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Guerre de l'avenir. Désarmement et surarmement de l'Europe. Guerre éclair, économique, financière. Armes du futur

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Guerre de l’avenir :
éclair ou financière ?
(D’après « Le Gaulois », n° du 6 septembre 1898)
Publié / Mis à jour le dimanche 17 mars 2013, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 4 mn
 
 
 
En septembre 1898, dans une Europe momentanément apaisée et exempte de conflits, Edmond Haraucourt signe dans Le Gaulois un article sur le désarmement que d’aucuns préconisent, et s’interroge à propos d’un surarmement débouchant sur l’absurdité de « travailler à périr d’éviter la guerre, tout comme nos ancêtres mouraient en la faisant », avant d’entrevoir les guerres « éclair » et économique du futur

Une parole était immanente. Depuis quelque dix ans, elle planait mystérieusement dans l’atmosphère du monde civilisé. Quelques-uns la murmuraient à voix basse, mais nul ne la disait tout haut, par crainte d’apparaître mauvais patriote et citoyen douteux. « L’Europe se ruine en armements ! Ah ! si l’on désarmait l’Europe ! »


Général Emile Zurlinden, ministre de la Guerre
du 26 janvier au 28 octobre 1895
et du 5 au 17 septembre 1898

Ce rêve était connu de tous aussi bien des laboureurs arrachés à leurs champs pour peupler les casernes, que des citadins dont la carrière est encombrée par les devoirs militaires, aussi bien du philosophe qui s’intéresse au progrès de l’humanité, que de l’économiste appliqué à pénétrer les causes de fortune ou de misère sociales. Tout à coup, voilà que cette vision de problématique avenir se transforme en un seul instant,
et, par télégramme, elle se pose, question du jour, problème immédiat. Le souverain d’un des Etats les plus puissants du globe a proféré ce qu’à peine le vulgaire osait concevoir, et cette voix tombée d’un trône, proclamant ce qu’on chuchotait, a jeté dans les esprits la stupeur d’une idée entendue pour la première fois.

Sitôt qu’elle fut dite, les peuples se sont regardés, inquiets, tout ce vieux rêve de l’humanité soudainement leur paraissait nouveau. On sentait courir en eux le frisson d’une crainte subite, une espèce d’angoisse méfiante, et déjà les esprits se préparaient à la défense, sur la seule pensée qu’on allait être sans défense. Les uns prenaient peur d’autres se souvenaient. Dans la mémoire des nations, on vit remuer des rancunes, des regrets, des appréhensions et des désirs. La parole de paix avait, dans l’écho, retenti comme une alerte de guerre. Pourquoi ?

L’humanité est routinière. Elle redoute le Nouveau. Elle n’en aime que l’apparence. « Supprimer la guerre ! » On n’y pensait que comme à quelque chimère de poète et de songe-creux, et c’était l’utopie. Elle faisait merveille dans les manuels de philosophie humanitaire, et dans les chansons. Mais qu’un Empereur, officiellement. par la plume de ses ministres, provoquât une conférence internationale pour étudier les moyens pratiques de résoudre le problème, c’était grave.

Le rêve se faisait réalité. La conception jusqu’alors idéale venait de prendre sa forme matérielle, concrète, précise. La loi divine de Jésus s’apprêtait à devenir loi humaine. L’effort obscurément tenté sur les peuples par l’Eglise du Moyen Age allait se continuer diplomatiquement, aboutir peut-être, après tant de siècles. L’heure était-elle donc venue ? Le bon roi Henri IV, lui aussi, avait naguère bercé ce vœu d’un tribunal suprême présidant aux destinées des peuples, jugeant les différends des nations et des rois comme il avait unifié la France, il se plaisait à imaginer et vouloir l’Europe unifiée, la paix universelle sous la justice unique. Peut-être même ce vœu avait causé sa mort, car il venait trop tôt dans l’histoire de l’évolution humaine, au milieu d’un monde où les esprits, surchauffés de querelles, étaient mal préparés encore.

Le sont-ils assez aujourd’hui ? Ne reste-t-il pas, écrits sur la carte d’Europe, des mots brûlants qui semblent devoir être effacés tout d’abord des problèmes préalables ? Sommes-nous mûrs ? A côté de cette question spéciale, qui tient aux conditions présentes, une autre se pose générale, et l’on dit : « La guerre ne peut disparaître d’entre les peuples. Comme la mort, elle est indispensable à la vie c’est une forme de la migration vitale. Elle fait partie du mouvement circulaire grâce auquel ce qui naît peut se nourrir de ce qui disparaît ; elle est entre les races ce que la faim est entre les bêtes, l’œuvre de mort alimentant la vie. Elle est la nourrice du monde et ne détruit ce qui fut que pour édifier ce qui sera. Elle est inévitable et fatale comme la. faim. »

Peut-être. Mais, regardons encore et nous verrons que cette chose indispensable est en même temps impossible. Impossible, elle le devient au triple point de vue moral, économique, pratique.

Moral. Il est certain que l’âme humaine s’est adoucie au cours des temps, et que toutes les manifestations du meurtre, même les plus glorieuses, ont peu à peu revêtu à nos yeux un caractère d’horreur qu’elles n’avaient point tout d’abord ; que le sang versé nous répugne et nous chagrine d’une façon qu’ignoraient les âges héroïques ; que la beauté du courage est pour nous singulièrement diminuée par la tristesse et la laideur du résultat ; que nos soucis sont devenus pratiques, et que déjà, mieux que jamais, nous entrevoyons le moyen d’arriver à l’arrangement des affaires et à la satisfaction des besoins sans recourir à la guerre, qui n’apparaît plus à nos yeux que comme le mode épique et grandiose de l’assassinat. Si elle fut, par sa sauvagerie même, en harmonie avec les mœurs de nos premiers aïeux, elle n’est plus harmonique a nos mœurs. Elle est brutale quand la société ne l’est plus. Désaccord. Elle doit disparaître.

Economique. Il est certain que l’Europe moderne, qui ne fait plus la guerre, est rongée, dévorée par l’idée de la guerre. Elle s’exténue, s’épuise à y penser, et cette constante préoccupation est pour elle plus ruineuse que la guerre elle-même. Jamais en aucun temps le souci de se préparer aux batailles ne fut plus coûteux pour les peuples, qu’en ce temps où les batailles ne se livrent plus. Uniquement parce qu’elle ne veut plus de guerre, et qu’elle en souffrirait trop, l’humanité réserve le plus clair de ses gains à se mettre en état de parer à la guerre.

Les peuples s’arment, s’arment, et de plus en plus, afin que nul autre peuple ne puisse faire un pas pour user de ses armes. Le vœu de la paix nous ruine en vue de la guerre. Les milliards s’engouffrent. Toute richesse se rue à ce creuset. Le sang de l’Europe coule à ses fonderies. Ainsi qu’au cinquième siècle, le fisc dévorait l’empire romain, qui en mourut, de même aujourd’hui la fureur des armements anémie l’Europe, qui menace d’en mourir.

Car, si ces choses se prolongent et durent, un tel monde, pacifiquement armé, formidablement pacifique, que peut-il faire enfin, sinon faillite ? Il se ruine en modèles d’armes qui durent deux ans, et recommence. Il se construit des forts pour s’abriter des canons, et tout aussitôt des canons qui rendent les forteresses inutiles, puis ensuite d’autres forts, et sans fin, tant que toutes ces choses disparaissent l’une après l’autre, chassées l’une par l’autre, bonnes au plus, en quelques mois, pour un musée des Invalides, comme les cuirasses d’antan. En sorte que, nous, nous travaillons à périr d’éviter la guerre, tout comme nos ancêtres mouraient en la faisant.

Pratique. Avec l’instantanéité des communications télégraphiques, la rapidité des transports par voie ferrée, est-il possible aujourd’hui de concevoir un Alexandre ou un César marchant à la conquête du monde ? Le général et le peuple assez fous pour rêver l’écrasement successif des autres puissances auraient eu un moment l’univers sur les bras. Napoléon, avec tout son génie, arriverait à peine à passer ses frontières. Douze télégrammes diplomatiques, vingt-quatre heures de locomotives, et l’importun aurait dix armées sur sa route. L’épopée du premier empire commencerait par Waterloo : Sainte-Hélène empêcherait le dix-huit Brumaire. Ces temps-là sont passés. Ils sont aussi loin de nous, dans le domaine des impossibilités advenues, que les mythes d’Arthur et de la Table-Ronde. Encore n’est-ce pas tout.

Les progrès de la science, les découvertes de la chimie, les inventions de la mécanique nous réservent d’autres surprises. Dans combien d’années sera-t-il impossible de s’attaquer sans se détruire ? Si bientôt il ne doit plus rester, sur les champs de bataille, ni vaincus ni vainqueurs, mais des alignements de cadavres, qui donc voudra belligérer ? Patience ! Nous trouverons mieux. Pourquoi ne s’exterminerait-on pas, à quelques centaines de lieues, en posant simplement le doigt sur le bouton d’ivoire de quelque machine électrique ? Ah ! la guerre de Cent Ans ! Les guerres futures dureront un jour, ou quelques heures. Et pourquoi pas quelques minutes ?

La guerre, désormais impossible, ne disparaîtra pourtant point. Elle changera de forme. Mieux en rapport avec nos mœurs, elle va devenir commerciale. L’œuvre se fera lentement, toute seule. L’invasion de l’avenir s’appellera immigration, importation. Un pays envahira l’autre de ses produits, de ses travailleurs, et la conquête sera faite. Les cuirassés du siècle prochain seront les paquebots. Un paquebot dépose mille colons et dix voyageurs de commerce, plus efficacement que mille soldats et dix canons. Et ceux-là restent.

Les grandes batailles se livreront à la Bourse. Les morts rentrent chez eux et se font sauter la cervelle.

 
 
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