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Limousin : origine et histoire du département Creuse

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Départements français
Histoire des départements français. Les événements, histoire de chaque département : origine, évolution, industries, personnages historiques
Histoire du département de la Creuse
(Région Limousin)
Publié / Mis à jour le jeudi 28 janvier 2010, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 11 mn
 

Le département de la Creuse, formé d’une grande partie de l’ancienne province de la Marche et de quelques petits pays du Limousin, du Berry et de l’Auvergne, dépendait, avant la conquête romaine, du pays des Lemovices, et il dut à sa position sur les frontières du pays occupé par ce peuple le nom de Marchia Lemovicina. Plus lard, la Marche s’agrandit du pays de Combraille (pays des Cambiovicenses, Combraliae pagus). Elle fit partie de l’Aquitaine première, et passa sous la domination des Wisigoths, lorsqu’ils fondèrent le royaume de Toulouse (419). Elle suivit la fortune du Limousin et reconnut l’autorité des Francs après la victoire de Clovis à Vouillé (507).

En 571, les habitants furent, comme ceux de l’Auvergne, décimés par une horrible contagion dont Grégoire de Tours signal e les ravages. Desiderius, duc de Toulouse, et Bladaste, duc de Bordeaux, dans leur expédition contre le Berry, suivirent la grande voie romaine qui conduisait de Limoges à Bourges. Ils traversèrent la Marche et s’arrêtèrent peut-être dans les murs d’Ahun (583). Pendant la lutte de Pépin contre l’Aquitaine, Remistan ravagea toute la contrée et s’avança jusque dans le bas Berry, en 767.

Dans le démembrement de l’empire carlovingien, la Marche, à l’exemple de toutes les provinces de France, se morcela en un grand nombre de seigneuries. Elle ne put échapper aux ravages des Sarrasins et des Normands. En 846, ils dévastèrent le Limousin et s’avancèrent jusqu’aux limites du Berry et de l’Auvergne. En 930, ils reparurent ; mais, cette fois, ils furent battus et repoussés par le roi Raoul. Les Hongrois vinrent achever la ruine des provinces françaises. Ils pénétrèrent, en 937, jusqu’aux frontières de la Marche, et revinrent, en 951, désoler toute l’Aquitaine.

La France n’avait plus de gouvernement, plus d’armée ; elle était tombée dans la plus désastreuse anarchie. C’est au milieu de cette société en dissolution et dans l’effort tenté pour la reconstituer sous la forme féodale que se fonda, vers 968, le comté de la Marche. Les grands fiefs étaient autant de souverainetés indépendantes, et leurs possesseurs reconnaissaient à peine la suprématie nominale du roi. C’est ainsi que, malgré les menaces de Hugues Capet, Adalbert Talleyrand, comte de la Marche et de Périgord, s’allie avec Foulques Nerra, duc d’Anjou, contre Conan, comte de Rennes.

Tandis que Foulques s’empare de Nantes, Adalbert assiège la ville de Tours. Le roi marche au secours de cette place (992) . Il somme son vassal de se retirer. « Qui t’a fait comte ? » lui dit-il. Adalbert répond : « Qui t’a fait roi ? » Ce mot célèbre du comte de la Marche caractérise bien la politique féodale au Xe siècle. L’autorité royale baissa encore sous les successeurs de Hugues Capet. Un moment resserrée dans Paris par la féodalité, elle ne fut presque plus qu’une ombre. On trouve, en effet, en 1095, avant les croisades, plus de quatre-vingts grands fiefs qui avaient des souverains héréditaires et une véritable indépendance.

C’étaient quatre-vingts rois qu’il y avait en France, et parmi eux on compte plusieurs des anciens vassaux du duc de France qui ne lui obéissaient plus. Philippe Ier ne possédait réellement que les comtés de Paris, d’Étampes, de Melun, d’Orléans, de Dreux et de Sens, et, en montrant à son fils le château du seigneur de Montlhéry aux portes de Paris, il lui disait : « Beau fils Louis, garde bien cette tour qui tant de fois m’a travaillé, et en qui combattre et assaillir je me suis presque tout enseveli, et par la déloyauté de laquelle je ne puis avoir bonne paix ni bonne sûreté ; en tout le royaume n’étoient maux faits ni trahisons sans leur assent et sans leur aide, et si grande confusion étoit entre ceux de Paris et ceux d’Orléans que l’on ne pouvoit aller en terre de l’autre pour marchandise ni pour autre chose sans la volonté à ces traîtres, si ce n’étoit de grandes forces de gens » (Chroniques de Saint-Denys).

Au XIe siècle, l’ombre même d’un gouvernement central, d’une nation générale semble avoir disparu. « Comment se fait-il, dit M. Guizot, que la civilisation et l’histoire vraiment française commencent précisément au moment où il est presque impossible de découvrir une France ? C’est que, dans la vie du peuple, l’unité extérieure, visible, l’unité de nom et de gouvernement, bien qu’importante, n’est pas la première, la plus réelle, celle qui constitue vraiment une nation. Il y a une unité plus profonde, plus puissante : c’est celle qui résulte, non pas de l’identité de gouvernement et de destinée, mais de la similitude des éléments sociaux, de la similitude des institutions, des moeurs, des idées, des sentiments, des langues ; l’unité qui réside dans les hommes mêmes que la société réunit, et non dans les formes de leur rapprochement ; l’unité morale enfin, très supérieure à l’unité, politique et qui peut seule la fonder solidement. A la fin du Xe siècle et au commencement du XIe, il n’y a point d’unité politique pareille à celle de Charlemagne ; mais les races commencent à s’amalgamer ; la diversité des lois, selon l’origine, n’est plus le principe de toute la législation. Les situations sociales ont acquis quelque fixité ; des institutions, non pas les mêmes, mais partout analogues, les institutions féodales ont prévalu, ou à peu près, sur tout le territoire. Au lieu de la diversité radicale, impérissable, de la langue latine et des langues germaniques, deux langues commencent à se former, la langue romane du Midi et la langue romane du Nord, différentes sans doute, cependant de même origine, de même caractère, et destinées à s’amalgamer un jour. Dans l’âme des hommes, dans leur existence morale, la diversité commence aussi à s’effacer.

« Le Germain est moins adonné à ses traditions, à ses habitudes germaniques ; il se détache peu à peu de son passé pour appartenir à sa situation présente. Il en arrive autant du Romain ; il se souvient moins de l’ancien. empire et de sa chute, et des sentiments qui en naissaient pour lui. Sur les vainqueurs et sur les vaincus, les faits nouveaux, actuels, qui leur sont communs, exercent chaque jour plus d’empire. En un mot, l’unité politique est à peu près nulle, la diversité réelle encore très grande ; cependant il y a au fond plus d’unité véritable qu’il n’y en a eu depuis cinq siècles. On commence à entrevoir les éléments d’une nation ; et la preuve c’est que, depuis cette époque, la tendance de tous ces éléments sociaux à se rapprocher, à s’assimiler, à se former en grandes masses, c’est-à-dire la tendance vers l’unité nationale, et par là vers l’unité politique, devient le caractère dominant de l’histoire de la civilisation française. »

Dès le règne de Philippe le Gros commence, contre la féodalité, la guerre qui, par l’alliance de la royauté et des communes, doit aboutir au triomphe du principe moderne de la centralisation. Le fils de Philippe Ier ne reste pas, comme son père, emprisonné dans le domaine des ducs de France. Il cherche à étendre au loin son influence et son action. En 1121, nous le voyons s’avancer jusqu’aux confins de la Marche et diriger une expédition contre le comte d’Auvergne. Cinq ans plus tard, il intervient de nouveau en faveur de l’évêque de Clermont et force le comte à se soumettre au jugement -de la cour du roi (1126). Le comté de la Marche passa, vers ce temps, à la famille des Montgomery, dont un des membres, Adalbert IV, partant pour la terre sainte en 1177, vendit son domaine, pour cinq mille mires d’argent. à Henri II, roi d’Angleterre. Cette vente fut annulée sur la demande des seigneurs de Lusignan, qui, depuis longtemps, avaient des prétentions sur la Marche. Henri Il rendit ce comté à Hugues de Lusignan.

Vers la fin du XIe siècle, des bandes de routiers se levèrent dans le Berry et mirent toute la contrée au pillage. Ils prenaient le nom de Cottereaux. Les seigneurs des pays voisins, de la Marche, de l’Auvergne, formèrent contre eux l’association des Capuchons, et les taillèrent en pièces dans plusieurs rencontres (1184). Pendant les guerres de Philippe-Auguste et de Jean sans Terre, le comté de la Marche, situé à la limite des possessions anglaises et françaises, se trouva exposé aux ravages des gens d’armes.

Le comte Hugues le Brun suivit le parti du roi de France. Il était animé contre le roi d’Angleterre par des griefs personnels. Jean lui avait enlevé quelques châteaux et sa fiancée, fille du comte d’Angoulême (1201). En 1206, les deux rois signèrent une trêve de deux ans ; Hugues le Brun fut un des garants de Philippe-Auguste (Chroniques de Rigord). Philippe, poursuivant l’oeuvre de Louis le Gros et prenant au sérieux son titre de roi, était pour les grands vassaux un maître incommode. Hugues de Lusignan ne lui resta pas longtemps fidèle. Il se ligua en 1213 avec Jean sans Terre, son ancien ennemi. Mais la paix fut bientôt rétablie. On nomma des arbitres pour les infractions commises dans le Berry, l’Auvergne, le comté de la Marche et le Limousin ; ils se réunirent entre Aigurande et Cuzon, châteaux du comté de la Marche.

Pendant la minorité de Louis IX, la maison de Lusignan s’associa à la réaction féodale tentée contre la régente, Blanche de Castille. Le comte de la Marche prit les armes comme le duc de Bretagne et le comte de Champagne ; mais, comme eux, il fut obligé de se soumettre (1227). Ses successeurs régnèrent sans éclat jusqu’à la fin du XIIIe siècle. En 1308, Gui de Lusignan, mourant sans enfants, légua le comté de la Marche à Philippe le Bel.

Le territoire qui forme aujourd’hui le département de la Creuse fut alors presque tout entier réuni au domaine royal, sauf la terre de Combraille, qui appartenait à la maison d’Auvergne. Le comté de la Marche fut érigé en pairie par lettres patentes données à Paris, au mois de mars 1316, en faveur de Charles de France, comte de la Marche. Charles succéda à son frère Philippe le Long (1322), et ainsi cette pairie fut éteinte. Mais, comme le même roi donna le comté de la Marche à Louis de Bourbon en échange du comté de Clermont en Beauvoisis, il fut érigé de nouveau en pairie par lettres patentes du mois de décembre 1327.

Il passa dans la maison d’Armagnac par le mariage d’Éléonore, fille de Jacques de Bourbon, avec Bernard d’Armagnac, comte de Pardiac et de Castres. Leur fils, Jacques d’Armagnac, duc de Nemours, comte de la Marche, de Pardiac, de Castres et de Beaufort, vi-comte de Murat, seigneur de Leuze, de Condé et de Montagne-en-Combraille, fut l’ennemi et la victime de Louis XI. Il périt par la main du bourreau (août 1477). Le roi confisqua ses biens, et donna le comté de la Marche à Pierre II de Bourbon, sire de Beaujeu, qui avait épousé Anne de France. Suzanne de Bourbon, leur fille, porta ce domaine en dot au connétable Charles de Bourbon. Celui-ci était déjà comte de Montpensier et dauphin d’Auvergne, duc de Bourbon, d’Auvergne et de Châtellerault, comte de Clermont en Beauvoisis, de Forez, de Gien vicomte de Carlat et de murat, seigneur de Beaujolais, de Combraille, de Mercoeur, d’Annonay, de La Roche-en-Régnier et de Bourbon-Lancy.

La trahison du connétable anéantit cette puissance redoutable de la maison de Bourbon. Ses biens furent confisqués en 1523. Le comté de la Marche passa à Louise de Savoie, mère de François Ier ; après la mort de cette princesse, il rentra dans le domaine de la couronne. François Ier le donna, par lettres du 12 juin 1540, à son troisième fils, Charles de France, pour le tenir en pairie ; mais ce prince mourut le 9 septembre 1545. Depuis lors, la Marche ne fut plus détachée de l’unité nationale. La féodalité s’était transformée en noblesse. Au XVIIIe siècle, le comté de la Marche fut le titre des fils aînés des princes de Conti.

L’histoire de la province n’est pas riche en détails intéressants. Durant les désastres de la guerre de Cent ans, les villes et les seigneurs ne trahirent pas la cause de la France. Le sire de Boussac, chambellan de Charles VII, le servit jusqu’au crime. Lorsque la guerre civile vint se mêler à la guerre étrangère, et que le dauphin souleva la Praguerie, Charles VII traversa la Marche en poursuivant son fils rebelle (1440). On a retrouvé au British Museum (m. 11, 542) des lettres royales du 4 décembre 1545, par lesquelles sont institués, dans la sénéchaussée de la Marche, cinq commissaires, à l’effet de percevoir, d’après un nouveau mode, un aide pour la solde des gens d’armes. Ce sont « nos amis et féaulx conseillers et chambellans, le sire de Culant, maître Jehau Tudert, maistre des requêtes ordinaires de notre hôtel, les sénéchal et chancelier de la Marche, et Pyon de Bar, notre valet de chambre. »

Il existe au cabinet des titres de la Bibliothèque nationale des quittances de ce Pyon de Bar. Le 1er décembre 1445, il avait reçu de Jacques de la Ville la somme de 100 livres à titre de commissaire ordonné pour asseoir au comté de la Marche la portion à l’aide de 300 000 francs, mis sus par le roi sur les pays de Languedoc au mois de janvier précédent. « Vous mandons et commettons que les gens d’armes qui sont du pays et ressort de la comté de la Marche soient dorénavant payés, selon l’ordonnance que nous avons de présent faite, à commencer le premier jour de janvier prochain venant. C’est assavoir : en argent 21 livres tournois par lance fournie de six personnes et six chevaux ; plus pour 10 livres tournois en nature. Et voulons toutes manières de gens être à ce contribuables, excepté gens d’Église, nobles vivant noblement, et autres qui, par nos dernières ordonnances, en étoient exemptés. » (Lettres du 3 août 1445, Ordonn. des rois de France, tome XIII, page 442 et pass.) « Et avec ce... mettez sus, audit pays et ressort de la Marche, avec les frais raisonnables ci-après déclarés, et outre le fait et payement desdits gens d’armes, la somme de 5 000 livres tournois, 500 livres tournois pour les frais. Laquelle somme est pour et au lieu de l’aide de 200 000 livres tournois que de nécessité étions contraint mettre sus en notre pays comme l’année passée. Mais, considéré la pauvreté de notredit peuple et la charge qu’ils ont desdits gens d’armes, nous avons modéré ledit, pays, pour sa portion dudit aide, à ladite somme de 5,000 livres tournois, et 500 livres tournois pour les frais. » (Biblioth. de l’école des Chartes, déc. 1846.)

Sous Louis XI, les états de la haute et basse Marche demandèrent à se réunir pour une imposition commune, et le roi les y autorisa (1478). Les états de cette province cessèrent de s’assembler au XVIIe siècle, après la victoire de Mazarin sur la Fronde et le triomphe de l’absolutisme. En 1531, la province fut affligée par les inondations et par la famine. La Creuse et la Gartempe débordèrent. « Estoit en ladite saison grand’cherté de blés et de vins ; car le setier de froment se vendoit 50 sols, le setier de seigle 40 sols et plus, etc. » C’est l’année où le comté de la Marche fut réuni à la couronne. Bientôt après se tinrent à Poitiers les Grands-Jours, « qui jugèrent deux cents causes en deux mois et condamnèrent un grand nombre de gentilshommes d’Anjou, Touraine, Maine, Aunis, Angoumois et Marche. »

En 1553, « les droits que les habitants prennent sur le sel furent vendus par le roi Henri II aux habitants du pays de Poitou, Saintonge, ville et -gouvernement de La Rochelle, Angoulême haut et bas Limousin, haute et basse Marche, qu’on appelle à cause de cela pays de franc-salé. » Sous le règne de Henri III, la Réforme pénétra dans la Marche, mais elle n’y fit pas de progrès. Pendant les guerres religieuses, « le sieur de Saint Marc était commandant pour l’Union au pays de la Marche. » (Palma Cayet.) Il périt en allant au secours de Randan, chef des ligueurs en Auvergne (1590). Les paysans de la Marche prirent part à la révolte des Croquants, en 1594.

Aux états de 1484 avaient paru les députés du comté de la Marche. Il n’en vint aucun à ceux de 1593. En 1614, la sénéchaussée de la haute Marche envoya aux états généraux Georges de La Roche-Aymon, sieur de Saint-Maixent ; Gabriel, sieur de Malité, et Jean Vallenet, lieutenant particulier à Guéret.

Les Grands-Jours, tenus à Limoges en 1605, n’avaient pas plus épargné les nobles brigands de la Marche que ceux du Limousin ; mais l’esprit féodal n’était pas encore détruit dans ces provinces presque sauvages. La royauté devait longtemps encore y rencontrer des ennemis. « Le 17 mars 1617, dit le Mercure françois le prince de Joinville partit de Paris pour aller en son gouvernement d’Auvergne, y lever des troupes et avoir l’œil sur les pratiques qui se faisoient au pays de la Marche, bas Limousin et provinces voisines, par M. de Bouillon, qui sollicitoit une assemblée générale de ceux de la religion réformée pour les exciter à se soulever et prendre les armes. » Vingt ans après reparaissent les Croquants. « On dit qu’en Limousin, la Marche, l’Auvergne et le Poitou, sont élevées plusieurs troupes de gens, sous le nom de Croquants, lesquels font une guerre aux partisans, et qu’on parle en deçà d’envoyer vers eux pour les apaiser. » (Lettre de Gui Patin, 26 mai 1637.)

Au commencement de la guerre de la Fronde, le marquis d’Effiat était gouverneur de la haute et basse Marche (1649). Aubusson et Guéret figurent dans la liste générale des villes où furent envoyées, le 2 août 1652, les lettres circulaires de la ville de Paris invoquant l’appui des autres cités du royaume. Aubusson et Guéret ne répondirent pas. La Marche était alors un pays perdu au milieu de la France. Qu’on en juge par les impressions de voyage du célèbre comte de Forbin, qui la traversa en 1684. « Comme le service du roi ne demandoit pas ma présence à Rochefort, car la saison étoit déjà fort avancée, mon oncle me conseilla d’aller en Provence, pour régler quelques affaires que j’y avois ; il m’ordonna en même temps de passer par Lyon et de parler à un homme qui lui devoit quelque argent. La route que j’avois à suivre étoit par le Périgord, le Limousin et l’Auvergne. La quantité de neige dont le pays étoit couvert le rendoit impraticable à un homme qui n’en avoit d’ailleurs aucune connoissance. Pour obvier à cet iriconvénient, je me joignis aux muletiers qui partent deux fois la semaine de Limoges pour Clermont. Leur marche étoit si lente et si ennuyeuse que je me trouvois bien malheureux d’être obligé de m’y conformer. Après les avoir ainsi suivis pendant quatre jours, nous arrivâmes à un cabaret en rase campagne. J’étois auprès du feu à causer avec l’hôtesse, lorsque je vis entrer six hommes qui ressembloient bien mieux à des bandits qu’à toute autre chose. Je demandai quels hommes c’étoient : Ce sont, me répondit la maîtresse du logis, des marchands de Saint-Étienne en Forez, qui reviennent de la foire de Bordeaux ; nous les voyons repasser ici toutes les années. Ravi de cette nouvelle, je leur fis civilité ; nous soupâmes ensemble et je m’associai avec eux pour tout le reste du voyage. Il tomba dans la nuit une si grande quantité de neige que les chemins en furent entièrement couverts. Mais ces marchands les avoient si fort pratiqués que, se conduisant d’un arbre à l’autre, ils ne s’égarèrent jamais. Comme nous marchions, un geai vint se percher devant nous à la portée d’un fusil. Un de mes compagnons de voyage qui avoit un bâton, ou quelque chose qui paroissait tel, fit arrêter la troupe ; et ayant ajouté à ce prétendu bâton quelques ressorts qu’il renfermoit sans qu’il y parût, il en fit un fusil complet, tira sur l’oiseau et le tua... Nous devions nous séparer à Thiers, etc. » (Mémoires du comte de Forbin, p. 302.)

Dans cette contrée presque sauvage, une seule ville, par son industrie et son commerce, méritait d’arrêter l’attention du voyageur. Aubusson comptait environ 12,000 habitants, presque le double de sa population actuelle. La fabrication de ses tapis, déjà célèbres, occupait un très grand nombre (Louvriers. La plupart étaient protestants. La révocation de l’édit de Nantes (1685) les força de s’expatrier. ils émigrèrent en Suisse et en Allemagne.

Ainsi la Marche subit, comme les provinces de l’Ouest, les effets désastreux de l’intolérance. Colbert n’était plus ; Louvois dominait dans les conseils de Louis XIV ; et le travail national, un moment ranimé sous l’administration d’un homme d’État qui comprenait les vrais intérêts de la France, allait être sacrifié désormais aux fantaisies de l’ambition et de l’orgueil. La France n’a guère traversé de périodes plus douloureuses que la fin du règne de Louis le Grand. Elle perdit même, pendant la guerre de la succession d’Espagne, les consolations de la gloire ; et, la fortune épuisant contre nous toutes ses rigueurs, le froid et la famine se coalisant avec l’Europe, la nation expia cruellement les prétentions de son maître à la monarchie universelle. La Marche ne put échapper aux adversités de la patrie ; mais, du moins, grâce à sa position centrale, elle ne fut pas atteinte par le fléau de l’invasion. Grâce au caractère de ses habitants, elle évita les maux de la guerre civile ; les fils des Croquants ne suivirent point l’exemple des Camisards.

La haute Marche faisait partie, ainsi que le pays de Combraille, de la généralité de Moulins, mais elle n’en partageait point toutes les charges ; plus heureuse que le Bourbonnais et le Nivernais, provinces de grandes gabelles, elle était comprise dans le pays rédimé de l’impôt du sel. Le pays rédimé ne payait qu’un droit modique perçu sous les noms de convoi, de traite, de charente, etc., sur tous les sels extraits des marais salants pour l’approvisionnement des habitants. « Le commerce du sel étant libre dans cette partie de la France, on ne petit pas, dit Necker, en connaître la consommation avec autant de certitude que dans les parties du royaume où le privilège exclusif du débit est entre les mains du roi. Il y a lieu de l’évaluer à environ 830 000 quintaux ; et cette quantité, rapportée à une population de 4 025 000 âmes, ferait environ dix-huit livres pesant par tête d’habitant de tout sexe et de tout âge. La valeur courante varie depuis six jusqu’à dix et douze francs. »

Necker les portait, pour les provinces de grandes gabelles, à 62 livres par quintal ; pour celles de petites gabelles, à 33 livres 10 sous. La Marche, voisine du Berry et du Bourbonnais, leur fournissait en contrebande des quantités considérables de sel, et ses faux sauniers faisaient une rude guerre aux gens du roi. Enfin, la Révolution de 1789 abolit les douanes intérieures et répartit également les charges publiques entre tous les départements de la France. Les contrebandiers, abandonnant les provinces du centre, durent renoncer à leur commerce ou changer le théâtre de leurs exploits. Ils n’avaient plus rien à faire dans la Marche.

Pendant la période révolutionnaire, le département de la Creuse n’eut pas à souffrir des tourmentes politiques. La Terreur n’y fit point couler le sang. Les nobles, peu nombreux, émigrèrent ou se soumirent ; la vente des biens du clergé eut lieu sans scandales et sans bruit, et la guerre civile ne trouva point d’armée sur cette terre qui ne porte point le fanatisme. La Creuse ne fournit de soldats que pour combattre les ennemis de la France. Ses volontaires servirent avec honneur sous les drapeaux de la République. Un de leurs bataillons (Joullieton atteste ce fait dans son Histoire de la Marche) reconnut les petits-fils des proscrits de 1685 dans un village des bords du Rhin où s’était conservé le patois marchais.

 
 
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