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Pierre Corneille. Amours du poète. Portrait, biographie, vie et oeuvre

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Personnages : biographies
Vie, oeuvre, biographies de personnages ayant marqué l’Histoire de France (écrivains, hommes politiques, inventeurs, scientifiques...)
Pierre Corneille amoureux,
et fragile destin de ses héritiers
(D’après « Le Figaro littéraire », paru en 1906)
Publié / Mis à jour le mercredi 26 mai 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
On ne se figure pas beaucoup le grand Corneille amoureux. Pourtant, le célèbre auteur attribuait volontiers à de puériles ou juvéniles passions l’origine de son génie poétique, et il peut donc sembler légitime d’évoquer l’image des jeunes femmes qui lui plurent, qui étaient jolies et dont il a, par sa ferveur, sauvé de l’oubli la mémoire.

On l’imagine plutôt enfermé seul dans sa chambre, lisant la Pharsale, les tragédies de Sénèque et Plutarque et se montant la tête à propos des emphatiques héros de ces écrivains, puis, animé par de telles lectures, composant à son tour le poème d’une humanité prodigieuse, illusoire, stoïcienne et orgueilleuse.

Mais il aima, toute sa vie durant. Sa première amitié fut pour une petite fille, du temps qu’il étudiait encore au collège des jésuites et qu’il était à peine adolescent. Elle s’appelait Marie Courant et, à vrai dire, on ne sait guère autre chose d’elle, sinon qu’il lui voua un attachement durable. Quand il se mit à composer des vers, ce fut pour elle d’abord. Longtemps il lui communiqua ce qu’il écrivait avant que de le publier ; elle avait de l’esprit, du jugement, et il tint compte de ses remarques. Il déclarait qu’il lui était redevable de « plusieurs endroits de ses premières pièces. »

Il écrivit en son honneur divers poèmes de « galanterie ». Après que fut venue la gloire, on le pressa de les publier. Il s’y refusa obstinément et, deux années avant de mourir, il les brûla lui-même. Il est difficile de savoir si jamais Marie Courant aima Corneille. En tout cas, elle se maria et devint Mme du Pont, femme de Thomas du Pont, correcteur en la chambre des comptes de Normandie. Elle était, dit-on, parfaitement belle. Corneille parle d’elle dans l’Excuse à Ariste, qui est de 1637 :

J’ai brûlé fort longtemps d’un amour assez grand
Et que, jusqu’au tombeau, je dois bien estimer,
Puisque ce fut par là que j’appris à rimer.
Mon bonheur commença quand mon âme fut prise ;
Je gagnai de la gloire en perdant ma franchise.
Charme de deux beaux yeux, mon vers charma la Cour ;
Et ce que j’ai de nom, je le dois à l’amour.
Pierre Corneille

Pierre Corneille

Si amoureux que soit un poète, il songe aux belles-lettres et au succès de ses écrits. Aussi ne sait-on jamais s’ils aiment vraiment. Toutefois, un vers traduit le sentiment profond : « Je me sens tout ému quand je l’entends nommer ». Il annonce que cette jeune femme, à qui le nom de Philis est décerné, eut ses premiers vers et ses « derniers feux ». Chaque amour n’est-il pas tout l’amour ?...

Cependant, Corneille, encore très jeune, avait aimé aussi Mlle Milet. Et les bons commentateurs ont eu la gracieuse idée de confondre Mlle Milet et Mlle Courant : cela donnait au cœur cornélien plus d’unité. Il faut renoncer à cette œuvre pie. Les demoiselle Courant et Milet furent deux amies de Corneille, et la deuxième, semble-t-il, sa maîtresse. Celle-ci demeurait à Rouen, rue aux Juifs. Corneille fut mené chez elle par un de ses amis, qui était fort amoureux d’elle. Et il arriva que la demoiselle préféra Corneille à l’autre. L’aventure, dont le détail n’était pas connu, fit quelque bruit en ville.

Corneille composa pour Mlle Milet le sonnet de Mélite. « Après l’œil de Mélite, il n’est rien d’admirable ». Mélite est l’anagramme de Milet. Et Thomas Corneille raconte : « Une aventure galante lui fit prendre le dessein de faire une comédie pour y employer un sonnet qu’il avait fait pour une demoiselle qu’il aimait ». Ainsi, la comédie de Mélite — qui d’ailleurs est médiocre — provient de la vie réelle. On ne s’en aperçoit guère à la lire, n’importe ! La réalité ne fut jamais pour Corneille, un grand secours ; les livres anciens et l’imagination l’inspiraient mieux : il dépend de son imagination excitée par les livres latins ou espagnols.

Quand un poète a consacré toute une pièce de théâtre à quelque amour, il s’est bien acquitté avec ledit amour et il passe à quelque autre. Corneille fut-il volage ? On le croirait à lire les Mélanges poétiques qu’il publia en 1632. Il avait alors vingt-six ans et il disait, en vers :

Plus inconstant que la lune,
Je ne veux jamais d’arrêt,
La blonde comme la brune,
En moins de rien m’importunent.

Ne se vante-t-il pas ?...

Mais à la fin hors de mes fers,
Après beaucoup de maux soufferts.

Avec les poètes, on ne sait jamais !... Toujours est-il qu’après Cinna, quand il devait avoir à peu près trente-cinq ans, Corneille se présenta « plus triste et plus rêveur qu’à l’ordinaire » devant le cardinal de Richelieu... C’est Fontenelle, son neveu, qui a conservé l’anecdote... Le cardinal lui demanda s’il travaillait. Il répondit qu’il était bien éloigné de la tranquillité nécessaire pour la composition et qu’il avait la tête renversée par l’amour.

Terrible confidence à faire à un prince de l’Eglise et au cardinal de Richelieu précisément ! Mais Corneille était bien épris. Il raconta au cardinal « qu’il aimait passionnément une fille du lieutenant-général d’Andely, en Normandie, et qu’il ne pouvait l’obtenir de son père ». On ne voit pas très bien Richelieu mêlé à des pourparlers matrimoniaux ; ce n’était pas là son affaire. Il agit en la circonstance avec la même décision qu’ailleurs. Il manda, sans tarder, le lieutenant-général d’Andely. Le pauvre homme arriva « tout tremblant d’un ordre si imprévu, — et s’en retourna bien content d’être quitte pour avoir donné sa fille à un homme qui avait tant de crédit ».

Voilà mener rondement des négociations sentimentales et voilà se montrer, dans les choses du cœur, un homme de gouvernement !... Le grand cardinal voulait des tragédies de Corneille. L’amour empêchait le poète. Donc, il le délivra de cet amour, en lui donnant l’objet aimé. Corneille épousa Marie de Lampérière. L’année suivante. il avait une fille et il achevait Polyeucte.

Le temps passe. Corneille atteint la cinquantaine. Il s’est retiré à Rouen. Il n’est occupé que de pensées graves et de résolutions pieuses. Il semble éloigné du théâtre et de toutes frivolités. Il avait traduit en vers excessivement énergiques « l’Imitation de Jésus-Christ » ; voire, il était marguillier de la paroisse Saint-Sauveur. Tout cela est à merveille. Seulement, au printemps de 1658, vers Pâques, la troupe de Molière vint s’établir, elle aussi, à Rouen ; elle y demeura jusqu’à l’automne. La troupe de Molière !... Evidemment, Corneille a renoncé au théâtre... Oui ; mais la troupe de Molière est là. Et, que joue-t-elle, de temps en temps ? Du Corneille !...

Marquise-Thérèse de Gorla, dite Mlle Du Parc

Marquise-Thérèse de Gorla, dite Mlle Du Parc

Le marguillier de la paroisse Saint-Sauveur ne se tint pas d’aller voir un peu ces comédiens qui avaient un bon répertoire. Il fut content. Il remarqua une comédienne charmante, la demoiselle du Parc. On l’appelait « la Marquise. » Enfin, Corneille lui fit la cour... Il semble bien que la Marquise trouva le marguillier très barbon... Corneille lui adressa les vers charmants, et admirables que l’on sait :

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux...

Et il parle de ses « charmes » à lui.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux
Et, dans mille ans, faire croire
Ce qu’il me plaira de vous...

Pensez-y, belle Marquise :
Quoiqu’un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu’on le courtise,
Quand il est fait comme moi.

Il l’appelait encore, en ses poèmes gracieux, Iris. Il composa, sur le Départ d’Iris, une élégie qui a l’air de badiner et qui est triste. Cet amour l’avait rajeuni. Foucquet lui demanda d’écrire encore pour le théâtre, il déclara :

Je sens le même feu, je sens la même audace
Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace...

Et, plus tard, dans les tragédies de sa vieillesse, il mit des vieillards amoureux, desquels on ne rit pas. Il écrivit Pulchérie, et son neveu Fontenelle raconte qu’ « il s’est dépeint lui-même, avec bien de la force, dans Martian, qui est un vieillard amoureux. » Il écrivit Sertorius, où le vieux Sertorius est aimé par une jeune femme, malgré « les replis jaunissants » de son front ridé.

Quelques anecdotes et quelques vers, quelques allusions ici ou là, c’est tout ce qu’il reste des amours du grand Corneille. Il n’était pas très beau ou, du moins, en dépit du feu de son regard, il n’était pas très joli homme. Il n’avait pas une tenue très élégante. Son langage était si normand, si médiocre, qu’une princesse disait de lui qu’il fallait l’entendre à l’hôtel de Bourgogne seulement. Peut-être eût-il donné, pour plaire comme un ravissant jeune homme, ses tragédies. Pourtant, à qui lui objectait ces défauts, il répondait : « Je n’en suis pas moins, pour cela, Pierre de Corneille ! »

Il répliquait ainsi, parce qu’il possédait un bel orgueil. Mais l’orgueil est pour écarter les gens. A part lui, que se disait-il ?... Et s’il a, dans toute son oeuvre, soumis les mouvements du cœur à d’éclatantes vertus, ne se vengeait-il pas, ne se donnait-il pas le change ?

Les descendants de Corneille
Tant de génie, tant de gloire pour aboutir à tant d’infortune, pourrait-on écrire en parlant des descendants de Corneille. Sans parler de Pierre-Alexis Corneille, réduit, en 1817, à demander au ministre des finances une petite place « au nom du grand Corneille, dont il était, écrivait-il, le vrai sang en ligne directe », rappelons la pénible odyssée de Catherine Corneille. Pour venir en aide à la tante héroïque Jeanne-Marie Corneille qui, par des prodiges de privations et d’économies était parvenue à l’élever, elle et ses quatre petits frères, elle ne craint pas de paraître sur la scène, soit à Rouen, en y jouant, en 1816, le rôle de Pauline, dans Polyeucte, soit à la Comédie-Française, en y interprétant l’Emilie de Cinna, le 17 juillet 1819.

Elle y donne tout son cœur, toutes ses forces, tandis que le public, la presse, se souciant peu de sa détresse, l’accueillent par des horions, lui clamant « que le nom du père de la tragédie était un nom sacré et qu’il ne fallait point, de quelque manière que ce fût, l’exposer à l’affront des sifflets ».

« Tout, chez moi, écrit alors cette pauvre jeune fille à l’un des rédacteurs de La Quotidienne (11 juin 1816), tout chez moi a été l’objet d’une amère critique, d’une critique peu décente mon physique, ma diction ont été jugés rigoureusement, et nulle voix ne s’est élevée pour embrasser ma défense ; pas un cœur n’a soupçonné la cause réelle de mon dévouement. Les besoins de ma famille pouvaient être soupçonnés ne me destinant point au théâtre, on aurait pu se demander comment, à mon âge, et connue, je paraissais à côté des premiers artistes de la capitale. Qu’il me soit permis de leur payer en cet instant un juste tribut de reconnaissance. Ils ont saisi avec empressement l’occasion de rendre un nouvel hommage au grand Corneille, ils ont encouragé ma faiblesse ; et ce n’est pas leur faute si toutes mes espérances n’ont point été réalisées, si je n’ai pu affranchir ma tante du fardeau de toutes ses dettes.

« Puissent les hommes cruels qui n’ont point craint de me blesser au cœur, être plus justes si le cas se représentait ou une infortunée, héritière d’un grand nom, aurait encore dire Date obolum Belisario. » (Catherine Corneille)

Sans doute il était délicat d’exposer le nom de Corneille à une manifestation de ce genre, mais il était injuste et douloureux aussi de ne point venir en aide aux enfants malheureux de cet homme de génie. Triste retour des choses. Pendant que les poètes guident l’humanité vers les sommets, apaisent les maux et embellissent l’existence de millions d’êtres qui leur sont étrangers, on ne craint pas de laisser leurs enfants dans l’indigence. Corneille, qui, au dire de certains critiques, « a eu la manie de mettre de l’amour partout », n’a trouvé, chez nous, qu’ingratitude, écrit en 1906 Jeanne de Flandreysy.

 
 
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