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Bruit : fléau de la civilisation moderne. Plaintes et environnement bruyant, travail intellectuel, repos

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Bruit (Le) : fléau moderne
dénoncé voici un siècle
(D’après « Le Petit Parisien », paru en 1913)
Publié / Mis à jour le dimanche 26 janvier 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
C’est dans les premières années du XXe siècle qu’un chroniqueur du Petit Parisien s’interroge sur ce qu’il considère être un fléau moderne : le bruit, omniprésent, sur la terre et dans le ciel ; un bruit nuisant tant à la production intellectuelle que des écrivains célèbres s’en émeuvent et intentent des procès ; un bruit empêchant aux âmes éprises de tranquillité de goûter à la quiétude et au silence.

Un aristocratique poète, M. de Montesquiou, vient d’intenter à la municipalité d’une des communes de la région parisienne un singulier procès, rapporte notre journaliste. L’écrivain avait loué une maison à la campagne afin de pouvoir y travailler à son aise, loin de tous les bruits. L’on sait que le culte des muses est particulièrement secret ; l’inspiration, cette hôtesse un peu trop sensible, s’effarouche vite ; elle part à la moindre alerte ; on ne sait jamais quand elle reviendra.

Or M. de Montesquiou eut une bien désagréable surprise. Quand la fête de la commune vint élever ses estrades et ses boutiques foraines, son emplacement se déroula contre le jardin du poète, presque sous ses fenêtres. L’écrivain demanda qu’on fît chanter les orphéons ailleurs et que les tirs fussent transportés à quelques centaines de mètres de chez lui. La municipalité s’y refusa ; l’affaire est ainsi portée devant les tribunaux. M. de Montesquiou soutient que les bruits l’empêchent de travailler de sa profession, qui est d’écrire des poèmes, comme au charpentier de tailler des planches.

Ce n’est pas la première fois qu’un écrivain, qu’un poète se plaint des bruits de la rue ou des maisons environnantes. Il y a, dans l’histoire des lettres, des exemples illustres de rimeurs qui ne pouvaient travailler s’ils entendaient le moindre bruit. En France, Béranger s’est insurgé dans des vers mémorables contre les tambours :

Terreur des nuits, trouble des jours,
Tambours, tambours, tambours, tambours,
M’étourdirez-vous donc toujours,
Tambours, tambours, maudits tambours ?

Nombreux sont les poètes qui ne peuvent travailler que dans la solitude : comme on l’a dit avec vérité, l’exil fut peut-être salutaire au génie de Victor Hugo, en le forçant à la méditation. M. Edmond Rostand ne peut imaginer ses ouvrages dramatiques, les construire et les reprendre lentement que dans sa réclusion de Cambo.

Il est deux écrivains étrangers qui se sont élevés avec véhémence contre tous les bruits ennemis du travail intellectuel. En Angleterre, c’est Carlyle, l’illustre historien des héros de l’humanité. Son biographe et ami Anthony Froude raconte que l’une des principales fonctions de sa femme était d’obtenir, par persuasion ou autrement, la mort ou tout au moins l’exil des poules, coqs, chats, chiens et perroquets vivant dans le voisinage. Elle montait la garde autour du grand homme. D’ailleurs, Carlyle avait prévenu sa femme, avant le mariage, qu’elle devait avant tout fermer la porte à ceux qu’il appelait les « intrus nauséabonds ». Il ajoutait, même à la fin de sa vie : « Je me sens assez de vigueur pour expédier ce gibier-là à la douzaine et de la façon qu’il n’y revienne jamais. » Il avait exprès choisi une maison exiguë, ne pouvant contenir à la fois d’un très petit nombre de visiteurs.

Il est un autre écrivain, célèbre, moins par l’unité de ses vues philosophiques que par ses boutades sur les femmes et la société, Schopenhauer, qui écrivit un opuscule contre les bruits qui troublent l’activité du penseur. Parmi eux, celui qui, à son avis, est le plus terrible, c’est le claquement de fouet. Schopenhauer le trouve agaçant et inutile. Quand il l’entendait, de son cabinet de travail, il lui semblait que la mèche du fouet touchait son cerveau. Il l’accuse de paralyser le cerveau, de déconcerter la raison, de tuer la pensée.

Chez lui, il traverse ses méditations aussi douloureusement que le glaive du bourreau sépare la tête du tronc. Il trouve de plus le coup de fouet inutile, d’abord parce que les animaux s’y habituent et qu’on les mènerait mieux par la voix si l’on savait les éduquer dans ce sens. Il voudrait que tout postier qui fait claquer son fouet soit condamné à recevoir au moins cinq coups de bâton. Et ce qui irrite par-dessus tout le philosophe, c’est d’avoir vu des palefreniers sans monture agiter quand même leur fouet pour le seul plaisir d’agacer les passants. Schopenhauer poursuit encore de sa colère les cris d’enfants, les aboiements de chiens et les coups de marteau. Il est vrai que tous ces bruits ne sont guère propices à la production intellectuelle, mais il est des maux avec lesquels il faut vivre, puisqu’on ne peut les éviter.

Schopenhauer ne s’est élevé, avec sa verve sarcastique, amusante du reste, que contre un petit nombre de bruits ; que dirait-il si, revenant parmi nous, il habitait une rue mouvementée de Paris ? Les coups de fouet ne sont pas, de nos jours, les plus redoutables : il y a les sons de trompe des automobiles, les ronflements des moteurs qui font trembler nos maisons avec leur trépidation continue.

Du temps du philosophe allemand, rares étaient les pianos ; aujourd’hui, l’on en trouve partout, à tous les étages, depuis la loge de la concierge jusqu’à l’atelier du sixième. Ce ne sont que bruits de gammes, exercices sur un doigt des débutants. Il y a encore les bruits de l’ascenseur, qui étaient de son temps, tout à fait ignorés. On peut dire que de plus en plus les villes deviennent bruyantes, inhabitables aux tempéraments nerveux. On ne sait qu’imaginer, de nos jours, pour rechercher le repos. À New-York se sont organisés, ces derniers temps, des clubs de silence. Il est tout à fait défendu, sous pleine d’exclusion, de troubler la quiétude de son voisin, d’éveiller son attention par des propos même raisonnables.

Il faudra bien que Paris suive l’exemple de certaines villes étrangères, où l’on a combattu le bruit avec ténacité. Il est, en effet, des municipalités qui ont interdit, sous peine de fortes amendes, et parfois de châtiments personnels, de se livrer, en plein jour, à des tapages ou à des bruits de nature à produire l’émotion et à troubler les habitants.

L’on sera sans doute fort étonné d’apprendre que des efforts très sérieux furent tentés dans ce sens à Scutari. Dans cette ville, qui compte 80 000 âmes, il est absolument défendu aux cochers de faire claquer leur fouet et d’échanger entre eux certaines aménités que nous avons souvent entendues. Les camelots, les marchands ambulants n’ont pas le droit d’annoncer à grands cris leurs objets à vendre.

Les mêmes ordres ont été donnés à New-York ; le préfet de police a récemment donné à ses dix mille agents des instructions précises et sévères en vue de diminuer le tumulte assourdissant des rues, qui met parfois en péril les personnes maladives et trouble les facultés des vieillards. Défense fut faite aux steamers, dans le port, de faire retentir sans nécessité urgente leurs sifflets et leurs sirènes. À Londres, des précautions ont été prises dans le même but. Il semble bien qu’aux Parisiens, un grand nombre de bruits pourraient être épargnés. Paris devient l’une des villes les plus bruyantes du monde. Dans le code pénal, il existe un article où les auteurs ou complices de bruits et tapages nocturnes troublant la tranquillité des habitants doivent être poursuivis. Cet article est rarement appliqué et l’on pourrait ajouter le mot « diurnes », car les bruits de la journée sont au moins aussi insupportables à certaines oreilles que les bruits de la nuit.

Il est bien difficile, de nos jours, d’éviter les bruits, ennemis du travail intellectuel, du repos du corps et de l’esprit. Si l’on veut les fuir, on les retrouve en un autre endroit. Autrefois, l’on était à peu près certain de vivre dans la quiétude à la campagne, mais les automobiles passent partout et les bruits des moteurs poursuivent les humains, quels que soit la retraite où ils vont se cacher. Peu à peu, aussi, les moyens mécaniques sont substitués à la main-d’œuvre, et les batteuses l’été, dans les cours des fermes, troublent durant des journées entières cette paix des champs, si douce aux âmes éprises de tranquillité.

Il ne reste plus que la montagne ; mais un jour viendra qui n’est pas loin où le bruit des moteurs troublera les pèlerins de la solitude qui n’ont pas craint d’aller la chercher à des milliers de mètres dans les neiges. Le bruit est le principal ennemi de nos jours, sur la terre et dans le ciel. Un de nos aéronautes les plus distingués, M. Léon Barthou, n’a-t-il pas dit un jour que maintenant, avec les dirigeables et les aéroplanes, la paix, la quiétude, le silence impressionnant qu’en ballon libre l’on goûtait dans le ciel sont irrémédiablement perdus ? Où donc aller chercher le silence, maintenant ?

C’est l’un des problèmes les plus ardus à résoudre. Au Japon, une île est consacrée à la méditation ; nul bruit ne trouble sa sérénité ; quand une femme est sur le point d’accoucher, on l’éloigne. Devra-t-on s’y rendre pour vivre loin du bruit des hommes et des choses, ou bien, à l’imitation des Nippons, devra-t-on, à notre tour, établir l’île ou le département du silence ?

 
 
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