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Maux de la société résolus par la science ? Maurice Radiguet, humour : vaccination contre alcoolisme, vol, paresse, jeu, bellicisme

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L’Histoire éclaire l’Actu
L’actualité au prisme de l’Histoire, ou quand l’Histoire éclaire l’actualité. Regard historique sur les événements faisant l’actu
Science omnipotente :
des vaccins à la rescousse
d’une société malade ?
(Extrait de « Le Pêle-Mêle », n° du 11 février 1900)
Publié / Mis à jour le dimanche 6 décembre 2020, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 
 
 
En 1900, Maurice Radiguet — père de l’écrivain mort à 20 ans Raymond Radiguet —, qui collabora à nombre de journaux humoristiques, ironise sur la propension de la société contemporaine à vouloir endiguer par science interposée, quelques-uns des fléaux qui l’affectent, caressant ainsi l’espoir de vacciner l’individu contre l’alcoolisme, le vol, la paresse, le tempérament belliqueux, la passion du jeu, l’impolitesse...

Merveilleuses découvertes !... Le monde régénéré ! Le XXe siècle ou le siècle des mille vaccins !... Plus d’ivrognes ! Plus d’enragés ! Plus de voleurs ! Plus de paresseux ! Plus de batailleurs ! Plus de bavards ! Plus de célibataires ! Plus d’avares ! Plus de joueurs ! Plus de etc., etc., etc., etc., etc. !!!! Hosanna ! Gloire aux vaccins ! s’exclame Radiguet.

Voici au plus un siècle (1796) que l’admirable Jenner rendit publique sa précieuse découverte de la vaccine. Un siècle !... tout un siècle, il a fallu pour vaincre l’ignorance, l’incrédulité des foules. Aujourd’hui, la vaccine est devenue obligatoire... nous disons la, car il existe maintenant d’innombrables vaccines qui toutes dans un avenir rapproché devront être également rendues obligatoires. Et ce sera la gloire du XXe siècle et son plus précieux titre à l’immortalité.

Institut Multivaccinal
Institut Multivaccinal

Notre grand Pasteur a trouvé le virus de la rage. Pourquoi ne sommes-nous pas tous vaccinés contre ce mal effroyable. Que de catastrophes, de drames, de luttes intestines l’on eût évités en cette dernière année particulièrement, si l’Etat avait eu la prévoyance de nous contraindre à l’inoculation forcée du précieux virus... Mais n’insistons pas sur un sujet aussi pénible que délicat et parlons plutôt de la merveilleuse découverte qui vient de révolutionner le monde des savants.

L’antiéthyline, vaccin contre l’alcoolisme
Nous voulons parler de l’ « antiéthyline » ou sérum de cheval alcoolique. Le cheval alcoolique – est-il besoin de le dire – ne se trouve pas à l’état sauvage. C’est un produit de la science et de la civilisation. A première vue, il semble étrange que ces braves canassons aient songé à s’adonner aux spiritueux, bien que trop souvent leurs maîtres, les cochers, leur en aient donné le fâcheux exemple. On commence par prendre un petit verre, puis deux, et de tournées en tournées, vous voici devenu l’infect cheval pochard titubant, hoquetant, zigzagant.

Les savants ont songé à tirer parti de cet état de choses et il est avéré maintenant que le virus d’un de ces pauvres alcooliques de chevaux, injecté à un ivrogne, arrive à le guérir radicalement de son affreuse passion... Des expériences sont poursuivies également sur d’inoffensifs chameaux. Cet animal, on le sait, est réputé pour sa sobriété. Rendu alcoolique, son virus acquiert alors une puissance extraordinaire. Ne nous étendons pas outre mesure sur le merveilleux de celte découverte et songeons maintenant aux moyens pratiques de l’utiliser.

Guérir des alcooliques, parbleu ! la chose est aisée... Arriver à leur persuader qu’ils doivent se guérir de ce vice, c’est bien différent. La persuasion, hélas, ne sert à rien. Ce n’est que par surprise, dans la plupart des cas, qu’on arrivera à un résultat sérieux. Des instructions précises devront être données aux agents de police, instructions dont nous pouvons donner un résumé succinct.

Art. 1. Tout : agent, de service sur la voie publique, devra être muni d’une fiole du précieux sérum et d’une aiguille à vacciner. Dès qu’il se trouvera en présence d’un ivrogne, endormi sur un banc, dans un ruisseau ou tout autre endroit de sélection, l’agent, avec toute la délicatesse dont il est susceptible, devra, sans réveiller cet ivrogne, le vacciner promptement. Cette opération faite, il s’éloignera sans plus s’occuper du patient, qui probablement sera à jamais guéri de son ignoble passion.

Art. 2. Des agents en bourgeois auront pour mission de rechercher les ivrognes qui n’étant pas encore à point – nous voulons dire ivres-morts – ne consentiront point à être vaccinés de bon gré. Dès qu’ils se trouveront en présence d’un de ces entêtés pochards, ils l’accosteront avec l’exquise urbanité, la politesse proverbiale qui distinguent nos excellents salariés de la Préfecture. Nous devons ajouter que tous les agents seront vaccinés pour plus de sûreté et afin de prévenir certains abus, tels qu’offres de petits ou grands verres de la part de certains mastroquets nocturnes – offres que les agents non vaccinés acceptaient avec empressement). Nos agents accostent donc le pochard précité. (Le premier prétexte venu est toujours bon en pareille circonstance). Ils lui offrent même un excellent repas... Le pochard ravi les suit... Ils entrent en un restaurant de riche mine, demandent un cabinet particulier.

Notre ivrogne ne se sent pas de joie. Une table est gargantuesquemenl servie (si j’ose m’exprimer ainsi) pâtés dorés, poulets truffés, etc., et des bouteilles ! de vénérables bouteilles qui semblent sorties des entrailles de la terre. « A table », s’écrie insidieusement l’agent amphitryon. Le bon poivrot se laisse lourdement tomber sur son siège. « Aïe !... » : il bondit, comme mû par un ressort en se frottant désespérément son... parfaitement... Il est vacciné. Sa chaise recelait traîtreusement la bienfaisante aiguille vaccinale... « E finita la comedia », le repas est terminé. Tout était postiche, d’ailleurs sur cette table, pâtés, volailles, bouteilles, simples cartonnages ! Notre ivrogne, honteux et confus, jurera mais un peu tard qu’on ne l’y prendra plus... Et s’en ira guéri.

Parlait ! direz-vous, voici d’excellents moyens pour vacciner les gens du peuple, mais n’est-il pas d’ivrognes dans les classes aisées. Ne voit-on pas de bons bourgeois, des artistes, des journalistes et même des gens du grand monde prendre d’abominables cuites. (Parbleu ! la chose est prévue). Nous aurons une brigade d’agents provocateurs (dans la véritable acception du mot). Ces dits agents devront posséder leur brevet de prévôt d’armes et formeront un corps dénommé « duellistes vaccinateurs ». Ils fréquenteront les grands bars, les cercles, les restaurants de nuit, etc., etc., et provoqueront en duel tous les ivrognes de marque qu’ils rencontreront.

Se piquer le nez
Se piquer le nez

Le duel étant inévitable et comme tout duel qui se respecte doit se terminer par une piqûre, cette piqûre sera faite avec une épée vaccinatrice (système breveté avec G. D. G.). Vous voyez comme c’est simple ! Le duelliste vaccinateur s’efforcera d’atteindre le nez de son adversaire. Chacun a pu faire la remarque que l’appendice nasal est la première victime de l’alcoolisme. Le nez rougit des turpitudes de son maître, d’où l’expression « se piquer le nez ». Désormais, cette expression s’emploiera non plus au figuré, mais au propre, et signifiera simplement que l’on est vacciné.

Hélas ! il ne faut pas se dissimuler que pour un long temps nos braves agents vont avoir de la besogne. Toutes les fêtes que l’Exposition provoquer seront autant de prétextes à orgies. Et certes, au 14 juillet par exemple, les quartiers populeux vont regorger d’ivrognes dégorgeant... Les agents, malgré toute leur bonne volonté, ne pourraient suffire, aussi une intéressante machine à vacciner est-elle à l’étude présentement. Eh oui, pour cette année 1900 nous espérons piquer les pochards à la machine !... mais ceci n’est qu’un projet... n’en parlons pas davantage. (Un grand nombre de ces machines seraient installées à l’Exposition et – naturellement – c’est M. Picard lui-même qui présiderait à ces piquages vaccinateurs...)

Un des résultats les plus piquants de l’inoculation de ce sérum anti-alcoolique sera certainement la suppression des pourboires. En effet, tous les garçons de café, d’hôtel, de restaurant, les cochers, etc., qui auront été vaccinés, au seul mot de « pourboire » auront des haut-le-cœur et refuseront énergiquement un argent destiné à un si mauvais emploi... Ce refus aussi digne que motivé sera, nous le pensons, assez bien accueilli par la population parisienne, provinciale et même cosmopolite. Dans le même ordre d’idées, l’on peut être assuré désormais de l’impeccable honnêteté des hommes politiques. Vaccinés, rien qu’au mot « pot de vin », ils se trouveront mal de dégoût...

L’ « anti-kleptomane », vaccin contre le vol
La guérison de l’ivrognerie étant un fait accompli, il n’y avait pas de raisons plausibles pour que l’on n’arrivât point à guérir les pauvres voleurs de leurs tristes penchants. En effet, nous avons la joie d’annoncer la découverte du virus « anti-kleptomane » dont l’inoculation donnera l’horreur du moindre larcin. L’histoire de cette découverte est assez curieuse. Un humble savant, le Dr X..., possédait une pie. Personne n’ignore combien cet oiseau est chapardeur. Vous avez certainement lu la navrante aventure de ce pauvre diable condamné au bagne pour avoir, prétendait-on, dérobé quelques couverts d’argent, une bague, un bracelet et autres menus objets. Au bout de quelque 20 ans, ne retrouve-t-on pas ces bibelots dans le nid d’une pie au haut d’un vieux clocher !... C’était elle la voleuse.

Notre humble docteur, qui sans en avoir l’air avait constaté de la part de sa pie quelques petits actes d’indélicatesse, songea à en tirer parti... La façon dont on guérit l’ivrognerie fut pour lui un Irait de lumière. « Inoculons les voleurs, pensa-t-il génialement, avec du virus de pie !... » (Dans une de ses judicieuses chroniques scientifiques, M. Alphonse Allais attribue à M. Brunetière cette admirable découverte. La chose est bien possible quoique rien ne prouve que le Dr X... ne soit pas arrivé bon premier. Mais en somme, comme cela ne nous coûte rien, partageons notre reconnaissance en deux parts égales dont ces deux extraordinaires savants feront tel visage qu’il leur conviendra).

Aussitôt dit aussitôt fait et pour commencer le docteur vaccine sa bonne. Miracle ! L’anse du panier, qui si joyeusement dansait, semble devenue paralytique. Traîtreusement, il fit piquer son charbonnier. Merveille ! On ne le vole plus sur le poids ni sur la qualité du charbon !... Ces épreuves étaient concluantes : le vaccin anti-kleptomane était trouvé ! L’application de celte découverte est très simple. D’abord, exigez de vos domestiques comme de vos employés un certificat de vaccin anti-kleptomane. Puis, pour plus de sûreté, munissez les serrures de vos coffres-forts de pointes vaccinatrices. Au moindre attouchement, à la moindre pression, cette pointe sort et pique la malhonnête main qui veut violer son secret...

Aussitôt, le voleur, que ce soit un caissier ou un vulgaire cambrioleur, s’arrête, rougit ou pâlit de honte (question de tempérament) et s’en va le front haut et les mains pures. Même en supposant que le virus ne produise un effet aussi foudroyant et que le misérable accomplisse son vol, vous pouvez être certain, qu’une heure, une heure un quart après, tout au plus, pris de remords il reviendra remettre le magot en place. Vis-à-vis des domestiques les moyens vaccinateurs ne manquent pas, Dieu merci ! S’il s’agit d’une bonne, d’une cuisinière ? donnez-lui quelques douzaines de torchons à ourler avec comme aiguilles (naturellement) des aiguilles à vaccin. Ou sous le prétexte de leur offrir une paire de boucles d’oreille de 20 sous faites-leur percer les oreilles avec des pointes vaccinatrices, etc., etc.

Piquez l'employé
Piquez l’employé

Dans les grands magasins, les inspecteurs seront munis de ces aiguilles et au lieu de faire du scandale lorsqu’ils surprendront une malheureuse kleptomane, ils la vaccineront. Mais, où il sera nécessaire d’employer des ruses d’Apaches, c’est envers nos fournisseurs ; charbonniers, bouchers, boulangers, etc., etc. Nous nous en remettons à l’initiative de chacun. Il y aura d’ailleurs à lutter d’ingéniosité, avec ces braves gens qui de leur côté feront bien de se munir de notre virus anti-kleptomane pour leur défense contre les clients douteux. Et ce sera une lutte piquante entre commerçants, clients, maîtres, fournisseurs, domestiques, etc., etc., pour établir sur terre le règne de l’Honnêteté !

Le vaccin contre la paresse vient d’être également découvert
Le virus est un habile composé dont voici l’analyse :
— Sang de vieux loir : 0.100
— Sang de couleuvre : 0.100
— Sang de lézard : 0.100
— Sang de vieil employé d’administration : 0.700

Ce virus est des plus énergiques. (Exigez de vos employés, domestiques, etc., leur certificat de vaccin contre la paresse). Voici, de plus, la description de l’appareil type qui permettra de vacciner au besoin dans les écoles, les administrations publiques, ou privées, etc. Supposons une école. A chaque place occupée par un élève, une pointe vaccinatrice se trouve dissimulée dans l’épaisseur du banc. Sur le pupitre du surveillant ou du professeur, un petit clavier dans le genre des machines à écrire. Chaque touche porte un numéro correspondant à chaque élève. Le professeur constate que l’élève Barboteau, par exemple, passe son temps à martyriser des mouches au lieu de travailler : pan ! il appuie sur une touche de l’appareil lequel est relié au banc au moyen d’un fil électrique. L’élève Barboteau, rappelé à la réalité, est pris d’une ardeur sans pareille pour le travail et il faut l’arracher de son banc lorsque l’heure de la récréation a sonné.

Pour les particuliers, d’ingénieux petits appareils à mouvement d’horlogerie viennent d’être inventés. Ces appareils peuvent se dissimuler dans les matelas, et, remontés le soir, piquent à l’heure voulue le flemmard qui ne peut sortir de son lit... Par décret spécial du Préfet de police, tout individu mendiant sur la voie publique sera arrêté, conduit à l’institut Multivaccinal et vacciné d’autorité contre la paresse. Au bout de fort, peu de temps, le nombre des mendiants sera très restreint. En tous cas, il ne resterait que ceux qui sont incapables de tout travail, les vieillards, les infirmes, c’est-à-dire les seuls vraiment intéressants.

Vaccin anti-belliqueux
Ce virus se compose avec le sang des animaux les plus féroces ou les plus combatifs, tels que boucs, tigres, coqs, moutons enragés, etc., etc. Tous les fauteurs de désordre, organisateurs de manifestations, excitateurs, comploteurs, démagogues, etc., etc., seront vaccinés d’autorité. Les philanthropes humanitaires qui, depuis des siècles caressent le rêve d’une paix universelle, seront satisfaits. Mais au lieu de s’en tenir à de platoniques conférences, à des appels touchants mais inutiles, à des conseils sans portée, qu’ils vaccinent eux-mêmes leurs contemporains.

Que par ruse, par adresse ou par persuasion, ils leur inoculent l’amour de la paix, de la justice, du droit. Le jour où tous les chefs d’Etat, nos législateurs comme nos guerriers, empereurs, rois, présidents de République ou simples députés, seront vaccinés, ce jour-là, la Paix universelle sera bien près d’être proclamée. Donc, braves humanitaires, commencez par vacciner nos maîtres !... Grâce à ce vaccin, une intéressante question va être résolue : celle des combats d’animaux. Les courses de taureaux, par exemple, qui ont fait couler tant d’encre et tant de sang, hélas ! pourront sans aucun danger être autorisées. Les picadors (le nom l’indique) chargés de piquer le taureau, le piqueront au vaccin anti-belliqueux. Les cornes du taureau, extrêmement aiguisés, contiendront de ce précieux virus. Le premier piqué, taureau ou toréador, se retirera immédiatement dégoûté à jamais d’un jeu aussi ignoble.

Pour terminer, une petite indiscrétion qui expliquera bien des choses. Le monde entier reste confondu des faciles victoires remportées par les Boers sur les Anglais. L’explication en est facile. Les Boers, quoi qu’on en dise, n’ont pour toutes armes que de simples fusils à aiguilles, mais voilà... ces aiguilles sont imprégnées de virus anti-belliqueux. Or, les Boers, nul ne l’ignore, sont d’adroits tireurs. A peine leurs adversaires sont-ils touchés que, devenus plus doux que des moutons, ils s’éloignent avec horreur du champ de bataille. Ca vaut mieux, on l’avouera, que de s’envoyer des balles « dum-dum ». A l’heure qu’il est, des milliers d’Anglais sont vaccinés. M. Chamberlain, dit-on, est sur le point de l’être.

Vaccinez votre concierge
Vaccinez votre concierge

Vaccin de la courtoisie
Composé de sang de cocher de fiacre, d’employé des postes, de bull-dog de porte cochère. Ce virus sera précieux en cette année d’exposition. Ne jamais prendre un fiacre sans en avoir une bonne provision. A la première incartade du cocher, plantez-lui carrément une aiguille n’importe où... Il deviendra aussitôt d’une obséquiosité révoltante. Piquez votre belle-mère chaque matin. Lorsque vous aurez un renseignement à demander dans une administration de l’Etat, à peine le grincheux employé aura-t-il entr’ouvert son guichet, piquez-le immédiatement au nez ou à la langue (ce qui vaut mieux). Il deviendra d’une courtoisie sans pareille, quitte à se suicider de rage par la suite.

Si quelque matador vous insulte dans la rue et que vous n’ayez pas la veine d’être fort aux armes, envoyez-lui la veille du duel, par colis postal, une vingtaine de guêpes (mouches fort belliqueuses) et qui auront été nourries exclusivement de virus anti-belliqueux additionné de virus courtois. Notre matador vous enverra immédiatement ses excuses...

Vaccin matrimonial
La composition de ce virus est encore un secret que l’Institut Multivaccinal ne peut révéler. Un des plus graves problèmes sociaux est certainement celui de la repopulation. On se marie de moins en moins... Les jeunes hommes, actuellement, avec un farouche égoïsme, préfèrent rester célibataires plutôt que de connaître les douces joies de la misère partagée. La découverte du virus matrimonial est donc le plus grand bienfait pour l’humanité.

Ô vous, pauvres mères, qui traînez à la remorque de grandes filles à marier, vous, jeunes filles qui pour tout bien n’avez que vos charmes et votre jeunesse, achetez notre sérum matrimonial... Et partout, partout, au théâtre, au bal, au bois, aux champs, à la mer, piquez, piquez sans relâche, ce sera beaucoup plus convenable que de faire les doux yeux et le résultat ne se fera pas attendre. Vingt soupirants aspireront à cette main charmante qu’aucun d’eux ne semblait remarquer et n’auront plus qu’un rêve : posséder ce minois piquant ! (Pour plus de sûreté, joindre au virus matrimonial une bonne dose de virus du désintéressement, d’un effet foudroyant sur ces coureurs de dot).

Vaccin du désintéressement
Composé de sang de vieil usurier, de sangsue, de vautour, de fourmi, etc. Absolument indispensable d’avoir une bonne provision de ce sérum. Vaccinez vos concierges, vos héritiers et en général tous ceux qui attentent à votre bourse.

Vaccin contre la passion du jeu
Composé de sang de vieux bookmaker, de jeune chat et de croupier dans la force de l’âge. Les malheureuses femmes dont les époux ont la passion du jeu, les malheureux parents qui voient leurs enfants dilapider leurs petites économies en jouant aux billes, les patrons dont les employés fréquentent les hippodromes, feront bien de se munir de ce précieux virus. Les joueurs eux-mêmes devraient avoir la sagesse d’en porter toujours sur eux.

Mères de familles, suivez vos époux sur les champs de courses, l’aiguille à la main... Votre mari. Madame (ceci est un exemple) vient de toucher cent sous sur Poil-aux-Pattes gagnant. Immédiatement il va tenter de les reperdre sur Mouchard qui court dans la seconde course. Piquez immédiatement votre serin d’époux et le faites revenir à la raison. Vous, joueur enragé, un heureux coup vous rend possesseur de... mettons 10 000 francs (si ! si ! pour ce que ça me coûte vous pouvez accepter). Naturellement une envie folle vous prend de jouer ces 10 000 francs, entrevoyant en rêve tout un Pactole. Croyez-moi, un bon coup de vaccin.

Avec ces 10 000 francs vous pourrez acheter une petite maison, un petit champ, quelques petits lapins avec lesquels, – c’est prouvé ! – vous pourrez vous faire un joli revenu de quelques milliers de francs. N’est-ce pas plus sage ? Les exemples varient à l’infini. Ah ! que de malheureux ont commencé dans les soirées familiales en jouant deux sous au loto ou à la bataille et qui finissent à Monaco, rasés, vidés, ruinés, déshonorés, tout ça !... pour n’avoir pas été vaccinés à temps...

Vaccin anti-loquace
Composé de sang de perroquet, de cacatoès, de pie-borgne et de commis-voyageur. Un appareil est déjà installé à la Chambre des députés pour couper court aux parfois trop longues dissertations de MM. les représentants du Peuple. Le système est le même que celui décrit plus haut et adopté dans les écoles. C’est M. Deschanel qui dispose du petit clavier électrique. Bonne, très bonne mesure... Non pas que nous contestions l’éloquence de nos honorables, mais à rester trop longtemps sous le charme de leur parole, la Chambre risque fort de perdre un temps précieux.

On leur inoculera tous les sérums
On leur inoculera tous les sérums

Ce vaccin est bon à posséder chez soi pour se défendre contre les raseurs, qui à table ou au salon ne laissent à personne le temps de placer un mot. Contre cette engeance tous les moyens sont bons : que leur fourchette soit vaccinatrice, que le cigare que vous leur offrez recèle en ses flancs la pointe qui les guérira... Et les diseurs de monologues, et les Paulus ou les Polin mondains, ah ! Seigneur ! aurons-nous jamais assez de sérum, pour tous ces... bavards détestables !

Vaccin anti-mélomane
Composé de sang de serpent à sonnette, de rossignol et de joueur d’orgue. Encore un sérum d’utilité publique et privée ! Nous a-t-on assez obsédés avec les terribles enfants prodiges, les maigres fillettes dont les mains décharnées faussent tant de pianos ou de crin-crins. Ah I « Mon Rocher de St-Malo ! », ah ! « La Prière d’une vierge », ah ! Éloignez de nous ce calice, grand Dieu ! que le tabouret sur lequel le ou la misérable s’assoira recèle l’aiguille vengeresse. Que le ré dièse du piano soit truqué et contienne lui aussi les pointes vaccinatrices. Et que nous voyions fuir ces bourreaux épouvantés et pris de remords.

Vaccinez, vaccinons petites flûtes, tambours trombones, cors de chasses, clairons castagnettes, etc., etc., tous ces instruments de torture. De nos fenêtres, lançons des flèches vaccinantes sur les infâmes mendiants qui aggravent leurs quémandages de quelques airs d’orgue, de clarinette ou de piston. Le nombre des enragés diminuera sensiblement... demandez plutôt à l’Institut Pasteur !...

Conclusion
Nous n’en finirions pas, s’il fallait énumérer tous les nouveaux vaccins que l’on peut trouver à « l’Institut Multivaccinal Universel ». N’abusons pas de votre patience, charmantes lectrices, ravissants lecteurs ! Une fois que tout le monde possédera ces nombreux sérums, le rôle de l’Institut sera fort simplifié. Il ne lui restera plus qu’à vacciner tous les enfants qui viendront à naître. Et naturellement leur inoculer tous les sérums. Jenner trouva la vaccine grâce à laquelle les enfants évitèrent d’être grêlés, d’être défigurés. Ils le seront peut-être, maintenant, mais ce sera à force d’être vaccinés – il y a une nuance. Léger inconvénient, en regard de tant d’avantages.

Et quelle humanité nous aurons ! Des êtres beaux, forts, sains, sans vices ni passions... Ah ! chers petits gosses, quels hommes vous serez grâce aux vaccins... si vous n’en mourez pas...

 
 
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