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Guy de Maupassant : portrait son ami l'auteur René Maizeroy

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Personnages : biographies
Vie, oeuvre, biographies de personnages ayant marqué l’Histoire de France (écrivains, hommes politiques, inventeurs, scientifiques...)
Guy de Maupassant :
âme complexe, sensible,
méfiante et dénuée d’illusions...
(D’après « Le Gaulois », paru en 1912)
Publié / Mis à jour le samedi 1er juin 2013, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
« Combien d’années et d’années ont passé, depuis le jour où, dans une salle de rédaction, nous échangeâmes notre première poignée de mains, Maupassant et moi, où s’établit aussitôt entre nous une de ces amitiés profondes, confiantes, fraternelles que rien ne saurait amoindrir et ébranler et qui ne finissent qu’à la mort. Il me semble, cependant, que cela date d’hier », poursuit l’auteur René Maizeroy, qui signe en 1912 un portrait touchant de son ami disparu près de vingt ans plus tôt.

Je le vois encore, le pauvre et grand disparu, debout auprès d’une fenêtre ouverte vers quoi montait le tumulte du boulevard, la joie d’une fin de jour lumineuse et tiède, je me rappelle jusque dans les moindres détails sa silhouette et son visage.

Guy de Maupassant à l'âge de 7 ans

Guy de Maupassant

Il allait alors vers la trentaine. Il débordait de vie saine et intense. Il paraissait bâti pour renouveler les travaux d’Hercule. Il sentait la force. Un sang généreux affluait à ses joues, colorait sa nuque, empourprait ses lèvres sensuelles.

Vous n’auriez jamais cru que ce Normand robuste avait végété comme employé de troisième classe dans un ministère, affronté, à l’âge où l’on a le plus besoin de dépenser sa vigueur, de chercher au hasard sa route, de courir les aventures, l’amertume de subir les sautes d’humeur de quelque rond-de-cuir bilieux et hostile, de rester cloué devant des paperasses fastidieuses du matin au soir, avait pris sur le repos et sur le plaisir des nuits le temps qu’il lui était impossible de consacrer ailleurs aux Lettres.

De taille moyenne, la tête ronde et forte plantée sur un cou ramassé et musclé de taureau, il avait l’apparence et la carrure d’un sous-officier qui arrive d’une école de gymnastique, et aussi d’un gentilhomme campagnard qui fait valoir soi-même son petit domaine, fréquente les foires de village, ne diffère qu’à peine par un reste ineffaçable de race des fermiers avec lesquels il est sans cesse en contact.

Les rides précoces qui ravinaient son front bas me surprirent, ainsi que ses mains de vieil homme dont la peau était toute plissée, toute dégradée, toute bleuie de grosses veines. Ses cheveux châtains ondoyaient, courts et drus, au-dessus des tempes.

Ses yeux faisaient penser à des vasques où l’eau dort sur un amas de feuilles mortes. Ils brillaient profonds et veloutés. Ils changeaient continuellement d’expression, tantôt attentifs, aux aguets, sondeurs, tantôt d’une indifférence voulue, voilés de brume, perdus on ne savait où, tantôt ironiques, gouailleurs, amusés, tantôt d’une douceur pénétrante et câline, tantôt dilatés, illuminés, durcis par une flamme de désir, tantôt presque douloureux, à demi-éteints, saturés d’ennui et de lassitude. Ils révélaient une âme complexe, voluptueuse, sensible, méfiante, timide, dénuée d’illusions, réfractaire aux transports excessifs et aux complications sentimentales, qui se connaît trop bien, qui se replie sur elle-même, qui redoute de se livrer, de s’encombrer de vaines tendresses, qui demeure toujours et partout en défense.

Sa voix avait des inflexions lentes et graves, s’assourdissait par instants comme oppressée et meurtrie, traînait sur les syllabes finales, teintée d’un accent de terroir et un peu zézayante. Un rire saccadé, artificiel, inoubliable scandait certaines de ses phrases.

C’était à l’époque qui fut la meilleure de sa vie brève et tourmentée. La fortune commençait à lui sourire. Il avait loué sur le chemin de halage, à Sartrouville, une petite maison blanche qu’entouraient des tilleuls. A dix pas de la grille fleurie de vigne vierge, parmi les nénuphars, les joncs souples, les aigrettes rosés des salicaires, trois yoles longues et fines se balançaient, amarrées aux chaînes d’un lavoir. D’un côté se déroulait et miroitait la Seine, avec ses processions de chalands, ses essors de voiles blanches, ses reflets multiformes, ses nuances de vieille soie, apparaissaient masquées par les arbres et les charmilles, les villas de Maisons-Laffitte, de l’autre, les coteaux de La Frette couverts de lilas, la forêt de Saint-Germain.

Le torse et les bras nus, nous partions sans but, descendant ou remontant le courant, glissant, durant des heures, au bruit cadencé des avirons, de même qu’un argyronète. O la-féerie splendide des aubes nacrées où le soleil semble une rosé jaune qui se déplie au loin, pétale par pétale, où les feuilles paraissent translucides, vous donnent l’impression qu’elles ¡:vous regardent ! O l’émouvante extase des soirs magnifiques où la nuit tombe comme à regret pailletée d’étoiles vagues, où sur les berges obscures les crapauds préludent, clochettes de cristal aux tintements mélancoliques, où dans la houle des arbres chantent, à la fois, concert éperdu, des milliers de rossignols ! O les belles choses que Maupassant me disait alors avec de la ferveur et de l’angoisse sur l’enchantement et sur le mystère de l’Eau, le regard de vertige qu’il avait en s’exaltant !

La yole dérivait comme une épave, les longs avirons collés à ses flancs, les minutes s’écoulaient telles qu’en un songe et soudain, il se ressaisissait et s’exclamait, irrité d’avoir rêvé tout haut, de s’être abandonné, exagérant à dessein cette brusque fausse note : « Crois-tu que nous sommes assez romance ? »

Des camarades s’invitaient de ci de là, amenaient leurs petites amies de cœur ou d’occasion. Et dans le salon meublé tant bien que mal de fauteuils de jardin, de divans aux ressorts usés, aux coussins rapiécés et où les accessoires peinturlurés naguère par l’aquarelliste Leloir pour une pièce bouffonne d’atelier décoraient les murs, l’on remuait des souvenirs d’insoucieuse bohème, d’exubérante gaieté, de passionnettes éphémères, de fabuleuses gageures, de farces énormes.

Celui-ci racontait les dimanches bruyants et allègres d’Argenteuil, les parties bouffonnes dans des canots loués au garage, les nuits folles où la bande s’entassait pêle-mêle dans une chambre de guinguette, tirait au sort les deux lits dont se composait le mobilier.

D’autres se remémoraient Bezons, la mère Poulain et le logis hasardeux qu’elle louait vingt francs par mois, le lancement de la yole qui avait été baptisée au Champagne par Mouche, une ingénue de Montmartre, des trottins jolies, des élèves du Conservatoire qui leur avaient joué au pied levé la comédie de l’amour et la Société des Crépitiens, qui avait emprunté son nom à Crepitus, le petit dieu malséant auquel Flaubert fait réciter un couplet emphatique dans la Tentation de saint Antoine.

Les paupières à demi closes, le coude appuyé à la table où s’étalaient de grandes feuilles de papier noircies d’une large et ferme écriture et surchargées par places de ratures, de corrections, Maupassant les écoutait, songeait, s’efforçait de rester à leur diapason, d’égaler leur entrain.

Qu’il se sentait déjà changé et assagi ! Qu’ils lui paraissaient déjà lointains les jours où, gai luron, faune narquois et querelleur échappé de la forêt natale, il menait le jeu, il se délectait à mystifier et à persécuter les faibles, les sots et les fâcheux, il augmentait son répertoire de facéties nouvelles, de méchants tours, il s’ingéniait à imiter Henri Monnier, il avait adopté ce nom bourgeois d’aspect rassurant et débonnaire : Joseph Prunier !

Guy de Maupassant

Guy de Maupassant à l’âge de 7 ans

Que tout cela pourtant l’avait amusé, les épreuves burlesques d’initiation à ces Crépitiens dont il avait établi, article par article, le code, les ahurissements et les déconvenues d’un pauvre diable d’expéditeur au ministère de la marine, facile à berner, apte à servir de tête de Turc et qui avait failli en perdre la raison, les parades de force, les courses d’écluse en écluse jusqu’à ce qu’il fût à demi-mort de fatigue, les randonnées téméraires que, pour économiser le prix d’un billet de troisième, il faisait le samedi, en pleines ténèbres, de la porte d’Asnières au barrage de Bezons, à travers les terrains vagues, par des chemins incertains, tout seul, s’exposant à quelque attaque de rôdeurs, savourant dans sa plénitude la sensation âpre et aiguë de frôler et de défier le péril, de sentir jusqu’au fond de l’être la piqûre de la peur, et préparant d’avance le récit dramatique qu’il ferait à l’arrivée ! Ah ! jeunesse, jeunesse !

Dans ce coin paisible de banlieue, Maupassant écrivait lentement, soigneusement son premier roman : Une Vie, où il accrochait, disait-il, tous ses portraits et tous ses paysages de famille et qui porte pour épigraphe ces simples mots : L’Humble Vérité. Et soit, lorsque ayant abordé dans une de ces îles où les saules entrelacent leurs branches, forment des alcôves vertes, nous fumions couchés sur l’herbe épaisse et fraîche, soit à l’auberge de Sartrouville lorsque la servante apportait à la fin d’un dîner plantureux la bouteille de vieux calvados, il m’entretenait avec un secret orgueil de son enfance, de ses parents.

Il était né par un soir resplendissant d’août près de Dieppe, au château de Miromesnil, une demeure seigneuriale qui datait de la Régence et dont la façade majestueuse, décorée de pots à feu et de balustres, faisait face à la mer grise et verte, se détachait sur une ceinture de hêtres et d’ormes vénérables, allongeait son ombre au milieu d’un tapis vert à la française. Le grand-père de Guy n’aimait au monde que la table, la chasse et les tendrons, se laissait vivre égoïste, prodigue et fastueux, eût répondu volontiers aux mercuriales apeurées des siens par la phrase célèbre : « Après moi le déluge ! »

Une nuit d’hiver, ayant entendu des loups hurler sous les cinglées de la bise et de la neige, il avait sauté hors de son lit, s’était précipité dans le parc coiffé de son madras, vêtu n’importe comment et le fusil à la main. Et à cause de cette imprudence, le vieil hobereau n’avait pas réussi à dépasser, comme il y comptait bien, la quatre-vingtaine.

Mme Laure de Maupassant était née Le Poittevin, d’une excellente famille de bourgeoisie. Sensible, instruite plus que le commun des jeunes filles, faite pour des labeurs calmes, pour de tendres intimités, affectueuse, intelligente, elle avait eu le tort de céder à l’ambition de s’anoblir, s’était laissé séduire par un beau nom sonore et batailleur, par la prestance et les façons d’un homme qui ne voyait en cette affaire qu’une dot à mettre en comptes courants et qui avait hérité sans en perdre en route les tares ancestrales.

Le résultai avait été navrant, la déception et la rupture presque immédiates. Mère douloureuse et admirable, elle avait repris, sans avoir d’ailleurs à lutter pour y parvenir, ses deux fils et les avait élevés à son image.

Guy l’adorait éperdument, n’en parlait qu’avec une émotion profonde et une ferveur respectueuse, admirait son esprit si droit, si affranchi, si limpide. Il lui demandait sans cesse des conseils. Il lui soumettait tout ce qu’il écrivait. Il s’inquiétait follement dès que, minée par une inguérissable neurasthénie, elle éprouvait quelque trouble cardiaque, quelque défaillance. Seule elle a eu en gage et possédé, vraiment et entièrement, ce cœur insaisissable.

Et je suis certain que, sans oser se l’avouer à lui-même, ce fils passionné souffrait cruellement de partager avec un autre l’affection de cette créature d’élite, de s’imaginer qu’elle n’établissait peut-être aucune différence entre lui, son portrait vivant, la chair de sa chair, le reflet de son cerveau, et son cadet, cette tête brûlée d’Hervé qui se contentait d’avoir de l’allure et du chic et ne put arriver à rien.

Et je me suis rappelé tout cela en apprenant que le conseil municipal de Sartrouville a décidé pieusement de donner à une des rues du village le nom glorieux de celui qui fut mon ami le meilleur.

 
 
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