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9 février 1902 : les deux soeurs « siamoises » Radica et Doodica séparées par le chirurgien Eugène Doyen

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Événements marquants
Evénements ayant marqué le passé et la petite ou la grande Histoire de France. Faits marquants d’autrefois.
9 février 1902 : les deux soeurs
« siamoises » Radica et Doodica séparées
par le chirurgien Eugène Doyen
(D’après « Le Figaro » du 10 février 1902
et « La Chronique médicale » de 1909)
Publié / Mis à jour le jeudi 9 février 2012, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 5 mn
 
 
 
Objets d’attraction du cirque américain Barnum installé fin 1901 à Paris, les sœurs xiphopages Radica et Doodica sont transportées en urgence à l’hôpital Trousseau début février 1902 — la plus frêle souffrant de péritonite tuberculeuse — avant d’être transférées à la clinique privée du chirurgien Eugène Doyen, qui le 9 réalise leur séparation, l’événement faisant la Une de nombreux journaux comme Le Matin, Le Petit Parisien ou encore Le Figaro au sein duquel le journaliste Thomas Beyle se charge de fournir à ses lecteurs un compte-rendu circonstancié

Radica et Doodica ont été opérées hier, presque à l’improviste, écrit-il. Nous avons vu le docteur Doyen, qui a réussi brillamment cette difficile opération, et il a bien voulu nous en donner une description détaillée. Cet exact récit initiera nos lecteurs aux détails d’un « cas » assez rare dans les annales de la chirurgie.

Oui certes, il est rare, nous dit le distingué praticien, car la séparation des monstres viables et bien conformés, soudés deux à deux par un large pont de tissus au niveau de la fourchette du sternum, et scientifiquement appelés xiphopages, a été longtemps considérée comme impraticable. « Les opérations qu’on en cite sont celles de Kœnig, en 1689 ; de Boehm, en 1866, qui opéra ses propres filles et ne put en sauver qu’une ; celle des sœurs Marie-Adèle, opérées sans succès en Suisse, en 1882 ; enfin l’opération faite le 30 mai 1900 par le docteur Chapot-Prévost sur deux petites Brésiliennes âgées de sept ans, dont l’une succomba le sixième jour, et dont l’autre guérit parfaitement.

Eugène Doyen

Eugène Doyen

« L’opération que j’ai dû pratiquer d’urgence aujourd’hui a été entreprise dans des conditions exceptionnellement défavorables, puisqu’il s’agissait de séparer deux sujets tuberculeux, l’un plus gravement atteint et presque mourant. Je n’ai eu d’autre but, en entreprenant cette opération grave, que de sauver l’existence de l’une au moins de ces charmantes fillettes, s’il en était encore temps. Je n’ai pas pu opérer plus tôt, car elles étaient beaucoup trop faibles le jour où on me les a amenées. »

Ici, j’interromps le docteur Doyen, écrit Thomas Beyle. On s’est un peu étonné de les voir enlever brusquement de l’hôpital où on les avait conduites. Pour quelle raison ? La chose est cependant bien simple. « Ces enfants avaient été amenées à l’hôpital Trousseau avec l’assentiment de Mme Colmann, leur mère adoptive, qui les a réclamées, comme elle en avait le droit, parce qu’elle a jugé convenable de le faire. Mme Colmann, qui est la tutrice légale des deux fillettes, m’a prié de les recevoir dans ma maison de santé, afin que les petites malades, qu’elle aime beaucoup, soient mieux soignées et puissent échapper à des examens répétés, comme il est d’usage dans les hôpitaux.

— Et l’opération a réussi ?

— Exceptionnellement courte, elle a duré, pour les deux enfants, en tout vingt minutes. Elle a été pratiquée de la façon suivante. »

Ici, poursuit Beyle, j’écris sous la dictée du docteur Doyen :

— Les deux sœurs, placées sur une table recouverte d’un drap stérilisé, et moi à leur droite, j’ai commencé par sectionner la peau, en avant du pont de jonction. Il y avait en haut une voûte cartilagineuse d’une certaine épaisseur. Il m’a suffi de la couper au bistouri. Deux veinules seulement furent liées. Le péritoine fut incisé, et la bande hépatique, qui existe toujours en pareil cas, se trouva mise à découvert. Il y avait quelques adhérences du côté de Doodica, qui — le diagnostic avait été établi auparavant — était atteinte de péritonite tuberculeuse. Les poumons sont d’ailleurs légèrement contaminés chez les deux sœurs — un peu plus chez Doodica — et Radica présente au cou des plaies suppurantes de ganglions tuberculeux. L’état de faiblesse des petites malades nécessitait des précautions inouïes, particulièrement du côté de la chloroformisation qui avait été pratiquée, comme il est habituel en ma clinique, après anesthésie au chlorure d’éthyle. Le pont hépatique avait sept centimètres de largeur sur quatre d’épaisseur ; il paraissait très vasculaire.

« C’était le cas d’employer ma méthode originale d’hémostase par l’écrasement extemporané du pédicule hépatique avec ma pince à double levier qui donne instantanément sous le simple effort de la main, une pression de deux mille kilos. L’écrasement fut pratiqué avec une grande prudence, et réussit admirablement. Le pédicule, qui était très court, fut coupé entre cette première ligature et Doodica, et trois artères volumineuses furent immédiatement pincées et liées. L’hémostase fut complétée, du côté de Doodica, par deux ligatures en chaîne. Le feuillet postérieur du péritoine, celui du côté de Doodica, fut coupé, et ensuite la peau en quelques coups de ciseaux. Doodica, libre, fut emportée sur une table voisine, une compresse placée dans la plaie, et la peau refermée provisoirement avec des pinces à griffes.

« L’opération fut alors terminée sur Radica ; la paroi abdominale fut suturée, en prenant soin de laisser pour le drainage une petite mèche de gaze stérilisée. Radica fut pansée et remise à une religieuse qui la porta dans un lit bien chauffé. Doodica fut alors replacée sur la table d’opération ; les pinces qui fermaient provisoirement le ventre furent enlevées, ainsi que la compresse qui protégeait le péritoine. Comme il existait en ce point du péritoine des lésions tuberculeuses manifestes, la toilette de la séreuse fut pratiquée avec soin, et le ventre refermé, en prenant la précaution de laisser, comme chez Radica, une petite mèche pour le drainage. La perte de sang totale peut être évaluée, pour toutes les deux à la fois, à vingt ou trente grammes.

— C’est à leur réveil, interroge le journaliste, qu’elles ont dû manifester une certaine surprise ?

— Les petites malades, qui avaient éprouvé un certain choc traumatique au moment de leur séparation, reprirent très vite connaissance, continue M. Doyen. Chacune dit alors : J’ai mal à ma membrane ! Au bout de quelque temps, Doodica la première, puis toutes deux, dirent ensemble : On nous a séparées. Le pouls battait à 84 pour Radica, et à 116 pour Doodica. La température était de 37°2 pour l’une et l’autre. On peut conclure que l’opération, telle que je l’ai pratiquée, ne présenterait pas plus de gravité qu’une ovariotomie simple, si elle était faite sur des sujets bien portants.

Radica et Doodica après l'opération

Radica et Doodica après l’opération

« Dans le cas actuel, la tâche était assez ingrate, et il est évident que les suites de l’intervention, si elles ne sont pas favorables, auront été fâcheusement influencées par le mauvais état des deux fillettes. » M. Doyen nous donne encore cet intéressant détail :

— Le matin, avait été faite une dernière épreuve, celle du bleu de méthylène, pour juger de l’importance des communications vasculaires entre Radica et Doodica : Doodica, la plus, malade, avait bu dans du cassis une petite quantité de bleu de méthylène ; on sait que cette substance colore rapidement en bleu verdâtre les urines. Au bout de deux heures, on put obtenir de l’urine des ̃deux fillettes ; Radica, qui n’avait pas pris de bleu de méthylène, avait des urines presque aussi colorées que Doodica il y avait donc des communications vasculaires importantes entre les deux sœurs. Cette constatation acheva de me déterminer à opérer sans retard, comme le désirait d’ailleurs Mme Colmann.

« Mais voici qui est curieux : cette vaste membrane cutanée, qui les réunit, n’est produite que par le tiraillement des tissus. Ceux-ci se rétractent dès que les sujets xiphopages sont séparés, de telle sorte que, la suture de la peau terminée, il ne reste, pour seule trace de l’opération, sur chacun d’eux, qu’une suture linéaire allant de l’appendice xyphoïde, légèrement saillant, à l’ombilic, qui a repris exactement sa place normale et dont il reste une moitié sur chaque sujet. Je puis dire que, si ces deux enfants vivent encore, elles le doivent à la rapidité de l’opération et à la méthode toute personnelle qui m’a permis d’éviter la moindre perte de sang. »

Dans la soirée, nous avons fait prendre les nouvelles des deux opérées. Les bulletins suivants nous ont été communiqués :

10 heures du soir. Les deux enfants vivent et sont en aussi bon état que possible.

Une heure. L’état des deux enfants demeure satisfaisant.

En dépit des soins et de l’attention dont elle furent entourées, Doodica mourut le 16 février 1902, sa sœur lui survivant un an et demi.

Les « ancêtres » de Radica et Doodica étaient jadis considérés comme des monstres. La gravure dont nous donnons ci-dessous la reproduction appartient à un ouvrage intitulé : Le grand Théâtre historique ou Nouvelle histoire universelle tant sacrée que profane depuis la création du monde jusqu’au commencement du XVIIIe siècle (1703). Sous la rubrique « Histoire naturelle », se trouvent relatés les faits suivants (période de 1572 à 1614), qu’illlustre d’une façon plus ou moins fantaisiste la gravure :

Gravure du Grand Théâtre historique

Gravure du Grand Théâtre historique

« Il naquit à Paris un monstre dont la partie supérieure du corps était double. Il avait deux poitrines, deux têtes, quatre bras et quatre mains, mais en approchant du ventre ces deux corps se réunissaient. Ce monstre devint grand, et quand il eut atteint l’âge d’homme, il avait assez d’entendement ; la partie qui semblait être crue au corps vivait à la vérité, mais elle n’avait aucun mouvement. Ce monstre voyagea par le monde et se fit voir pour de l’argent. On en vit un à peu près semblable en Ecosse, dont les deux corps avaient de l’entendement, et étaient la plupart du temps en discorde et en différend l’un contre l’autre. »

Le monstre décrit se trouve à droite, au premier plan de la gravure. Le couple semble terrifié par l’approche d’un très jeune triton, assez peu mythologique, plus grimaçant que menaçant. A gauche le monstre d’Ecosse, probablement. Confortablement assis, en robe de chambre, l’homme-loup, ou l’homme-cochon, ou l’homme-sanglier : on songe à l’Ile du docteur Moreau, de Wells. Une illustration tératologique de pure imagination complète le tableau.

 
 
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