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Histoire de France par Jacques Bainville. Le Consulat et l'Empire. Partie 1

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Histoire de France
L’Histoire de France par Jacques Bainville : 2000 ans d’Histoire de notre pays, des Gaulois jusqu’au début du XXe siècle. Événements, contexte historique.
Le Consulat et l’Empire
(Chapitre 17 - Partie 1/2)
(par Jacques Bainville)
Publié / Mis à jour le dimanche 10 juillet 2011, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 
 
 
Le coup d’État de brumaire, loin d’être dirigé contre la Révolution, était destiné à la sauver. Bonaparte, revenu d’Égypte, apparut comme le sauveur qu’on cherchait. Dès son arrivée à Fréjus, il fut accueilli au cri de « Vive la République ». Il traversa la France en triomphateur. Un républicain ardent, Baudin, député des Ardennes, mourut de joie en apprenant son retour

Baudin était un des auteurs de la Constitution de l’an III, il la voyait près de périr et il mettait son espoir dans le jeune général qui, le 13 vendémiaire et le 18 fructidor, avait prêté main-forte à la Révolution. Il ne faut pas oublier non plus que le 18 brumaire fut organisé à l’intérieur du gouvernement lui-même. Deux des directeurs sur cinq, Sieyès et Roger-Ducos, étaient d’accord avec Bonaparte, et Sieyès était un des pères de la Révolution. Il tenait le Conseil des Anciens. Lucien Bonaparte présidait le Conseil des Cinq-Cents. Ces complicités permirent d’éloigner le Corps législatif de Paris et de l’envoyer à Saint-Cloud, sous le prétexte qu’il était menacé par un mouvement jacobin. Néanmoins, il y out une violente opposition aux Cinq-Cents, qui voulurent mettre Bonaparte hors la loi. Entouré, presque frappé, ses grenadiers le dégagèrent et leur entrée dans la salle des séances mit en fuite les représentants qui le traitaient de factieux et de dictateur.

« Bonaparte, dit Thiers, venait, sous les formes monarchiques, continuer la Révolution dans le monde. » En effet, des révolutionnaires, des régicides comme Sieyès la sentaient compromise. Rien n’allait plus. Aucune constitution ne pouvait vivre. L’ordre ne se rétablissait pas. Brune et Masséna avaient tout juste arrêté la coalition, et pour combien de mois ou de semaines ? Un pareil état de choses ne pouvait se prolonger sans un extrême péril pour la France et pour la République et devait se terminer par une invasion ou par un retour à la royauté. Sauf les royalistes et les Jacobins, les Français qui voulaient soit le salut du pays, soit le salut de la République, et ceux qui voulaient à la fois le salut de la République et celui du pays, furent d’accord pour appeler à l’aide le général victorieux. Les directeurs avaient déjà pensé à Joubert. De toute façon, la République abdiquait. Anarchie, ruine financière, débâcle militaire menaçante : tel en était le triste bilan. Pour donner une idée du désordre qui régnait partout, on ne savait même pas au ministère de la Guerre le nombre des soldats sous les armes, ces soldats « nus et affamés » qui, après avoir vécu aux frais de l’ennemi, commençaient, refoulés en France, à exercer le droit de réquisition sur les Français. Ainsi, dix ans après 1789, la situation n’était plus tenable. Ceux qui avaient profité de la Révolution, les acquéreurs de biens nationaux surtout, n’étaient pas les moins alarmés. Tout le monde devenait conservateur. Les uns étaient las depuis longtemps du désordre et des excès. Les autres voulaient consolider le nouveau régime et comprenaient la nécessité d’un retour à l’autorité et à l’ordre. Le dégoût et l’inquiétude livrèrent la France à Bonaparte. Mais sa dictature sortait des données de la Révolution elle-même qui avait fini par chercher refuge dans le pouvoir personnel.

On a voulu expliquer Bonaparte par ses origines corses et italiennes. Mais, d’éducation toute française, c’était avant tout un homme du dix-huitième siècle. Il en avait les idées, les tours littéraires, celui de la déclamation et de Rousseau, celui de la maxime et de Chamfort. Dans ses monologues de Sainte-Hélène, que retrouve-t-on toujours ? L’homme qui avait eu vingt ans en 1789. Formé sous l’ancien régime, il a reconnu lui-même ce qu’il devait à ceux qui l’avaient instruit. Il a parlé avec gratitude de ses maîtres de l’École militaire. Il continue, comme les autres, beaucoup plus de choses qu’il n’en apporte de nouvelles. Il est de son temps à un point qui étonne parfois, ainsi par son culte de Frédéric II, le héros qui l’avait précédé et qu’il a effacé dans l’imagination des Européens. La Révolution, dont il parle le langage et partage la philosophie, il l’a traversée en soldat qui a sa carrière à faire, prompt à saisir les occasions qu’elle lui offre. Il a servi les partis sans être d’aucun. Le 10 août, la résignation de Louis XVI l’indigne, parce qu’il a le don du commandement et le sens de l’autorité. L’instinct de la politique, le goût du risque, une confiance grandissante dans son étoile, une aptitude remarquable à comprendre les hommes et leurs besoins, à trouver les paroles et les actes qu’exige chaque situation, tels furent les éléments de sa réussite. Et pourquoi cette fortune extraordinaire s’est-elle terminée par une catastrophe ? Parce que Napoléon Bonaparte était prisonnier de la plus lourde partie de l’héritage révolutionnaire, prisonnier de la guerre de 1792, prisonnier des conquêtes. Avec la plupart de ses contemporains, il n’oubliait qu’une chose : l’Angleterre n’avait jamais permis, elle ne permettrait jamais que les Français fussent maîtres des Pays-Bas. Pour les en chasser, aucun effort ne lui serait trop coûteux. À cette loi, vieille de plusieurs siècles, la Révolution n’avait rien changé et l’avènement de Bonaparte ne changeait rien.

Tout fut facile d’abord. La France se jetait dans les bras de l’homme extraordinaire qui semblait deviner ses désirs. Les circonstances conspiraient avec son prestige et son adresse pour lui donner sans partage le pouvoir. Selon la tradition révolutionnaire, le Directoire s’était « épuré » lui-même, et, ayant eu besoin du nom de Bonaparte et de son épée pour cette épuration, Sieyès et Roger-Ducos lui avaient fait place parmi eux. De cinq directeurs, on passait à trois consuls. Tout de suite, le général Bonaparte fut le premier, le seul. Il gouverna, rassurant les révolutionnaires nantis et la masse paisible de la population. Il effaçait les restes du jacobinisme, l’impôt forcé progressif et l’odieuse foi des otages. Il rendait les églises au culte et pacifiait la Vendée par l’arrêt des persécutions religieuses. Il annonçait la fin de l’atroce misère due aux assignats, misère que le Directoire, malgré ses promesses, avait été impuissant à guérir. La Révolution née de la peur du déficit, avait ouvert un gouffre. La mort du papier-monnaie n’avait pas été un remède. On comprenait pour la première fois que la réorganisation des finances et le retour à la prospérité dépendaient d’une réorganisation politique et d’un gouvernement fort. Les finances, sous l’ancien régime, n’avaient été embarrassées que par la résistance des intérêts particuliers défendus par les Parlements. Elles avaient été ruinées par la démagogie révolutionnaire. Il fallait une autorité ferme pour les rétablir. Bonaparte, sans tarder, appela auprès de lui un ancien fonctionnaire de la monarchie, Gaudin, plus tard dur, de Gaëte, qui fonda les contributions directes sur le modèle des vingtièmes et rétablit, sur le modèle des aides, les impôts indirects abolis par la Révolution. Sans le dire, on reconnaissait que tout n’avait pas été si mauvais sous l’ancien régime, et que le plus grand mal était l’anarchie.

Cependant, le gouvernement qui s’était formé au lendemain du 18 brumaire était provisoire. Selon l’usage, une constitution, une de plus, devait être donnée à la République. Le général Bonaparte attendait patiemment le chef-d’œuvre que préparait Sieyès : il se réservait d’y apporter les corrections nécessaires. Sieyès médita. Il conçut un système où l’élection passait par une suite de tamis, un système qui n’était ni la monarchie, ni la République, ni la démocratie, ni l’aristocratie, ni la dictature, ni le régime des Assemblées. C’était une vaste pyramide, à base populaire qui allait en s’amincissant jusqu’au grand électeur, sorte, de roi constitutionnel non héréditaire, toujours révocable par un Sénat. Il y avait en outre deux consuls, un de la paix, un de la guerre, choisis par le grand électeur. Quant au Corps législatif, il était réduit à un rôle muet. Il répondait par oui ou non après que le Conseil d’État et le Tribunat avaient parlé, ce dernier seul, destiné à représenter l’opposition, ayant le droit de plaider contre. Bonaparte examina le système, en garda ce qui lui semblait bon, tourna en ridicule et supprima le grand électeur, c’est-à-dire la tête de la pyramide, et le remplaça par un premier consul, nommé pour dix ans, qui fut lui-même. Il ne lui restera plus qu’à réduire (en attendant de le supprimer en 1807) le Tribunat trop indépendant, et, du système harmonieusement balancé de Sieyès, sortit la dictature pure et simple. Les deux consuls que Bonaparte s’associa pour la forme furent deux hommes d’âge mûr, deux modérés : Cambacérès et Lebrun, lequel - peut-être n’était-ce pas un hasard - avait été, sous Louis XV, secrétaire de Maupeou, au temps du coup d’État contre les Parlements. Le ralliement des catholiques était déjà presque fait. Le ralliement des royalistes, auxquels pensait Bonaparte, serait plus facile avec ces hommes-là.

La Constitution de l’an VIII, ainsi remaniée par le Premier Consul, fut approuvée par trois millions de voix. On avait déjà soumis bien des projets de gouvernement aux électeurs : jamais une majorité si forte n’avait été obtenue. On peut donc se demander si la France, en 1789, ne s’était pas abusée sur ses désirs, si elle n’avait pas aspiré à l’autorité plus qu’à la liberté. Napoléon Bonaparte compléta le gouvernement dont il était le seul maître par des institutions, qui, toutes, tendaient à maintenir la société et la propriété telles qu’elles étaient sorties de la Révolution, à conserver l’esprit de cette Révolution dans les lois, mais à couler le tout dans des formes autoritaires. On eût dit que le Premier Consul avait devant les yeux l’ancien régime et la démocratie révolutionnaire pour prendre les parties fortes de l’un et supprimer les parties faibles de l’autre. La Révolution avait introduit l’élection partout, dans l’administration comme dans la magistrature et dans la police, c’est tout juste si elle ne l’avait pas introduite dans l’armée, et c’était la cause de l’anarchie dont ses gouvernements étaient morts. Bonaparte mit des préfets et des sous-préfets à la place des comités élus, c’est-à-dire qu’il rétablit et multiplia les intendants de l’ancien régime. Seulement, la Révolution ayant fait table rase des franchises et libertés d’autrefois, ainsi que des Parlements qui en étaient les gardiens, les nouveaux intendants administraient sans obstacle au nom du pouvoir central. Quant à la magistrature, Bonaparte se garda bien de lui rendre l’indépendance dont elle avait abusé sous la monarchie. Le consul Lebrun, l’ancien collaborateur de Maupeou, put lui donner d’utiles indications à cet égard. On revint à peu près au système de 1771, celui des magistrats nommés par le gouvernement, la garantie des justiciables étant l’inamovibilité des juges. Ainsi, utilisant l’expérience de la royauté et celle de la Révolution, Bonaparte, avec les restes de l’une et de l’autre, composa les institutions de l’an VIII, fondées sur la centralisation administrative, qui mettent la nation dans la main de l’État et qui sont si commodes pour les gouvernements que tous les régimes qui se sont succédé depuis les ont conservées. À peine modifiées dans le détail, elles durent encore.

Tout réussissait au Premier Consul. Mais il ne fallait pas seulement rendre l’ordre à la France. Il y avait huit ans qu’elle était en guerre. Il fallait aussi lui donner la paix. L’empereur de Russie, Paul ler, mécontent de ses alliés, s’était retiré de la lutte. Restaient en ligne l’Angleterre et l’Autriche. Le Premier Consul leur proposa de mettre bas les armes. Que la paix fût possible avec les Anglais tant que nous tiendrions les bouches de l’Escaut et qu’ils tiendraient les mers, c’était une grande illusion. Bonaparte en eut une autre qui annonçait toute la suite. Pitt ayant rejeté son offre, le gouvernement de Vienne, lié à celui de Londres, l’ayant rejeté aussi, il crut que, par une victoire éclatante sur l’Autriche, il forcerait l’Angleterre à céder. L’erreur dans laquelle il persista jusqu’à la catastrophe finale s’annonçait. Il faut cependant reconnaître que la Révolution s’y était engagée avant lui : Bonaparte en avait reçu un héritage et un mandat. La France ne renoncerait plus à la principale, à la plus désirée de ses conquêtes, la Belgique, que le genou de l’adversaire sur la poitrine. Aucun gouvernement né de la Révolution ne pouvait y renoncer sans suicide. Bonaparte était donc lié. Et son histoire est celle de la recherche d’une chose impossible : la capitulation de l’Angleterre sur le point qu’elle n’avait jamais admis - l’annexion de la Belgique - tandis que la France était impuissante sur mer. Bonaparte pourra bouleverser le continent : à la fin, la France sera ramenée en deçà de ses anciennes limites.

Pour forcer l’Autriche à la paix, le Premier Consul conçut un plan hardi. Tandis que Moreau opérait une diversion heureuse en Allemagne, il franchit hardiment les Alpes au passage du Grand-Saint-Bernard, battit Mélas à Marengo, victoire disputée où périt Desaix (14 juin 1800) et redevint maître de l’Italie. Après d’inutiles pourparlers, il fallut encore, en décembre, une autre victoire, celle de Moreau à Hohenlinden, pour que l’empereur François II cédât. En février 1801 fut signé le traité de Lunéville. L’Autriche renonçait à l’Italie, reconnaissait toutes les conquêtes de la France révolutionnaire et les quatre Républiques associées ou plutôt vassales, la Batave, l’Helvétique, la Cisalpine et la Ligurienne. La rive gauche du Rhin devint française et fut divisée en départements. Ce fut le triomphe de Bonaparte et celui de la Révolution. Pour la première fois dans son histoire, la France avait atteint ses frontières dites « naturelles ». La Gaule de César était reconstituée. Elle l’était par la défaite de l’ennemie traditionnelle, la maison d’Autriche, et il semblait que la politique républicaine, héritière de la politique antiautrichienne, la politique de 1741, eût raison contre la politique des Bourbons. Déjà Bonaparte formait le projet de remanier l’Europe, de rassembler les peuples encore divisés, Allemands et Italiens, de créer, à la place des vieilles constructions historiques, des États nationaux, « naturels » eux aussi, et d’en prendre la direction. Abolir en Europe tout ce qui était « gothique », ce que les traités de Westphalie étaient destinés à conserver pour empêcher les rassemblements de nationalités contre la France, pour empêcher surtout l’unité germanique, faire table rase des vieilles institutions, à l’extérieur comme à l’intérieur : c’était l’essai de réaliser un rêve, celui de la République universelle, sous la présidence du peuple français, et c’était encore une idée de la Révolution. On en trouvait l’origine chez ses orateurs comme chez les publicistes du dix-huitième siècle dont Bonaparte était le fils spirituel. Nul ne sait ce que fût devenu ce vaste système où la France occupait le premier rang si l’Angleterre avait été vaincue. Mais l’Angleterre ne le fut pas. Et le système, ayant détruit nos sécurités et nos sauvegardes, ne devait pas tarder à se retourner contre nous.

L’Autriche avait signé la paix de Lunéville dans l’esprit où elle avait déjà, avec la Prusse et la Russie, partagé la Pologne, l’esprit de trafic qui s’était paré des principes contre-révolutionnaires. Comprenant que les temps avaient changé, elle mettait elle-même à l’encan le vieil Empire germanique, elle en partageait les dépouilles avec la France, sacrifiait les princes allemands pour se fortifier par des annexions de territoires, ce qui lui permettrait bientôt de reprendre la lutte. Dans le même calcul, l’Angleterre, restée seule combattante, finit, l’année d’après, par entrer à son tour en négociations avec le Premier Consul.

Tout ce qui se passa en 1801 fournit la preuve que l’Angleterre, privée d’alliés, ne pouvait rien sur le continent contre la France, mais que, sur mer, Bonaparte était impuissant à l’atteindre. S’il eut jamais des chances d’y réussir, ce fut pourtant à ce moment-là. Les navires et les ports de l’Espagne et de la Hollande étaient à notre disposition, la Russie dans nos intérêts, les Scandinaves réunis dans une ligue des neutres qui fermait la Baltique au commerce anglais. De ces éléments, il eût été possible de tirer de grands résultats à la condition que notre marine, ruinée par la Révolution, fût rétablie. Elle ne l’était pas. Ses restes furent mis hors de combat avec les bâtiments espagnols et hollandais, la Russie nous échappait après l’assassinat mystérieux de Paul ler, et le bombardement de Copenhague dispersait la ligue des neutres. Si le Premier Consul obtint la paix d’Amiens, ce fut par la ruse et le calcul. Il savait l’Angleterre fatiguée de la guerre, de l’argent qu’elle lui coûtait. En reprenant ostensiblement des plans de débarquement et d’invasion en Grande-Bretagne, pour lesquels des préparatifs avaient déjà été faits en 1797, il effraya le public anglais et, les négociations s’étant ouvertes, il les dirigea vers un compromis qui rendait la paix d’Amiens fort semblable à la paix de Lunéville ; comme il avait dédommagé l’Autriche aux dépens des princes allemands, il dédommagea l’Angleterre aux dépens de nos alliés : Ceylan fut enlevé à la Hollande, la Trinité à l’Espagne. De cette transaction, où nous renoncions d’ailleurs à l’Égypte, perdue pour nous depuis que les communications par mer étaient coupées, la suprématie maritime et coloniale de l’Angleterre sortait accrue. Le traité d’Amiens (mars 1802) « lui fut, dans une large mesure, une revanche du traité de Versailles », celui de 1783.

Une paix ainsi conclue ne pouvait être qu’une trêve. En effet, malgré la chute de Pitt, les idées dominantes de la politique anglaise ne changeaient pas. Dans un pays d’opinion, le gouvernement avait cédé aux difficultés intérieures, au mécontentement du commerce, qui attribuait à la prolongation de la guerre la fermeture des marchés continentaux. Quand, au bout de quelques mois, les hommes d’affaires anglais eurent compris que ces marchés leur étaient fermés, parce que la France tenait, avec la Belgique et la Hollande, les bouches de l’Escaut, la reprise de la guerre ne tarda plus.

La France, après le traité d’Amiens, s’était pourtant persuadée que la paix était définitive. Le Premier Consul lui-même partageait cette illusion. Il travaillait à créer un état de choses durable, il organisait le pays et ses conquêtes dans l’esprit qu’il avait montré dès son arrivée au pouvoir. Comme à d’autres époques que nous avons vues dans notre histoire, il y avait à réparer ce qu’une longue anarchie avait détruit : à elle seule, la réfection des routes en disait long sur l’étendue des dégâts accumulés et de la tâche à remplir. Dans cette œuvre, de restauration, semblable à celle que la monarchie avait eu, au cours des siècles, à reprendre tant de fois, Bonaparte s’éloignait de la Révolution tous les jours davantage. Dans la fonction qu’avaient tenue avant lui Charles V ou Henri IV, des sentiments et des idées monarchiques se formaient chez le Premier Consul. Les royalistes crurent un moment qu’il songeait à rappeler les Bourbons. Louis XVIII, de l’exil, lui écrivit une lettre à laquelle il répondit d’une manière qui ne laissait aucun espoir. S’il songeait à la monarchie, c’était pour lui-même. Le complot de quelques Jacobins pour le poignarder avait accru son horreur des révolutionnaires. Peu de temps après, en décembre 1800, il avait échappé à l’explosion d’une machine infernale rue Saint-Nicaise.

Les terroristes, les septembriseurs furent accusés de ce crime et plus de cent anciens membres de la Convention et de la Commune inscrits sur une liste de proscription. Fouché, ministre de la police, ne tarda pas à découvrir que les auteurs du complot étaient cette fois des royalistes, agents de l’irréconciliable Georges Cadoudal. Ils furent exécutés, mais la politique du Premier Consul ne changea pas. Il préparait alors le rétablissement officiel de la religion catholique, malgré les difficultés qu’il rencontrait, malgré les murmures des militaires eux-mêmes, car les passions religieuses avaient été les plus vives de la Révolution. Le 15 juillet 1801, il avait réussi à signer un Concordat avec Pie VII et le cardinal Consalvi. Au moment de la paix d’Amiens, tout concourait ainsi à rendre la tranquillité et la prospérité à la France. La popularité du Premier Consul était telle qu’on le regardait comme indispensable et les menaces dirigées contre sa vie n’avaient pour effet que de fortifier son prestige.

Cependant, avec l’étonnante faculté que possède la France de se relever de ses ruines dès que l’ordre est rétabli, des richesses se reformaient, le commerce et l’industrie étaient florissants, les finances elles-mêmes revenaient à la santé : les malheureux rentiers qui avaient attendu de 1789 un raffermissement de leur créance sur l’État et qui n’avaient vu que la banqueroute, commençaient enfin à être payés. C’était, il est vrai, avec une grosse réduction. Le Directoire avait promis de reconnaître le tiers de leur revenu, le « tiers consolidé » qui déguisait la faillite. Il avait fallu attendre le Consulat pour que cette promesse elle-même fût tenue. Ainsi finissait, par un sacrifice pour les capitalistes, l’âpre conflit qui, sous l’ancien régime, les avait mis aux prises avec l’État et qui avait été une des causes de la Révolution.

Dans cette grandeur et cette prospérité, le Premier Consul avait pourtant une inquiétude, et cette inquiétude était légitime. Après tout, son pouvoir manquait d’une base solide. Il le possédait pour dix ans, il s’en était écoulé trois, et la Constitution de Sieyès, même revue et corrigée, n’était pas des plus rassurantes pour la stabilité du régime. Une opposition très vive s’était déjà manifestée au Tribunat et n’avait ménagé aucun des projets auxquels Bonaparte tenait le plus, ni le Concordat, ni l’Ordre de la Légion d’honneur, ni le Code civil. Cette opposition deviendrait plus dangereuse avec le temps et à, mesure qu’on se rapprocherait du terme des dix années. On apercevait clairement que, comme sous le Directoire, la France oscillerait encore entre les royalistes et les Jacobins, qu’on retournerait aux agitations et à l’anarchie. Pour asseoir le régime nouveau, des procédés tels que l’élimination des opposants, forme atténuée des épurations de la période révolutionnaire, ne suffisaient pas. Par une pente naturelle, on voulut lui donner l’avantage de la durée afin de soustraire le pouvoir aux contestations. On en venait ainsi au rétablissement de la monarchie en faveur du Premier Consul. Lui-même dissimulait ses désirs et son ambition, ne demandait rien, laissait agir ses amis. Après le triomphe de la paix d’Amiens, ils proposèrent de lui attribuer une récompense nationale, mais le Sénat ne vota qu’une autre période de dix années. C’était malgré tout une déconvenue. Alors Cambacérès imagina de soumettre au peuple la question de savoir si, oui ou non, Napoléon Bonaparte (son prénom commençait à paraître officiellement) serait nommé Premier Consul à vie, et trois millions et demi de voix, contre moins de dix mille, répondirent par l’affirmative. La Constitution fut remaniée dans ce sens, et le Premier Consul reçut en outre le droit de choisir lui-même son successeur (août 1802). Quoiqu’il n’eût pas d’enfants, rien n’interdisait que ce successeur fût son fils s’il en avait un.

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