint-Honoré, digne ecclésiastique, vivant dans la retraite, sans avoir jamais voulu ni pensions ni bénéfices que son canonicat. Le frère et le neveu firent élever un mausolée au cardinal dans l’église de Saint-Honoré, où il fut inhumé. L’assemblée du clergé, dont le cardinal était président, lui fit un service solennel. Il y en eut un dans la cathédrale où les cours supérieures assistèrent, honneurs qu’on rend au premier ministre ; mais on n’osa en aucun endroit hasarder une oraison funèbre. Son frère et son neveu ne furent point éblouis d’une si riche succession : ils l’employèrent presque toute en charités ; ils ont conservé leur modestie jusqu’à la mort.

Dubois s’était marié très jeune dans un village du Limousin, avec une jolie paysanne : la misère les obligeant de se séparer à l’amiable, ils convinrent que la femme, en changeant de lien, gagnerait sa vie comme elle pourrait, et que le mari irait tenter fortune à Paris : leur obscurité facilita leur arrangement ; dès que Dubois commença à se faire jour, il envoya à sa femme de quoi se procurer de l’aisance ; et leur intérêt commun conserva le secret.

Dubois, parvenu à l’épiscopat, craignit plus que jamais la révélation d’un engagement qui passait les libertés de l’Eglise gallicane. Il fit sa confidence à Breteuil, qui se chargea volontiers de tirer de peine un si puissant ministre, partit pour Limoges, et bientôt se mit à faire des tournées, suivi de deux seuls valets. Il prit un jour si bien ses mesures, qu’il arriva à une heure de nuit dans le village où s’était fait le mariage, et alla descendre chez le curé à qui il demanda amicalement l’hospitalité.

Le curé transporté de joie de recevoir monseigneur l’intendant, lui aurait sacrifié toute la basse-cour du presbytère et le vin des messes : la servante avec les valets apprêtèrent le souper que Breteuil affecta de trouver excellent, et traitant le curé avec une familiarité qui le ravissait , il renvoya au dessert les valets souper avec la servante.

Resté tête à tête avec le curé, il lui dit, par manière de conversation, qu’il ne doutait pas que les registres de la paroisse ne fussent en bon ordre : le curé l’en assura, et pour l’en convaincre, les tira d’une armoire et les mit sur la table. Breteuil les parcourut négligemment ; et quand il fut à l’année intéressante, il les referma avec une indifférence apparente, les jeta sur une chaise à côté de lui, et continua de s’entretenir gaiement avec son hôte, à qui il se chargeait souvent de verser à boire, pour faire meilleure mesure, et se ménager lui-même. Tant fut procédé que la tête du bon curé se brouilla, et bientôt il s’assoupit ; Breteuil, profitant du sommeil, détacha proprement le feuillet nécessaire, et, tout remis en place, sortit de la chambre : c’était dans l’été, et le jour commençait à poindre.

Breteuil donna quelques louis à la servante, la chargea de remerciements pour le curé, avec qui il voulait, disait-il, se retrouver quelque jour, et partit. Peu de temps après, le curé vint remercier monseigneur l’intendant de l’honneur qu’il lui avait fait. Breteuil le reçut à merveille, et ne s’aperçut pas qu’il eût le moindre soupçon sur l’altération des registres.

Tout n’était pas fait ; il y avait eu un contrat de mariage : le tabellion qui l’avait passé était mort depuis plus de vingt ans ; Breteuil parvint à découvrir le successeur, le fit venir, et lui laissa l’option d’une somme assez considérable, ou d’un cachot, pour la remise ou le refus de la minute du contrat ; le notaire n’hésita pas sur le choix : ainsi le contrat et l’acte de célébration furent envoyés à Dubois qui les anéantit.

Breteuil, pour consommer l’affaire, envoya chercher la femme, lui parla sur le secret du mariage, avec cette éloquence qui avait persuadé le notaire : elle n’eut pas de peine de promettre pour l’avenir la discrétion qu’elle avait toujours eue. Après la mort de son mari, elle vint à Paris, où, dans une vie opulente et obscure, elle lui a survécu près de vingt-cinq ans : elle voyait assez souvent son beau-frère, et ils ont toujours été fort unis.

Le cardinal Dubois avait certainement de l’esprit ; mais il était fort inférieur à sa place ; plus propre à l’intrigue qu’à l’administration, il suivait un objet avec activité, sans en embrasser tous les rapports ; l’affaire qui l’intéressait dans le moment, le rendait incapable d’attention pour les autres. Il n’avait ni cette étendue, ni cette flexibilité d’esprit nécessaires à un ministre chargé d’opérations différentes, et qui doivent souvent concourir ensemble. Voulant que rien ne lui échappât, et ne pouvant suffire à tout, on l’a vu quelquefois jeter au feu un monceau de lettres toutes cachetées, pour se remettre, disait-il, au courant.

Ce qui nuisait le plus à son administration, était la défiance qu’il inspirait, l’opinion qu’on avait de son âme : il méprisait aussi ingénument la vertu qu’il dédaignait l’hypocrisie, quoiqu’il fût plein de faussetés : il avait plus de vices que de défauts ; assez exempt de petitesse, il ne l’était pas de folie. Il n’a jamais rougi de sa naissance, et ne choisit pas l’habit ecclésiastique comme un voile qui couvre toute origine, mais comme le premier moyen d’élévation pour un ambitieux sans naissance. S’il se faisait rendre tous les honneurs d’étiquette, une vanité puérile n’y avait aucune part ; c’était persuasion que les honneurs dus aux places et aux dignités appartiennent également, sans distinction de naissance, à tous ceux qui s’en emparent, et que c’est autant un devoir qu’un droit de les exiger.

En se faisant rendre ce qui lui était dû, il n’en gardait pas plus de dignité : on n’éprouvait de sa part aucune hauteur, mais beaucoup de dureté grossière ; la moindre contradiction le mettait en fureur, et dans sa fougue, on l’a vu courir sur les fauteuils et les tables autour de son appartement.

Le jour de Pâques, qui suivit sa promotion au cardinalat, s’étant éveillé un peu plus tard qu’à l’ordinaire, il s’emporta en jurements contre tous ses valets, sur ce qu’ils l’avaient laissé dormir si tard, un jour où ils devaient savoir qu’il voulait dire la messe : on se pressa de l’habiller, lui jurant toujours, il se souvint d’une affaire, fit appeler un secrétaire, oublia d’aller dire la messe, même de l’entendre.

Il mangeait habituellement une aile de poulet tous les soirs : un jour qu’on allait le servir, un chien emporta le poulet ; les gens n’y surent autre chose que d’en remettre promptement un autre à la broche ; Ie cardinal demande à l’instant son poulet ; le maître d’hôtel prévoyant la fureur où il se mettrait en lui disant le fait, ou en lui proposant d’attendre plus tard que l’heure ordinaire, prend son parti et lui dit froidement : Monseigneur, vous avez soupé. — J’ai soupé ! répondit le cardinal. — Sans doute, monseigneur, il est vrai que vous avez peu mangé ; vous paraissiez fort occupé d’affaires ; mais si vous voulez, on vous servira un second poulet, cela ne tardera pas.

Le médecin Chirac, qui le voyait tous les soirs, arrive dans ce moment : les valets le préviennent et le prient de les seconder. Parbleu, dit-il, voici quelque chose d’étrange ! mes gens veulent me persuader que j’ai soupé ; je n’en ai pas le moindre souvenir, et qui plus est, je me sens beaucoup d’appétit. — Tant mieux, répondit Chirac, le travail vous a épuisé ; les premiers morceaux n’auront que réveillé votre appétit, et vous pourriez sans danger manger encore, mais peu. Faites servir monseigneur, dit-il aux gens, je le verrai achever son souper. Le poulet fut apporté : le cardinal regarda comme une marque évidente de santé de souper deux fois de l’ordonnance de Chirac, l’apôtre de l’abstinence, et fut, en mangeant, de la meilleure humeur du monde.

Il ne se contraignait pour personne : la princesse de Montauban Bautru l’ayant impatienté, ce qui n’était pas difficile, il l’envoya promener en termes énergiques ; elle alla s’en plaindre au régent, dont elle n’eut d’autre réponse, sinon que le cardinal était un peu vif, mais d’ailleurs de bon conseil. Dubois n’en usa pas autrement avec le cardinal de Gèvres, homme grave et de mœurs sévères : les réparations du régent étant de même espèce que les offenses du ministre, on s’accoutuma à regarder ses propos comme étant sans conséquence.

Il n’était pas nécessaire de l’impatienter pour en éprouver des incartades : la marquise de Conflans, gouvernante du régent, étant allée uniquement pour faire visite au cardinal, dont elle n’était pas connue, et l’ayant pris dans un moment d’humeur, à peine lui eût-elle dit : Monseigneur... — Oh ! monseigneur ! dit le cardinal en lui coupant la parole, cela ne se peut pas. — Mais, monseigneur. — Mais, mais ; il n’y a point de mais, quand je vous dis que cela ne se peut pas. La marquise voulut inutilement le dissuader qu’elle eût rien à lui demander ; le cardinal, sans lui donner le temps de s’expliquer, la prit par les épaules, et la retourna pour la faire sortir : la marquise, effrayée, le crut dans un accès de folie, ne se trompait pas trop, et s’enfuit en criant qu’il fallait l’enfermer.

Quelquefois on le calmait en prenant avec lui son ton : il avait, parmi ses secrétaires de confiance, un bénédictin défroqué, nommé Venier, homme d’un caractère leste ; le cardinal, en le faisant travailler avec lui, eut besoin d’un papier qu’il ne trouva pas sous sa main à point nommé ; le voilà qui s’emporte, jure, crie qu’avec trente commis il n’est pas servi, qu’il en veut prendre cent, et qu’il ne le sera pas mieux. Venier le regarde sans lui répondre, le laisse s’exhaler : le flegme et le silence du secrétaire augmentent la fureur du cardinal qui, le prenant par le bras, le secoue, et lui crie : Mais réponds-moi donc, bourreau, cela n’est-il pas vrai ? Monseigneur, dit Venier sans s’émouvoir, prenez un seul commis de plus chargé de jurer pour vous, vous aurez du temps de reste, et tout ira bien. Le cardinal se calma, et finit par rire.

Le régent fut charmé de la mort de son ministre ; le jour de l’opération, l’air extrêmement chaud tourna à l’orage ; aux premiers coups de tonnerre, le prince ne put s’empêcher de dire : j’espère que ce temps-là fera partir mon drôle. Il n’avait pas en effet plus d’égards pour son ancien maître que pour tout autre : le régent osait à peine lui faire une recommandation ; ce prince s’était réservé la feuille des bénéfices et des grâces pour son travail avec le roi ; mais il s’était laissé assujettir à communiquer auparavant la liste au cardinal, qui rayait insolemment les noms de ceux qui ne lui convenaient pas. Jamais servitude ne fut plus honteuse que celle où ce prince s’était mis, qu’il sentait douloureusement, qu’il avait honte d’avouer, et dont il n’avait pas la force de s’affranchir.

 
 
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