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Histoire de France par Jacques Bainville. Les guerres civiles et religieuses remettent la France au bord de la ruine. Guerres de religion. Partie 2

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Histoire de France
L’Histoire de France par Jacques Bainville : 2000 ans d’Histoire de notre pays, des Gaulois jusqu’au début du XXe siècle. Événements, contexte historique.
Les guerres civiles et religieuses
remettent la France au bord de la ruine
(Chapitre 9 - Partie 2/2)
(par Jacques Bainville)
Publié / Mis à jour le dimanche 10 juillet 2011, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 12 mn
 
 
 
En somme, la monarchie avait traité avec un parti rebelle comme avec des belligérants et cette politique, pour réussir, supposait un apaisement général, une vaste réconciliation de famille entre les Français. Afin de l’obtenir, Charles IX voulut commencer par en haut. Le premier prince du sang c’était le fils d’Antoine de Bourbon et de la reine de Navarre, c’était le futur Henri IV à qui revenait la couronne si le roi et ses jeunes frères mouraient sans enfants

Henri de Bourbon était protestant. Sa mère, l’ardente calviniste Jeanne d’Albret, l’avait conduit à La Rochelle et il avait fait ses premières armes sous Coligny. On pouvait prévoir une situation très grave le jour où la couronne passerait des Valois aux Bourbons, où le principe héréditaire appellerait au trône un protestant que les catholiques refuseraient de reconnaître. C’était et ce devait être la plus grande des difficultés que la monarchie eût rencontrées en elle-même depuis ses origines. Il fallait donc aider, préparer la fusion, faciliter la transmission de l’héritage. L’idée de Charles IX, idée à laquelle, malgré toutes les oppositions, il ne renonça pas, fut de donner sa sœur Marguerite en mariage à Henri de Bourbon pour rapprocher les deux branches de la famille.

En 1571, Catherine écrivait, avec la joie d’un grand succès : « Nous avons ici l’amiral à Blois. » Coligny à la cour, c’était un renversement complet de la situation. Le chef des rebelles, qui avait, quelques mois plus tôt, presque assiégé Paris, brûlé un de ses faubourgs, entra dans la ville à la droite du roi. Il devenait son conseiller. Il fit avec lui des plans de politique extérieure fondés sur une alliance avec le prince d’Orange contre Philippe II. On se réconcilia même avec la reine d’Angleterre, qui tenait pourtant Marie Stuart en prison. Un mariage entre Élisabeth et le duc d’Anjou ou, à son défaut, le duc d’Alençon, fut ébauché. Coligny rendit ses places de sûreté en témoignage que les calvinistes avaient cessé d’être les ennemis de l’État et il envoya ses bandes en avant pour délivrer les Pays-Bas des Espagnols. La « guerre d’Espagne » devait rallier tous les « bons Français », et la conquête de la Flandre détourner la nation de la guerre civile.

Par un brusque revirement, la politique de la France devenait protestante et Coligny avait manqué de mesure. Un grand et rapide succès de la diversion qu’il avait conçue eût peut-être tout entraîné. Mais ses calculs étaient chimériques. Une entreprise de la France aux Pays-Bas inquiétait l’Angleterre et l’Allemagne. L’Espagne de Philippe II était puissante et l’on ne savait jusqu’où une guerre avec elle pouvait mener. Les esprits politiques s’alarmaient des dangers de cette entreprise et ils sentaient la population catholique s’énerver de la faveur et de l’autorité croissante des protestants. Surtout, le mariage de Marguerite de Valois et d’Henri de Bourbon, le premier « mariage mixte » et sans dispense du pape, faisait scandale. On prêchait dans Paris contre les fiançailles. Charles IX, pour qui cette union était le point capital de sa politique, persévéra. Il força même le consentement de sa sœur. À Notre-Dame elle hésitait encore, et l’on raconte que le roi, d’un geste brusque, la força d’incliner la tête pour dire oui.

C’est dans ce mariage, pourtant destiné à être le symbole de la réconciliation des Français, qu’est l’origine de la Saint-Barthélemy. La vendetta des Guise contre Coligny ne suffit pas à expliquer cette explosion de fureur. Il est vraisemblable qu’un premier attentat dirigé contre Coligny, qui fut seulement blessé, fut inspiré par Henri de Guise en représailles du meurtre de son père. Mais l’excitation de Paris était grande. On avait annoncé que les noces d’Henri de Bourbon seraient des « noces vermeilles ». En somme le gouvernement, par sa nouvelle politique favorable aux protestants, s’était mis dans une de ces situations fausses dont on ne sort plus que par la violence. La sincérité de Charles IX ne peut être mise en doute. Après l’attentat de Maurevel contre Coligny, il avait encore pris des mesures pour la protection des calvinistes. Ce ne fut pas sans de longues hésitations qu’il finit par se ranger au parti contraire et par se rendre aux conseils de Catherine de Médicis qui, ramenée à d’autres sentiments, lui représenta qu’il mettait la monarchie en danger, que Coligny l’entraînait à sa perte, que si les Guise prenaient la direction de la réaction catholique qui s’annonçait, ils deviendraient les maîtres de l’État. L’unique ressource était de les devancer et de frapper lu, parti protestant à la tête.

La Saint-Barthélemy fut ainsi bien moins l’effet du fanatisme que la conséquence de la politique de bascule et de la politique de ménagements. Le roi, pour avoir penché du côté de Coligny, était dans une impasse. Les protestants étaient installés au Louvre avec son beau-frère. Comment les renvoyer ? Mais s’il continuait à gouverner avec Coligny, une révolution pouvait les renverser tous les deux. Chasser Coligny ? Autre perplexité. C’était aussi chasser Henri de Bourbon à qui le roi venait de donner sa sœur. C’était désavouer ce mariage qui avait coûté tant de peine, suscité tant d’opposition, et qui avait tant d’importance pour l’avenir du trône. Cependant un coup d’État des Guise, qui avaient refusé de quitter Paris et que la population approuvait, était imminent.

Les deux journées qui précédèrent le 24 août 1572 furent remplies par des conseils orageux où furent exprimés les avis les plus divers. Le plus curieux, celui qui peint le mieux la situation, fut donné par Catherine de Médicis qui songeait à laisser le champ libre aux Lorrains, comme on appelait les Guise, pour se retourner contre eux quand ils auraient décapité le parti calviniste. Ainsi la monarchie n’eût pas trempé dans la sanglante affaire et elle eût été affranchie de tous les grands, de tous les chefs, catholiques et protestants. Ce plan parut compliqué, dangereux, incertain, capable de donner aux Guise une autorité qu’il eût été difficile de leur reprendre ensuite. D’ailleurs le temps pressait. Il fallait se décider. Il fallait agir. On savait que les huguenots allaient venir en corps accuser les Guise devant le roi. Charles IX se vit entre deux périls et ses dernières hésitations furent vaincues.

Loin qu’il y ait eu préméditation dans la Saint-Barthélemy, on y distingue au contraire l’effet d’une sorte de panique. Les objections du roi étaient celles d’un homme qui ne voit que dangers à tous les partis qu’on lui soumet. Un autre trait révélateur c’est que Charles IX commença à se décider lorsque Gondi lui eut suggéré que le roi pourrait dire à la France : « Messieurs de Guise et de Châtillon se sont battus. Je m’en lave les mains. » Ce n’était pas héroïque, mais cette anxiété, cette prudence, ce soin de se couvrir de tous les côtés montrent que Charles IX avait le sentiment que le sort de la monarchie et de l’État se jouait. Michelet convient que, dans le conseil royal, l’hypothèse qui parut la plus redoutable (et elle se réalisera plus tard avec la Ligue) fut celle où un grand parti catholique s’organiserait et se dresserait contre la monarchie compromise avec le parti protestant. L’expérience devait prouver que la raison était forte. Par elle se décida le coup.

Il n’y eut pas besoin qu’on excitât Paris. Non seulement Coligny et les chefs, mais tous les protestants furent massacrés avec une fureur enthousiaste. Paris avait de vieilles rancunes, à la fois religieuses et politiques. Le petit commerce parisien reprochait aux huguenots de faire du tort aux « affaires » par leurs guerres civiles. Jusque dans le Louvre, on tua les gentilshommes protestants, et il y avait parmi eux les plus beaux noms de France. Charles IX eut peine à sauver son beau-frère et Condé, qu’il voulait épargner, non seulement par sentiment de famille, mais aussi pour garder quelqu’un à opposer aux Guise. Le vrai sens de la fameuse journée est là. Plus tard, dans ses Considérations sur les coups d’État, Gabriel Naudé écrira que celui de 1572 était resté « incomplet » parce que les princes lorrains n’avaient pas subi le même sort que les Châtillon.

Avec passion, les provinces avaient suivi l’exemple de Paris. Un peu partout les protestants furent tués en masse, comme si les catholiques n’eussent attendu que ce signal et l’autorité intervint pour modérer cette ardeur plutôt que pour exciter au massacre. L’effet de terreur fut profond sur les calvinistes. Beaucoup abjurèrent, surtout les gentilshommes, les grands bourgeois, à l’exemple d’Henri de Bourbon, qui, une première fois, se convertit. Le protestantisme, décapité, mais privé de ses éléments conservateurs, en aura désormais des tendances plus républicaines et plus révolutionnaires. S’il s’éteint dans une partie de la France, il se réfugie, dans l’Ouest, à La Rochelle, et, dans le Midi, autour des Cévennes où le souvenir des Albigeois lui donnait une sorte de prédestination. La guerre civile n’est donc pas finie. Ce qui l’est, c’est l’expérience tentée par Charles IX, l’essai d’une collaboration avec les calvinistes. Le fait qui reste, c’est que la France n’a voulu accepter ni la Réforme ni l’influence des réformés sur le gouvernement.

Il faut reconnaître que l’horreur de la Saint-Barthélemy, répandue et répercutée par l’histoire, n’a été que modérément ressentie par les contemporains. Charles IX et sa mère, si troublés au moment de prendre leur résolution, n’étaient pas sans inquiétude après. Mais on cherche en vain la trace d’une grande réprobation de l’Europe. En somme, l’événement fut jugé au point de vue de ses résultats politiques. La monarchie française s’était tirée d’un péril pressant : Philippe II n’en eut aucun plaisir. Quant aux puissances protestantes, elles pensèrent que le roi de France serait plus fort pour maintenir l’équilibre en face du roi d’Espagne. La reine d’Angleterre, le prince d’Orange, les princes protestants d’Allemagne se rapprochèrent de la cour de France. Avec leur assentiment, le troisième fils de Catherine de Médicis, le duc d’Anjou, fut élu roi de Pologne. Louis de Nassau travaillait même pour que Charles IX fût élu empereur.

Le roi, très jeune encore, allait d’ailleurs mourir dès 1574. Avec la passion qui travestit cette période de notre histoire, on a prétendu que le remords de la Saint-Barthélemy l’avait tué. Que ces terribles scènes aient frappé son imagination, c’est à l’honneur de Charles IX. Mais sa mort - une pleurésie - fut troublée par autre chose que des souvenirs. Dans un pays où, depuis cinquante ans, des guerres civiles incessantes avaient succédé à une grande guerre étrangère, il y avait des souffrances et de l’irritation. Aux protestants insoumis du Midi et de La Rochelle, les « malcontents » s’étaient joints. Et, de même qu’il y avait les Guise avec les catholiques et les Châtillon avec les calvinistes, les malcontents avaient eux une autre grande famille, celle des Montmorency, qui représentait le tiers parti. Ainsi, il était facile d’entrevoir de nouvelles convulsions, mais aussi une nouvelle combinaison de tendances et de force, celle des catholiques modérés unis aux huguenots, regroupés sous la direction d’Henri de Bourbon, roi de Navarre.

La deuxième phase des guerres de religion, si tourmentée, presque fantastique, est un renversement curieux des situations. La France ne sera pas protestante : c’est pour l’histoire une affaire jugée. Mais les catholiques ne sont pas encore rassurés, loin de là. Charles IX ne laisse pas de fils. Il est peu probable qu’Henri III en laisse un. Alors l’héritier du trône, ce sera Henri de Bourbon, le protestant mal converti qui est déjà retourné à la Réforme. Plutôt un autre roi, plutôt la République qu’un roi huguenot : ce sera la formule de la Ligue. Mais Charles IX, puis Henri III, ces derniers Valois décriés et injuriés plus que tous les autres souverains français, tiennent bon, à tous risques, sur le principe essentiel, le rocher de bronze de I’État : la monarchie héréditaire. C’est pour ce principe qu’Henri III, qui passe pour efféminé comme il passe pour avoir conseillé la Saint-Barthélemy, va lutter quinze ans. À la fin, il le paiera de sa vie.

Il était en Pologne à la mort de son frère et il ne rentra en France que pour trouver un royaume divisé, un trône chancelant. Son plus jeune frère, le duc d’Alençon, était contre lui, avec la coalition des mécontents et des huguenots. Rébellion coups de main, combats partout. Le roi n’était pas assez fort pour venir à bout des séditieux. Il le tenta vainement. Vainement aussi il tenta, en négociant, d’arrêter une armée allemande, vingt mille reîtres en marche pour rejoindre les rebelles de l’Ouest et du Midi. Pour empêcher cette jonction. redoutable, Henri III préféra capituler et céder de bon gré ce que lui eussent imposé les rebelles. Le duc d’Alençon reçut un apanage. Les Montmorency reprirent leurs charges. Les protestants obtinrent le libre exercice de leur culte, sans restriction d’aucune sorte, des places de sûreté, des sièges dans les Parlements, tout ce qu’ils demandaient, depuis un quart de siècle, les armes à la main, plus un désavœu de la Saint-Barthélemy, une vraie amende honorable, quatre ans après la célèbre journée. Encore une fois, la monarchie cherchait un accord avec le parti protestant.

Chez les catholiques, la réponse ne tarda pas, et elle fut violente. C’est alors que naquit la Ligue que pressentait Charles IX et dont la crainte l’avait déterminé, la veille de la Saint-Barthélemy. À l’exemple des protestants qui avaient levé des armées, formé un gouvernement, dressé un État contre l’État, les catholiques constituèrent à leur tour une association politique. Le mouvement partit de Picardie, dont les habitants refusaient de laisser Péronne comme place de sûreté aux huguenots, mais l’idée s’en était déjà répandue sur beaucoup de points lorsque le manifeste de la « Sainte-Union » fut lancé par Henri de Guise. Le Balafré (il venait d’être blessé au visage en combattant les reîtres) était aussi populaire que son père l’avait été. La situation qui s’était vue sous les règnes précédents avec le duc François se reproduisait : le parti catholique aurait un chef politique plus puissant que le roi lui-même.

Le manifeste d’Henri de Guise n’était pas expressément dirigé contre la monarchie. Mais il contenait déjà des indications inquiétantes. On y demandait pour les « provinces de ce royaume » le rétablissement des « droits, prééminences, franchises et libertés anciennes, telles qu’elles étaient du temps du roi Clovis, premier roi chrétien, et encore meilleures, plus profitables, si elles se peuvent inventer ». Ce bizarre souci d’archaïsme et de tradition, cachait, disait-on, la grande idée des Guise, qui prétendaient descendre de Charlemagne et qui voulaient se faire rois. En tout cas la Ligue, à peine constituée, montra sa force. Henri III s’empressa de la reconnaître et de se mettre à sa tête pour ne pas être débordé. Il était difficile de gouverner dans des conditions pareilles et la monarchie, par ses oscillations, trahissait sa faiblesse. Dans son perpétuel effort pour maintenir l’équilibre, elle suivait les impulsions et ne les donnait pas. Elle n’avait même plus d’argent pour les dépenses les plus nécessaires ni autorité pour en avoir. Afin d’obtenir les ressources indispensables, des états généraux, où la Ligue ne fit élire que des catholiques, furent tenus à Blois en 1576. Ils s’achevèrent dans la confusion de vœux et de votes contradictoires, tant sur la question de religion que sur celle des subsides. Henri de Guise n’en sortait pas vainqueur, mais le roi en sortit bien diminué.

De cette date jusqu’à 1585, le gouvernement vécut au jour le jour dans un affaiblissement extrême. L’année d’après les états de Blois, Henri III tenta un coup d’autorité et prononça la dissolution de toutes les ligues, protestantes aussi bien que catholiques. Ce fut en vain. Les moyens d’être obéi lui manquaient. Beaucoup de gens crurent alors la royauté près de la fin. C’est à peine si le roi était en sûreté dans son Louvre et sa cour ressemblait à celle d’un petit prince d’Italie entouré de complots et d’assassinats. Il lui fallait à son service, pour le protéger, des spadassins, qu’on appela les mignons et qui furent ensuite les Quarante-Cinq. Conseillé par sa mère, il essaya, pour durer, toutes les recettes de Catherine de Médicis et même celles de Charles IX, l’entente avec Élisabeth d’Angleterre et la diversion extérieure par une campagne aux Pays-Bas. L’expédition réussit mal et c’est après l’échec d’Anvers que mourut le duc d’Alençon, quatrième fils d’Henri II. Dès lors, Henri de Bourbon qui, depuis longtemps, s’était échappé de Paris et qui était retourné au calvinisme, devenait, de toute certitude, l’héritier du trône. Ce fut pour les Guise l’occasion de ranimer la Ligue en excitant les catholiques contre Henri III qui voulait laisser sa couronne à un protestant et imposer un « roi hérétique » à la France.

La Ligue, qui eut à Paris son foyer le plus ardent, était une minorité, mais une minorité active et violente. La petite bourgeoisie, les boutiquiers irrités par la crise économique, en furent l’élément principal. Aussi n’est-on pas surpris de retrouver aux « journées » de la Ligue le caractère de toutes les révolutions parisiennes, celles du quatorzième siècle comme celles de la Fronde et de 1789.

En 1576, la Ligue avait langui. Cette fois, elle mit encore plusieurs mois avant de faire explosion. L’idée d’Henri III était d’user les catholiques et les protestants les uns par les autres. Tout en affectant de se conformer aux désirs des ligueurs, il cherchait à ménager les protestants. Une maladresse dérangea ses projets. Contre ses instructions, son lieutenant, le duc de Joyeuse, chargé de contenir le roi de Navarre, redevenu chef des calvinistes, lui offrit la bataille et l’occasion de la gagner. Le Béarnais vainquit à Coutras (1587). C’était la première victoire que les protestants remportaient. Henri de Bourbon en profita modérément. Il donnait déjà l’impression qu’il se comportait en futur roi de France plutôt qu’en chef de parti et « qu’il voulait laisser entier l’héritage qu’il espérait ». Mais Coutras produisit un effet profond sur les catholiques. Henri III devint suspect de faiblesses et de ménagements calculés en faveur des ennemis de la religion et de l’État. Il fut accusé de trahir. D’innombrables libelles, d’une violence extraordinaire, furent publiés contre lui. Le cri de la Ligue devint : « Sus au roi ! » Les ligueurs réclamaient des états généraux. Ils annonçaient ouvertement que, si Henri III mourait, l’ordre de succession serait changé et que le cardinal de Bourbon serait appelé au trône et non pas le protestant Henri de Navarre. Des prêtres, en chaire, accusaient le roi de tous les vices et de tous les crimes : il n’est pas étonnant que sa mémoire nous soit arrivée si salie.

Aucun gouvernement n’eût souffert pareil scandale sans se condamner à disparaître. Henri III voulut sévir et ordonna l’arrestation des prédicateurs qui l’insultaient. Aussitôt la ville s’émut, les ligueurs prirent les armes et appelèrent le duc de Guise qui vint à Paris malgré la défense du roi et fut acclamé par la foule. La ville se remplissait de ligueurs accourus des provinces environnantes et l’insurrection se préparait devant les autorités impuissantes, puisque la commune de Paris assurait elle-même sa police. Le gouvernement devait se défendre ou abdiquer. Henri III se résolut à une sorte de coup d’État, et, violant le privilège municipal, fit entrer un régiment suisse et des gardes françaises. Alors les ligueurs crièrent à l’illégalité et à la tyrannie, des barricades se dressèrent dans toutes les rues et jusqu’autour du Louvre, où les agitateurs parlaient d’aller prendre le roi. Henri III était presque seul au milieu de Paris hostile. Il n’attendit pas d’être arrêté et s’écbappa secrètement avec un petit nombre de gentilshommes et de conseillers.

Cette « journée des barricades », cette insurrection parisienne, cette fuite, les sentiments républicains de beaucoup de ligueurs, montrent comme la royauté était tombée bas. Pourtant c’est à Chartres, où Henri III s’était réfugié comme jadis Charles VII à Bourges, que s’étaient réfugiées aussi l’idée de l’État et l’idée nationale. Ce qui se battait en France à travers les partis, c’était l’étranger. Élisabeth soutenait les protestants. Philippe II la Ligue. L’Espagne et l’Angleterre continuaient chez nous la lutte qu’elles se livraient depuis longtemps. Et c’est un bonheur pour la France qu’aucune puissance n’ait alors été en mesure de profiter de ses désordres, l’Allemagne étant divisée, l’Angleterre tenue en respect par les Espagnols, tandis que le désastre de l’Armada dispersée devant les côtes anglaises enlevait à Philippe II les moyens de dominer l’Europe. La France était pourtant si affaiblie que le duc de Savoie pouvait se permettre de lui enlever le marquisat de Saluces.

La royauté humiliée, obligée de subir les exigences de la « Sainte-Union » ; l’anarchie partout ; la République, que les protestants n’avaient pu faire, à moitié réalisée par les catholiques : en 1588 les états généraux de Blois, triomphe de la Ligue, donnèrent ce spectacle. Des députés ligueurs demandèrent que la France se gouvernât comme l’Angleterre et la Pologne. Par une démagogie facile, les impôts furent à peu près supprimés. Plus tard, la Ligue abolira même les loyers et les rentes.

Le roi n’était plus le maître en France. La Ligue gouvernait à sa place, lui laissait à peine de quoi vivre dignement. Chassé de Paris, bafoué par les états généraux, il n’était pas plus en sûreté à Blois qu’au Louvre. On se battait jusque dans son antichambre. D’un moment à l’autre, le duc de Guise pouvait s’emparer de lui, le forcer à abdiquer, l’enfermer dans un cloître comme un obscur Mérovingien. Rien n’avait réussi à Henri III, ni l’habileté, ni les concessions, ni la tentative de coup de force dans sa capitale. Restait une suprême ressource : frapper à la tête, supprimer les Guise. Légalement ? Impossible d’y penser. Pour condamner les princes lorrains, le roi n’eût trouvé ni un Parlement ni un tribunal. Alors l’idée qui, à la Saint-Barthélemy, avait déjà été suggérée à Charles IX, s’imposa à l’esprit d’Henri III. Pour sauver la monarchie et l’État il n’y avait plus que l’assassinat politique. Henri III s’y résolut et Guise, averti, ne le crut même pas capable de cette audace, tant il se sentait puissant. Son fameux : « Il n’oserait » était l’expression de son dédain, le mot d’un homme sûr de lui. Il logeait au château même, entouré de ses gens, et le roi était presque relégué dans « son vieux cabinet ». Il fallut, pour ce drame, autant d’assurance chez Guise que d’audace chez Henri III qui ne pouvait compter que sur les quelques gentilshommes gascons qui tuèrent le duc à coups de poignard et d’épée au moment où il entrait dans la chamnbre du conseil (23 décembre 1588). Son frère le cardinal fut tué le lendemain, les autres membres de la famille de Lorraine et les principaux ligueurs arrêtés.

Cet acte de violence n’eut pas le résultat que le roi espérait, car, s’il privait la Ligue de son chef, il ne la supprimait pas. Cependant c’était un acte sauveur et qui, par ses conséquences indirectes, allait porter remède à l’anarchie. Pour Henri III, tout accommodement était devenu impossible avec la Ligue qui réclamait son abdication, gouvernait Paris par le Conseil des Seize, créait pour la France le Conseil Général de l’Union, tandis que, pour sauver les apparences, un roi était ajouté à ce régime républicain et le nom de Charles X donné au cardinal de Bourbon. Ainsi la succession par ordre de primogéniture, loi fondamentale et tutélaire du royaume, était ébranlée, presque renversée. Dans ce désordre, dans cette révolution qui ruinait l’œuvre de plusieurs siècles, il n’y avait plus qu’un moyen de salut : c’était que le roi et son successeur légitime agissent de concert. Henri III et Henri de Bourbon réconciliés le comprirent, sautèrent ce grand pas. Ils unirent leurs forces trois mois après le drame de Blois. L’assassinat du duc de Guise avait préparé la transmission régulière du pouvoir des Valois aux Bourbons. Il avait rendu possible le règne d’Henri IV. Cet inestimable service rendu à la France, désormais sauvée de l’anarchie et du démembrement, a été payé à Henri III par le régicide et par l’ingratitude des historiens qui n’ont retenu de lui que les injures des pamphlets catholiques et protestants.

Grâce à l’armée que le Béarnais apportait à la cause royale, les troupes de la Ligue furent refoulées et les deux cousins, le roi de France et le roi de Navarre, mirent le siège devant Paris. Là régnaient une passion, une frénésie, une haine indescriptibles telles que les engendre seulement la guerre civile. Un moine fanatisé, Jacques Clément, muni d’une lettre fausse, se rendit au camp royal, à Saint-Cloud, et, introduit auprès du roi, le tua d’un coup de couteau. Les dernières paroles d’Henri III furent pour désigner Henri de Bourbon comme son héritier légitime et pour prédire sa conversion (ler août 1589).

Henri III était mort pour une idée celle de l’État, de la monarchie, de l’unité nationale. Il n’était pas mort en vain. Par Henri IV, l’homme aux deux religions, la France allait retrouver la paix intérieure. Par ce prince politique, l’heure des « politiques », l’heure du tiers parti approchait.

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