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9 février 1751 : mort de Henri-François d'Aguesseau, chancelier de France

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9 février 1751 : mort de Henri-François d’Aguesseau, chancelier de France
Publié / Mis à jour le mercredi 3 mars 2010, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 

La magistrature française n’a pas de nom plus imposant, plus grand que celui de cet homme, environné du triple éclat des vertus, des talents et des lumières. Henri-François d’Aguesseau né à Limoges le 7 novembre 1668, sortait d’une famille distinguée dans l’exercice des charges publiques ; son père, qui, d’intendant du Limousin, était devenu conseiller d’état, jouissait d’une réputation singulière de droiture et d’intégrité : aussi le roi disait-il, en nommant le jeune d’Aguesseau avocat général, d’après la seule recommandation du père : « Je le connais incapable de me tromper ; même sur son propre fils. »

Promu successivement aux fonctions d’avocat du roi (1690), d’avocat général (1691), de procureur général (1700) et de chancelier (1717 ), d’Aguesseau commença par exercer sur le, stylé judiciaire l’heureuse influence que plus tard il porta dans la législation.

Le barreau français eut longtemps des avocats et pas un seul orateur. L’éloquence tonnait déjà dans la chaire évangélique, elle ravissait les cœurs au théâtre, tandis que la chicane mugissait encore au forum et défigurait les lois. Patru donna le premier une idée de la pureté du style, mais il ne sut pas éviter la sécheresse j dépourvu d’ailleurs de ces grandes qualités qui enfantent les imitateurs, sa manière, trop correcte pour le temps, n’avait pas même un des défauts brillants qui commandent par l’enthousiasme une réforme générale, et ramènent par degrés à cette -belle simplicité, qui est la perfection de l’art, mais qu’on n’atteint jamais, lorsqu’on veut d’abord l’atteindre. Avec plus de verve et d’abondance que Patru, Lemaître se permit aussi plus d’écarts : ses plaidoyers étaient remplis de larcins qu’il faisait sans mesure et sans goût à tous les anciens et surtout à la Bible. (voy. 16 janvier 1681 et 4 Novembre 1658.) Des causes diverses, souvent analysées, se réunirent pour prolonger l’enfance du barreau français, et rendre presque impuissant sur ses progrès l’âge florissant de la littérature et du goût. Le barreau seul restait immobile dans le mouvement du siècle : seul il semblait avoir jeté l’ancre, et vouloir résister aux flots qui, se pressant autour de lui, entraînaient tout sur leur passage.

Tout-à-coup s’élève un jeune homme, qui, à peine âgé de vingt-deux ans, brise le câble d’une main puissante, commence et achève une révolution complète par la seule autorité du génie. En l’écoutant, les vieux magistrats jettent leurs regards en arrière, et se plaignent de n’avoir pu se former sur un si rare modèle. Jamais on n’oubliera les paroles du célèbre Denis Talon : « Je voudrais finir, disait-il, comme ce jeune homme commence. » Tel parut d’Aguesseau dès le premier pas de sa course, et il lui était réservé d’en faire sans cesse de nouveaux, d’ajouter sans cesse à la science et à l’art en général tout ce qu’il ajoutait à sa propre intelligence par les études profondes qu’il n’interrompit jamais.

Tant que d’Aguesseau porte le titre d’avocat général, c’est l’orateur qu’on admire en lui ; quand il reçoit celui de procureur général, c’est le citoyen. Par ses soins, l’administration des domaines s’améliore, l’instruction criminelle se perfectionne, de sages règlements préviennent les abus. Dans la désastreuse année où la famine se joignit à la guerre pour désoler la France (1709), d’Aguesseau développe une intelligence supérieure et un zèle sublime : il découvre les accaparements, livre les coupables à la justice, rassure et sauve la patrie.

Rien ne devait manquer à la gloire de d’Aguesseau, ni la reconnaissance publique, ni l’éclat des dignités, ni même le lustre des revers. Les tristes débats nés de la tulle Unigenitus agitèrent la fin du règne de Louis XIV. (voy. 25 janvier 1714.) D’Aguesseau, qui avait vu dans la forme et dans quelques dispositions de cet acte une atteinte aux droits de la monarchie, se prononça contre son enregistrement, et fut menacé d’une disgrâce. Sa femme elle-même encourageait sa noble rébellion : « Allez, s’écriait-elle en le voyant partir pour Versailles, oubliez devant le roi femme et enfans ; perdez tout, hors l’honneur. » Le nonce du pape, Quirini, vint un jour le visiter à Fresnes, et l’aborda en lui disant ; « C’est ici que l’on forge des armes contre Rome ! — Non, monsieur, reprit vivement d’Aguesseau ; ce ne sont point des armes, ce sont des boucliers. »

Sous la régence, d’Aguesseau retrouva toute la faveur qu’il avait conquise sous le grand roi. A la mort de Voysin, il fut nommé chancelier de France (voy. 2 février 1717) ; mais, avant la fin de l’année, le Régent lui redemanda les sceaux, pour le punir de son opposition au fameux, système (voy. 28 Janvier 1718). D’Aguesseau partit pour Fresnes et y resta deux ans. Ce n’était pas la dernière fois que la disgrâce devait l’y conduire. En 1722, une querelle de préséance entre Dubois et lui provoqua un nouvel exil qui dura cinq ans ; dans l’intervalle, les sceaux avaient été donnés à Chauvelin : d’Aguesseau les reprit en 1787, et les conserva jusqu’à la démission volontaire qu’il donna peu de temps avant sa, mort.

Ces jours de revers et d’épreuve, on sait que d’Aguesseau les appelait ses beaux jours : non qu’il mît son bonheur dans une lutte factieuse contre le pouvoir ; mais l’exil le rendait à lui-même : il y emportait Le témoignage d’une âme généreuse ; il y retrouvait le souvenir de sas belles actions. C’est là qu’il s’entretenait avec lui-même, et qu’à l’exemple du consul qui,par l’étude des lettres et de la, philosophie, se consolait de Rome avilie et de la liberté mourante, il relisait ses livres chéris, enrichissait le vaste trésor de ses connaissances, et se vengeait de l’ingratitude dont on payait son zèle, en se préparant à rendre encore des services plus éminents.

Comme procureur général, chargé de l’exécution des lois, l’expérience lui en découvrit les vices. Comme chancelier, il s’appliqua sans relâche à rendre cette expérience salutaire à sa patrie. Aujourd’hui que nous jouissons des avantages d’une législation uniforme, et que ce changement, si longtemps appelé par des vœux éclairés, médité dans le "silence, et juge presque impossible, est pleinement achevé, c’est encore faire l’éloge d’un grand homme que de dire qu’il l’avait conçu. D’Aguesseau fit plus encore : il osa mettre la main à l’antique et ruineux édifice, et jeter les fondements du nouveau ; sans doute il était digne de consommer cette oeuvre immense, et la faveur des circonstances a manqué seule à ses projets. Ce qu’il a fait, il le dut à lui-même, à l’instinct de son génie ; et la postérité peut l’apprécier avec d’autant plus de jus- fesse, que son ouvrage est entièrement dégagé de cet entourage d’influences et de hasards qui rehaussent le mérite, et que souvent on prend pour le mérite même.

Esprit vraiment universel, qui n’a rien ignore de ce qu’il est donne à l’homme de connaître ! capable également de mesurer les syllabes harmonieuses d’un vers et de tracer le plan d’une législation ! la lecture des poètes fût, suivant son expression, la passion de sa jeunesse. Un jour il lisait un poète gtec avec M. Boivin,si connu par sa vaste érudition : « Hâtons-nous, dit-il ; si nous allions mourir avant d’avoir achevé ! » Et cependant cette intelligence, si avide des charmes de la poésie, n’était point rebutée de l’austérité des mathématiques ; au contraire, elle se plaisait dans la contemplation de leurs vérités immuables, qui la délassaient des incertitudes de la jurisprudence. Profondément versé dans toutes les parties de cette science, d’Aguesseau possédait le grec, le latin, l’hébreu et d’autres langues orientales, l’italien, l’espagnol, le portugais et l’anglais : la physique ne lui était pas étrangère (iI est possible de parcourir toutes les sciences, mais non d’exceller dans toutes ; D’Aguesseau eut le tort de rester attaché aux erreurs de Descartes, et de dédaigner les vérités de Newton : il s’opposa à la publication des Éléments de sa Philosophie analysés par Voltaire.)

Qui croirait que ce goût ardent pour les sciences en général, que ce besoin impérieux d’apprendre et de s’instruire sans cesse, aient fourni contre lui le sujet d’un reproche. On a dit que l’expédition des affaires en souffrait quelquefois. Pourquoi le taire ? des reproches plus graves encore ont été faits à d’Aguesseau : on l’a accusé de faiblesse ; et quoique, après deux disgrâces si glorieusement encourues et soutenues, cette accusation semble tomber d’elle-même, cependant il faut convenir que jusqu’à un certain point la conduite du chancelier l’avait légitimée.

Lors de son premier exil, on blâma d’Aguesseau d’avoir accepté un rappel dont l’auteur même du système fatal qu’il avait combattu était le porteur. Au retour du second, on le blâma plus vivement, et avec plusse justice peut-être, de ses négociations pour l’enregistrement de la bulle contre laquelle il s’était prononcé naguère avec tant d’énergie. Le Parlement, qui persistait dans ses refus, venait d’être exilé à Pontoise. Le Régent imagina de soumettre au grand conseil :là déclaration du roi portant acceptation de la bulle : une séance solennelle y fut tenue ; l’un des magistrats de cette cour, nommé Perelle, s’opposant avec vigueur à l’enregistrement, le chancelier lui demanda où il avait puisé toutes les maximes dont il appuyait son avis : Dans les plaidoyers de feu, M. le chancelier d’Aguesseau, répondit-il froidement. Le chancelier n’en fut pas quitte pour ce trait caustique : on trouva sur sa porte un placard avec ces mots : Homo factus est.

De tous les contemporains, Saint-Simon est celui qui cherche le plus à réduire par de minutieuses critiques la grande renommée de d’Aguesseau : il le taxe de lenteur, d’incertitude, et le poursuit dans les moindres habitudes de sa vie publique et privée, pour y trouver les causes de ce double défaut. Il le représente comme faisant, pour ainsi dire, un même corps avec le Parlement, lorsque son devoir l’obligeait à s’en détacher ; comme indulgent et partial envers les gens de robe, lorsque son devoir l’obligeait à les punir ; comme ignorant le monde et les affaires politiques ; enfin comme réunissant toutes les qualités nécessaires pour être un bon premier président, un excellent directeur d’Académie, de collège royal, d’Observatoire, et n’en ayant aucune pour être chancelier. Pour accepter une conclusion pareille, il faudrait effacer de sa mémoire tout ce que d’Aguesseau a laissé d’exemples honorables et de monuments utiles, dans cette même place dont Saint-Simon le déclare indigne.

Saint-Simon se trompe ; et, malgré toute sa sagacité, il n’est pas à la portée d’un si haut mérite. Il juge d’Aguesseau trop cavalièrement ; il l’envisage trop par le côté ridicule, qu’un homme entièrement voué aux livres et à l’étude, plein de respect pour les formes judiciaires, devait offrir encore dans le dix-huitième siècle à la dédaigneuse supériorité d’un homme de cour. Toutefois n’oublions pas qu’avant d’esquisser l’acte d’accusation dont nous venons de résumer quelques parties, le duc et pair avait tracé le portrait physique et moral du magistrat, et que dans ce dernier, sauf une restriction légère, il lui rendait une éclatante justice : nous placerons ici l’un et l’autre, sans rien changer aux traits irréguliers du peintre.

« D’Aguesseau, de taille médiocre, fort gros, avec un visage fort plein et agréable jusqu’à ses dernières disgrâces, et toujours avec une physionomie sage et spirituelle, un œil paraissant pourtant bien plus petit que l’autre (il est remarquable qu’il n’a jamais eu voix délibérative avant d’être chancelier, et qu’on se piquait au Parlement de ne pas suivre ses conclusions, par une jalousie de l’éclat de sa-réputation, qui prévalait à l’estime et à l’amitié ) ; beaucoup d’esprit, d’application, de pénétration, de savoir en tout genre, de gravité et de magistrature, d’équité, de piété et d’innocence de mœurs, firent le fonds de son caractère. On peut dire que c’était un bel esprit, un homme incorruptible, avec cela doux, bon, humain, d’un accès facile et agréable, et dans le particulier de la gaîté et de là plaisanterie salée, mais sans jamais blesser personne ; extrêmement sobre, poli sans orgueil, et noble sans la moindre avarice, naturellement paresseux, dont il lui était resté un peu de lenteur. Que Saint-Simon ajoute ensuite que d’Aguesseau fit regretter les Boucherai et les d’Aligre, peu importe : il nous a donné lui-même l’antidote de Son opinion. Quand on cherche dans l’antiquité un rival à opposer au chancelier de France, Cicéron est le seul qui se présente à la pensée. Nul doute que le consul ne s’élève toujours au-dessus du chancelier par les prodiges de son éloquence ; d’ailleurs presque égaux entre eux, si l’on compare la science à la science, les services aux services. Si l’on venait à comparer les caractères, Cicéron l’emporterait par l’amour de la gloire, d’Aguesseau par l’amour de la vertu ; car tels furent les principes divers toujours agissant dans l’âme de ces deux grands hommes.

— Edouard Monnais.

 
 
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