Histoire de France, Patrimoine, Tourisme, Gastronomie, Librairie
LE 16 avril DANS L'HISTOIRE [VOIR]  /  NOTRE LIBRAIRIE [VOIR]  /  NOUS SOUTENIR [VOIR]
 
« Hâtons-nous de raconter les délicieuses histoires du
peuple avant qu'il ne les ait oubliées » (C. Nodier, 1840)
 

 
NOUS REJOINDRE SUR...
Nous rejoindre sur FacebookNous rejoindre sur XNous rejoindre sur LinkedInNous rejoindre sur VKNous rejoindre sur InstragramNous rejoindre sur YouTubeNous rejoindre sur Second Life

106 av. J.-C. : naissance de Cicéron (Marcus Tullius).

Vous êtes ici : Accueil > Éphéméride, événements > Janvier > 3 janvier > 106 av. J.-C. : naissance de Cicéron
Éphéméride, événements
Les événements du 3 janvier. Pour un jour donné, découvrez un événement ayant marqué notre Histoire. Calendrier historique
106 av. J.-C. : naissance de Cicéron
Publié / Mis à jour le jeudi 12 novembre 2009, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 13 mn
 

Cicéron représente à lui seul presque tous les genres de gloire de l’antiquité. Intègre et courageux magistrat, surnommé père de la patrie, savant jurisconsulte, le prince des rhéteurs, ou pour mieux dire le vrai législateur de la rhétorique, philosophe supérieur, soit qu’il résume les théories subtiles de la métaphysique de son temps, soit qu’à l’exemple de Socrate, rappelant du ciel sur la terre les enseignements de la sagesse, il trace à l’humanité toutes les règles du devoir, la console de ses infirmités, l’invite aux plus nobles sentiments de l’âme ; infatigable avocat dans les combats judiciaires, hardi politique dans les délibérations du sénat, orateur partout, et si parfait orateur qu’il a donné son nom aux plus belles formes de l’éloquence. Si à cette foule de talens, que leur emploi transforme en autant de vertus, se sont mêlées quelques faiblesses de caractère, elles deviennent pour ce grand homme un titre de plus à notre admiration, et peut-être surtout à notre sympathie, lorsque nous le voyons, avec la candeur naturelle aux génies sublimes, déposer la confidence de ses torts, de ses petites passions, de ses mouvements de pusillanimité dans des lettres familières, précieux modèle du style épistolaire, curieuse et unique révélation de l’état misérable d’une société qui dominait le monde. Ce sauveur des Romains était sorti de la même ville que Marius, qui fut leur bourreau. Il naquit dans Arpinum, ville municipale des Volsques, d’une famille sans illustration, mais où le titre de chevalier romain était cependant héréditaire. La crédule antiquité n’a pas manqué d’entourer sa naissance des prodiges qui arrivaient toujours à propos pour prédire la gloire des grands hommes, quand cette gloire était déjà établie ; mais, dès son enfance, il sembla se prédire lui-même, par un prodige plus naturel, le succès brillant de ses premières études. Déjà le respect et la déférence de ses condisciples lui offraient une image anticipée du rang qu’il devait occuper dans la république. Au sortir des écoles, tout en continuant les travaux auxquels sa vocation l’appelait, il tenta la poésie et la fortune militaire : heureux d’y avoir renoncé de bonne heure ! il avait vingt-sept ans lorsqu’il plaida sa première cause, et cet essai de son talent fut un acte de généreuse audace : il défendait un jeune orphelin contre Chrysogonus, l’affranchi tout-puissant du dictateur Sylla. C’est sous la hache des proscriptions qu’il réclame les droits de la liberté, qu’il proteste contre l’oppression qui a subjugué le peuple romain. Il sauva son jeune client ; mais, s’il faut en croire Plutarque, il fut obligé de se dérober par la fuite au châtiment de cette belle action.

Son exil fut studieux : il visita la Grèce et l’Asie mineure ; il séjourna dans Athènes, antique patrie de l’éloquence ; il s’exerça devant les héritiers naturels de l’art de Platon et de Demosthènes ; et déjà un Rhodien, qui avait été son maître, déplorait, en l’écoutant, le sort de cette Grèce conquise par les armes, et menacée d’une dernière défaite dans la seule gloire qui lui restât. Revenu à Rome au bout de deux ans, il compléta son éducation oratoire en se faisant instruire, par les célèbres acteurs eopus et Roscius, dans ce que les anciens appelaient l’action, dans cette recherche des gestes nobles, des attitudes et mouvements passionnés, science tant recommandée par Démosthènes, et si nécessaire pour agir sur une populace tumultueuse, plus facile à prendre par les yeux que par l’esprit.

A l’âge de trente et un ans (an de Rome 676), il fut élevé à la questure, le premier degré des honneurs. L’année suivante, il l’exerçait en Sicile, lorsqu’une disette, que causaient dans Rome les incursions maritimes de pirates, lui donna l’occasion de nourrir, par de fréquents envois de blé, la capitale du monde, qu’il devait sauver par son génie. Jeune encore et sans expérience, il s’attendait, pour ce bienfait, à la reconnaissance de ses concitoyens : il rêvait déjà la gloire. Une anecdote, qu’il raconte lui-même avec toute l’ingénuité d’un amour propre déçu, lui ôta son illusion, et lui prouva combien les hommes sont indifférents aux services qu’on ne leur fait pas valoir. Ce fut une leçon profitable pour sa sagesse ou pour sa vanité. Dès que j’eus compris, dit-il, que le peuple romain fait l’oreille sourde et l’œil vigilant, je ne songeai plus à faire aller jusqu’à lui des récits de ma conduite, mais à frapper tes yeux de ma présence. J’habitai dans ses regards ; je fatiguai le Forum de mes pas, et jamais l’accès de ma personne ne fut interdit ni par mon portier, ni par mon sommeil. Grand exemple que nous recommandons aux hommes d’état !

Bientôt Cicéron exerça un puissant patronage. Cette même Sicile, dont il avait cru rapporter une célébrité toute faite, lui fournit, quelques années après, une éclatante occasion de renommée et d’influence. Nous n’entrerons pas dans les détails de l’accusation de ce Verres, impudent et cruel spoliateur d’une contrée nourricière de Rome. Cicéron, encore sans titre, lutta contre des intrigues parties de très haut. Il opposa au talent accrédité d’Hortensius une présence d’esprit et une verve d’ironie irrésistibles, et son zèle accumula tant de témoignages, qu’il fit peur à un accusé prêt à payer comptant son absolution : Verres prévint le jugement par un exil volontaire. Cicéron n’avait pourtant pas encore composé ces belles Verrines, chefs-d’œuvre d’une éloquence méditée dans le recueillement, mais peut-être moins persuasives qu’un premier jet d’indignation. Bien différent de cet historien qui avait fini son récit quand les renseignements arrivaient, Ciceron n’écrivit les plaidoyers qu’après avoir gagné la cause. En triomphant des efforts d’Hortensius, il s’était fait un ami d’un rival consulaire. Animés tous deux d’une émulation généreuse, ils se soutinrent désormais l’un l’autre dans la carrière des honneurs, et, longtemps après, Cicéron, parlant de la mort de son ancien adversaire, regrette en lui le compagnon et l’associé fidèle de ses glorieux travaux. Il s’avançait rapidement vers la plus haute des magistratures romaines, ménageant la faveur du peuple et des grands, défendant un tribun, appuyant Pompée, et servant les puissances d’alors par ses discours, qui devenaient aussi une puissance. Il demanda bientôt le consulat, et pour l’obtenir il eut, c’est son expression, à forcer les barrières que lui opposait la noblesse, qui croyait, dit Salluste, une telle dignité profanée par un homme nouveau, quoique supérieur. Ce qui fixa sur lui le choix du peuple, c’est qu’il avait pour compétiteur Catilina, dont les affreux projets commençaient alors à transpirer.

Son consulat (an de Rome 689) ne fut qu’un enchaînement d’admirables services rendus à la patrie. H calma un soulèvement populaire ; il tenta la réforme des ambassades libres, que se faisaient donner les sénateurs qui voyageaient pour leurs affaires privées ; et ne pouvant détruire cet abus onéreux, il parvint du moins à le restreindre ; il s’éfforça d’attacher l’ordre influent des chevaliers au parti du sénat, faible, mais unique gardien des traditions de la liberté ; il repoussa une loi agraire, qui, sous prétexte de soulager le peuple, ressuscitait les décemvirs, et créait dix rois dans la république ; mais sa plus belle gloire, une action immortelle, quand il n’aurait pas pris tant de soins pour l’immortaliser, c’est la découverte du complot de Catilina, c’est l’expulsion de ce forcené. Ce gouvernement, l’ouvrage de sept siècles, touchait à sa ruine, et l’empire du monde allait être la proie de quelques débauchés audacieux, si le consul, bravant tout danger d’assassinat, n’eut montré) aux sénateurs éperdus les poignards déjà levés sur eux. Les Catilinaires sont dans la mémoire de tous les lecteurs. L’exorde de la première est, par sa véhémence, devenu presque proverbial, et l’on s’étonne de trouver un art si parfait au milieu de tant d’émotions et de périls. En disparaissant de Rome, Catilina rendit témoignage à cette énergique éloquence ; mais, tandis qu’il courait rassembler une armée de brigands, il laissait au sein de la ville, du sénat même, une embuscade de complices, postés sur les têtes et sur la vie des Romains. Cicéron s’attacha à saisir le fil de leurs nouvelles trames ; il les brisa ; mais pour punir utilement les conjurés redoutables même au fond d’une prison, il fallait un courage plus grand que celui de braver les poignards : il fallait s’élever au-dessus des lois. Dans ces extrémités de la patrie, Gicéron l’osa ; il l’osa, sur l’avis de Caton, et malgré les arrière-pensées de César ; il l’osa, sans ignorer que le coup qu’il frappait, en sauvant la république, retomberait peut-être un jour sur lui-même. Les prisonniers furent étranglés dans leurs cachots, et le consul, escorté de tout le sénat, vint, au milieu d’une multitude incertaine de leur sort, et animée d’intentions suspectes, prononcer ce mot terrible : fis ont vécu ! Tout ce qui restait encore de vrais citoyens, Caton à leur tète, le saluèrent du nom de père de la patrie, dé ce nom déshonoré depuis par les empereurs, mais que Rome libre, dit Juvénal, n’a donné qu’au seul Cicéron. Lui-même, lorsque, après l’expiration de sa magistrature, il fut empêché par un tribun de rendre compte au peuple de son consulat, au lieu de jurer, suivant l’usage, qu’il n’avait rien fait contre les lois, il put jurer qu’il avait sauvé seul Rome et la république, et voir un tel serment accueilli par l’enthousiasme universel.

Il faut l’avouer ; là se termine à peu près toute la gloire politique de Cicéron. On ne remarque plus guère en lui que faux calculs, gauches intrigues, lâches tergiversations, complaisances plus lâches encore pour ceux dont il recherchait l’appui, et une étrange mollesse d’âme dans l’adversité ; son esprit même, qui jugeait trop bien les torts d’autrui, devint un grand tort dans des circonstances graves, en le poussant à une raillerie mordante, incompatible avec la dignité d’un caractère public. Les souvenirs de son consulat lui semblaient un engagement de combattre toutes les ambitions illégitimes ; mais les fréquentes attaques qu’on élevait contre l’illégalité du supplice infligé par lui aux conspirateurs l’empêchaient de porter dans une lutte nouvelle cette franchise de courage qui impose même à des ennemis. Il tomba dans une timide et cauteleuse prudence, dont il fait lui-même, à son ami Atticus, la naïve peinture :Jamais de ma part la moindre âpreté contre personne, jamais non plus un laisser-aller trop populaire. Le système de ma conduite est ménagé de manière à conserver à la république l’appui de ma fermeté mais aussi, dans mes intérêts personnels, attendu l’impuissance des bons, l’injustice des malintentionnés, et la haine des pervers, à m’entourer de précautions habiles ; et si je forme des liaisons nouvelles, c’est toujours avec la restriction qu’enseigne le rusé Sicilien Epicharme (poète grec) : Veille et méfie-toi ; c’est le nerf de la sagesse. Se méfier de tous ses amis ! moyen sûr de ne pas trouver d’amis fidèles.

En cherchant à s’étayer de Pompée, il irrita César, et par ménagement pour César, Pompée l’abandonna. Ces deux grands généraux venaient de former, avec le riche Crassus, le premier triumvirat. Cicéron se vit isolé. Impuissant dans le présent, le passé le mettait trop en vue pour qu’il restât longtemps paisible. Il essaya de se replonger dans l’obscurité de l’étude, et ce fut alors que, retiré à la campagne, il commença un ouvrage malheureusement perdu pour nous, l’histoire anecdotique de son temps. Cependant des inimitiés, des accusations même, étaient suscitées contre lui par César, implacable tant qu’il ne fut pas tout puissant. De telles humiliations fatiguaient ce grand homme, et d’autant plus qu’il en voyait trop la cause dans ses propres fautes, dans sa faiblesse, dans sa vanité puérile ; la vie lui devenait à charge ; il ne voyait partout qu’excès de misères ; il était le plus infortuné des hommes, et il enviait le sort d’un de ses collègues, qui, après une carrière brillante, venait de mourir si à propos. Ce n’est pas en se décourageant qu’on désarme ses adversaires. Clodius, poussé par César, irrité d’ailleurs contre Cicéron, à l’issue d’une ignoble intrigue, trop longue à raconter, mais qui nous montre ce grand homme aussi faible dans son intérieur que dans sa vie publique, Clodius se fit plébéien et tribun tout exprès pour porter une loi punissant par l’exil quiconque avait fait mourir des citoyens sans jugement. Cicéron prit le deuil, et le sénat le prit avec lui (an de Rome 6g4). Le sauveur de Rome alla mendier le secours de Pompée ; il se jeta, comme il l’avoue, aux pieds de l’homme auquel il avait conservé une patrie pour ses triomphes. Pompée ne le releva même pas. Quelques sénateurs offraient de le défendre par les armes. Alors sa grande âme se réveilla, et plutôt que d’ensanglanter la ville qu’il avait sauvée jadis, il aima mieux la quitter pendant la nuit ; il porta au Capitole une Minerve adorée dans sa maison, la consacra dans le temple des dieux, sous le nom de Gardienne de Rome, et partit. Bientôt après passa la loi qui le condamnait ; on lui interdit l’eau et le feu ; ses biens furent mis en vente, et, sur l’emplacement de sa maison démolie, l’agent de César éleva un autel à la liberté ! Cicéron, une fois arraché au théâtre de sa gloire, perdit tout courage. Cet esprit si élevé s’affaissa dans un abattement complet, et tel fut le délire de sa douleur que le bruit vint jusqu’à Rome qu’il avait perdu la raison. Où était donc cette philosophie qu’on admire dans ses écrits ? C’est, dit Plutarque, que le torrent des sentiments vulgaires lace et emporte de l’âme les sages doctrines, comme une teinture artificielle. Cependant de nombreux efforts se tentaient pour le rappel de Cicéron ; car, dans les républiques, dans ce conflit de tant d’intérêts, la fortune a de brusques retours. César était occupé à conquérir les Gaules, et ses nouveaux exploits faisaient peut-être déjà regretter à Pompée un ancien panégyriste. Pompée d’ailleurs avait été insulté, menacé par Clodius : il se tourna vers Cicéron absent, et, malgré les violences de leur ennemi commun, il protégea les délibérations essayées par le sénat. Il fallut toutefois, avant de rien achever, en écrire à César, qui daigna permettre qu’un sénatus-consulte rendît à Rome son plus bel ornement (an de Rome 6g5). Cicéron, après avoir erré en Sicile et dans la Grèce, était venu attendre son rappel à Dyrrachium ; il accourut avec la joie pétulante d’un enfant à qui l’on remet sa peine. Sa marche à travers l’Italie ne fut qu’un triomphe qu’il s’est complu à décrire. En approchant de Rome il trouva une foule immense qui l’attendait à la porte Capène ; et, toujours extrême dans ses sentiments, l’ivresse qu’il éprouva lui fit dire que, loin de repousser les fureurs de Clodius, il aurait dit les acheter. On lui rendit ses biens ; mais le terrain de sa maison était consacré aux dieux ; pour le reprendre, pour abolir un monument de son infortune, il eut à parler devant les pontifes, et, plaidant sa propre cause, il la gagna sans peine. Dès lors il se dévoua aux intérêts de Pompée qui l’entraîna de force dans ceux de César, et le contraignit même à la honte de plaider pour d’anciens persécuteurs ; il sentait sa servitude : Heureux Caton, s’écriait-il, toi à qui on n’ose rien demander contre l’honneur  ! Une fois il voulut secouer le joug ; contre le gré de Pompée, il défendit Milon, son plus ardent ami, longtemps l’adversaire, et enfin le meurtrier de Clodius. Dans cette grande circonstance, il fut trahi par son courage. Dos soldais de Pompée avaient envahi le Forum. Cicéron, pour ne pas voir le péril, s’était, par le conseil de Milon, fait apporter dans une litière ; mais quand on l’en tira, l’éclat des armes, l’aspect de Pompée assis en lieu élevé, comme dans un camp, les cris de la multitude, tout déconcerta son éloquence, et à peine put-il balbutier quelques paroles. Milon fut condamné ; et à Marseille, où il s’était retiré, ayant reçu un admirable plaidoyer composé à loisir par son timide défenseur, il répondit avec une gaîté amère : Si ce discours eût été prononcé devant mes juges, je ne mangerais pas de si bon poisson à Marseille.

Plus Cicéron avait au fond du cœur la conscience de son avilissement, plus il cherchait à s’entourer d’un éclat extérieur. Il attacha une importance ridicule à se faire nommer augure, lui qui ne concevait pas comment deux augures pouvaient se regarder sans rire. Envoyé comme proconsul en Cilicie (an de Rome 702), il eut de petits succès militaires ; il attaqua des brigands du mont Amanus, et leur prit un rocher après cinquante-sept jours de siège. Ses soldats ne manquèrent pas de le proclamer imperator ; il ne pouvait lui-même s’empêcher de badiner sur son nouveau titre, en écrivant au confident de ses pensées : A Issus, j’ai campé sur le champ de bataille qu’avait choisi contre les Perses Alexandre, général un peu meilleur que toi ou moi. Et pourtant, toujours esclave de sa vanité, sans en être la dupe, il brigua, par mille flatteries, les supplications aux dieux, honneur réservé pour les grandes victoires ; il les obtint, mais contre l’avis de Caton. Du reste, il faut reconnaître qu’il y eut plus de vraie gloire dans son administration équitable et généreuse que dans des trophées sanglants. Sa douceur et son humanité le rendirent cher aux peuples qu’il gouvernait. Aussi répondait-il à Cœlius, qui lui avait demandé quelques panthères pour les jeux de son édilité : L’espèce est rare, et on prétend que celles qui restent se plaignent hautement d’être dans ma province les seules victimes d’une persécution. En conséquence, elles ont décidé d’aller t’établir ailleurs. Sachons lui gré surtout d’avoir résisté aux menaces hautaines de Brutus, qui, intéressé dans un prêt d’argent fait à une ville de Chypre, exigeait de Cicéron l’emploi de la force armée pour arracher, outre le capital, un intérêt de quarante-huit pour cent. Rien peut-il rehausser davantage les vertus privées de Cicéron, que les exemples donnés par les meilleurs Romains de son temps, par ce Brutus même, ce fier stoïcien, qui pratiquait une telle usure, et s’écria en mourant : La vertu n’est qu’un nom  !

Malgré son zèle pour sa province, Cicéron y avait regretté le Forum, et ce qu’il appelait le grand jour. Quand il revient à Rome, il se trouve au milieu des apprêts de la guerre civile. Pompée quitte l’Italie, et César ptvsse le Rubicon. Dans cette lutte, de quelque côté que soit le succès, Cicéron en voit d’avance sortir inévitablement la tyrannie ; quelque choix qu’il fasse, la fortune ne lui promet que d’être proscrit dans la défaite, esclave dans la victoire. Au milieu de ces hésitations, César, qui traversait l’Italie, vint le surprendre à sa campagne de Formies, et voulut l’entraîner à Rome, pour jeter quelque lustre sur une ombre de sénat. Quelles prières que celles d’un général à la tête de ses légions ! Mais l’âme de Cicéron, pleine de petitesses dans les petites choses, grandissait avec les circonstances. Il déclara en face à César qu’il ne paraîtrait au sénat que pour déplorer le sort de Pompée. Tous deux se séparent, et après quelques délais l’orateur romain alla surcharger de sa présence et de ses terreurs le camp où il voyait la cause de la république. Son arrivée fut accueillie par la joie universelle et par le blâme de Gaton, qui lui reprocha de n’avoir pas su, en gardant une neutralité sage, se réserver le rôle de médiateur. Bientôt, éclairé sur les fautes de son parti, il s’en fit haïr par des railleries d’autant plus offensantes qu’elles étaient plus justes, et Pompée lui-même, dans son dépit, s’écria : Je voudrais que Cicéron passât à nos ennemis ; au moins il nous craindrait. Quand le sort dés armés eut prononcé à Pharsale, dans les angoisses de la crainte, il courut attendre à Brindes l’arrêt du vainqueur. Le passage d’Antoine par cette ville semblait lui annoncer la mort. Cependant Antoine l’épargna, bienfait qu’il lui reprocha depuis : C’était, dit Cicéron, le bienfait d’un brigand qui se vante d’avoir sauvé ceux qu’il n’égorge pas. Enfin l’arrivée de César calma ses inquiétudes ; il alla au- devant du nouveau maître, et fut accueilli avec bonté. Dès lors il vécut illustre et impuissant dans Rome : sa seule influence fut de sauver quelques amis par des discours où il flattait le dictateur ; on n’a pas oublié que son éloquence fit tomber l’arrêt de mort de Ligarius des mains de César décidé à punir. N’oublions pas non plus qu’au travers de ses adulations pour un usurpateur plein de clémence, il osa faire le panégyrique de Caton, attaque indirecte à laquelle le vainqueur se contenta de répondre par deux écrits, les Anti-Calons, où il loue Cicéron en le réfutant. Au reste, et la hardiesse de l’un et la modération de l’autre n’offraient guère de dangers. Ce qui me rassure, disait lui-même Cicéron, c’est que notre roi sait bien que je n’ai pas de courage.

Le loisir forcé du sénateur tourna au profit de l’écrivain ; il ne trouvait de salut et d’existence que dans les lettres. Il avait pleuré sa patrie plus amèrement et plus longtemps que jamais aucune mère ne pleura son fils unique. Il chercha une consolation utile pour lui et pour les autres, et ce fut alors qu’il composa la plupart de ses ouvrages philosophiques. Mais cette philosophie d’apprêt et de système resta impuissante contre une grande douleur domestique, la perte de sa fille Tullie, de sa chère Tulliola (surnom que lui avait donné la tendresse paternelle). Il venait de répudier la mère de Tullie, Térentia, pour épouser une jeune et riche orpheline, sa pupille, dont les biens lui servirent à payer de nombreuses dettes ; il répudia cette seconde femme, uniquement parce qu’elle avait vu d’un œil satisfait la mort de Tullie. Enfin, l’égarement de son désespoir l’entraîna jusqu’à vouloir faire l’apothéose de sa fille, et lui ériger un temple.

Il fut réveillé de ces chagrins de famille par une grande secousse politique, l’assassinat du dictateur, auquel il ne prit part qu’en y applaudissant avec excès. Mais il eut bientôt à regretter un maître si doux. Héritier des légions de César, Antoine se précipitait sur la république avec toute la violence d’une ambition longtemps subalterne. Cicéron, loin de le ménager, s’en fit un irréconciliable ennemi, en prononçant ses foudroyantes Philippiques, dernier acte de patriotisme, et comme son testament de grand citoyen. Mais trompé par cette finesse qui entrait jusque dans son audace, il voulut opposer au nouveau tyran le neveu du tyran mort, le jeune Octave, dont il osa en plein sénat garantir les intentions et la conduite ; il ne s’y trompait pas toutefois, et il laissa percer, dans un jeu de mots sanglant, la haine qu’il portait à ce protecteurr ? Peut-être avait-il espéré que les deux successeurs de César se détruiraient l’un par l’autre. Octave ne tarda pas à faire sa paix avec Antoine, pour avoir d’abord une part du monde, sauf à disputer l’autre ensuite.

Ce fut alors que la plaisanterie de Cicéron lui coûta cher ; Octave, qui se la rappelait sans doute, ne défendit pas son ancien garant contre la vengeance de son nouvel allié, et le nom de Cicéron fut mis sur une liste de proscrits. Le malheureux vieillard (il était dans sa soixante-troisième année), après avoir été le jouet de tant de vicissitudes, fuyait encore une fois Rome et l’Italie. Il s’embarqua près d’Asture ; mais rejeté sur la côte par les vents été siens, il se résigna à son sort. Je mourrai, dit-il, dans cette patrie dont j’ai été le sauveur. Il errait, porté dans une litière, lorsque parurent les assassins, guidés par un tribun militaire, Popihus, que l’éloquence de Cicéron avait jadis arraché à une accusation de parricide. Laissons Tite-Live nous peindre cette fin tragique d’un grand homme, arrivée le 7 décembre, an de Rome 709, quarante-trois ans avant Jésus-Christ : « Ses esclaves s’apprêtaient à combattre avec valeur et fidélité ; il leur commanda de déposer la litière et de se soumettre avec calme à la nécessité d’un sort injuste. Alors il tendit hors de la portière sa tête immobile, qui fut tranchée. Ce n’était pas assez pour la stupide cruauté des soldats. Ils coupèrent ses mains, auxquelles ils reprochaient d’avoir écrit contre Antoine. Ces dépouilles sanglantes furent portées au triumvir, qui fit attacher la tête entre les deux mains sur la même tribune où tant de fois Cicéron pendant son consulat, plus tard comme consulaire, et cette même année encore, en attaquant Antoine, avait fait admirer cette éloquence dont n’avait jamais approché aucune voix humaine. A peine les Romains, levant les yeux, pouvaient-ils, au travers de leurs larmes, reconnaître ces restes mutilés. » Cette atroce barbarie d’Antoine, maudite par la postérité, justifiait d’avance la fortune d’Actium ! Toutes les formes de l’enthousiasme ont été épuisées pour Cicéron. Ne pouvant qu’effleurer les sommités d’une vie si glorieuse, nous nous sommes attaché du moins à montrer l’homme dans le consul et dans l’orateur ; à le faire voir tel qu’il s’est peint lui-même ; à le juger par ses propres paroles. Nous n’ajouterons pour son éloge qu’un seul mot échappé à Auguste, à ce même Octave qui avait consenti à sa proscription. Ayant surpris un jour un de ses petits-fils occupé à lire un écrit de Cicéron, et s’apercevant que le jeune homme cherchait à cacher le livre, il le prit, en lut une grande partie debout, et le remit aux mains de son petit-fils, en lui disant : c’était un génie supérieur, et un citoyen qui aimait sa patrie. — Paul Duport.

 
 
Même section >

Suggérer la lecture de cette page
Abonnement à la lettre d'information La France pittoresque

Saisissez votre mail, et appuyez sur OK
pour vous abonner gratuitement
Éphéméride : l'Histoire au jour le jour. Insertion des événements historiques sur votre site

Vos réactions

Prolongez votre voyage dans le temps avec notre
encyclopédie consacrée à l'Histoire de France
 
Choisissez un numéro et découvrez les extraits en ligne !