Proverbe, expression populaire : Des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer. Origine, signification

Dans la bouche le palais de chacun est affecté différemment par les aliments et les boissons que l’on y introduit ; on ne peut donc contester ni disputer à personne la sensation éprouvée, parce que le goût dépend de la condition particulière de i’organe de chacun. Il en est de même des impressions d’optique que perçoit la vue : ces impressions dépendent de l’excellence de ce sens chez chacun de nous et de la situation où l’on se trouve. Ce qui se passe sous le rapport matériel se passe également sous le rapport intellectuel et moral, car les différences d’appréciation sont encore là plus facilement discutables. Il y a des règles d’après lesquelles un ouvrage est beau.

Il n’est, en conséquence, pas logique d’essayer de convertir les autres à sentir, à voir, à penser comme soi ; il peut en survenir des divergences qui se traduisent souvent en sentiments hostiles. Ce conseil est d’autant meilleur à suivre que la dispute la plus vive, la discussion même la Savante et la plus claire, arrive bien rarement, pour ne pas dire jamais, à changer l’opinion d’une personne ou même à modifier ses goûts. Dans l’ordre moral et intellectuel, il existe des anomalies qu’il est tout à fait superflu de combattre, et c’est presque de la folie de l’essayer.

L’origine de ce proverbe remonte déjà à plusieurs siècles ; car, au Moyen Age, c’était déjà un proverbe de scolastique que l’on énonçait ainsi : De gustibus et coloribus non est disputandum, dont la traduction littérale est devenue notre proverbe qui est un des plus sensés, en ce qu’il est avéré que chacun possédant des goûts et des penchants particuliers, et une tendance d’esprit différente, il est attentatoire à la liberté individuelle d’y mettre obstacle, si, toutefois, la satisfaction de ces goûts et de ces penchants ne doit pas nuire à autrui. Tous les goûts sont dans la nature a dit un vieux proverbe français.

On trouve chez les Latins l’appréciation sur ces sujets de deux de leurs poètes ; voici la pensée d’Horace : Quot capitum vivunt, totidem studiorum millia (Autant de têtes, autant de milliers de goûts) ; ou encore : Quot capita, tot sensus, ce qui signifie : Autant de têtes autant d’avis différents.

Voici celle de Virgile : Trahit sua quemque voluptas, ce qui veut dire : Chacun se laisse entraîner par ses goûts. Voltaire a expliqué ainsi ce proverbe : « On dit qu’il ne faut pas disputer des goûts, et on a raison parce que l’on ne peut pas corriger un défaut d’organes, quand il n’est question que du goût sensuel se manifestant par la répugnance pour une certaine nourriture ou de la préférence pour une autre. Il n’en est pas de même dans les arts : comme ils ont des beautés réelles, il y a un bon goût qui les discerne et un mauvais goût qui les ignore. Il y a aussi des âmes froides, des esprit faux qu’on ne peut ni réchauffer ni redresser. C’est avec eux qu’il ne faut pas disputer des goûts parce qu’ils n’en ont point. »