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8 juin 1876 : mort de la romancière et journaliste George Sand

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8 juin 1876 : mort de la romancière
et journaliste George Sand
(D’après « Le Figaro : supplément littéraire du dimanche » du 15 mai 1926
et « La Femme » du 15 avril 1887)
Publié / Mis à jour le mercredi 8 juin 2022, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 14 mn
 
 
 
« Chacun se sentait aussitôt en présence d’une nature infiniment généreuse et bienveillante, chez qui tout égoïsme avait été complètement et depuis longtemps brûlé à la flamme inextinguible de l’enthousiasme poétique, de la foi à l’idéal », confiera une de ses amies au lendemain de sa mort

Lucile-Amantine-Aurore Dupin, dite George Sand, naquit à Paris, rue Meslay, le 1er juillet 1804. Son père, Maurice Dupin, aide de camp du roi Murat, petit-fils du maréchal de Saxe par sa mère, Aurore de Saxe, mariée à Claude Dupin de Francueil, fermier général, appartenait donc à de grandes familles, tandis que sa mère appartenait au peuple de Paris : Sophie Delaborde était fille d’un oiselier du quai de la Mégisserie. Le mariage de son fils Maurice avec une femme de si humble extraction déplut fort à Madame Dupin de Francueil ; toute la jeunesse de la petite Aurore devait en être troublée.

À l’âge de quatre ans, elle partit avec sa mère rejoindre son père qui faisait la guerre en Espagne avec Murat. C’est dans ce voyage de Paris à Madrid que l’enfant eut la révélation de la vie et de la mort. Sa mère lui faisait remarquer les beautés du ciel et des fleurs : ce furent les liserons, fleuris dans les montagnes, qui lui firent goûter pour la première fois les délices de l’odorat ; un peu plus loin, dans une auberge, on lui avait donné un pigeon, mais il voulait s’échapper et, ne sachant comment le conserver, elle demanda qu’on le remît avec ses compagnons. Sa mère lui dit qu’on était en train de les tuer, l’enfant voulut qu’on le tua aussi.

Portrait de George Sand en 1830, par Candide Blaize

George Sand en 1830, par Candide Blaize

Etonnée de cette insistance, sa mère comprit que l’enfant ne faisait pas de différence entre le sommeil et la mort : il fallait le lui enseigner. Mme Dupin l’emmena alors pour lui montrer avec quelles convulsions les pauvres bêtes agonisaient. Devant les cris déchirants de l’enfant qui réclamait son pigeon, Mme Dupin le lui rendit : elle l’avait caché sous son bras ; l’enfant en ressentit alors une joie extrême.

C’était dans le palais du Prince de la Paix (Godoy) que Murat et sa suite habitaient. L’appartement des Dupin était immense et tout tendu de damas de soie cramoisi. Il se trouvait dans ce palais d’étranges hôtes, après la fuite des possesseurs : c’étaient des lapins qui vivaient en liberté dans les plus belles salles d’apparat, et Aurore eut la joie d’en trouver un tout blanc qui vint manger dans sa main et dormir sur ses genoux.

Mais elle connut un être bien plus extraordinaire encore, celui que l’on nommait « le Prince » comme dans les contes de fées : c’était Murat lui-même. Il prit l’enfant en amitié, car pour se faire pardonner la présence de la fillette dans les horreurs de la guerre, Mme Dupin l’avait revêtue d’un costume d’aide de camp identique à celui de son père : « pantalon de casimir amarante, avec des broderies d’or à la hongroise, dolman blanc galonné et boutonné d’or, pelisse pareille garnie de fourrure noire, jetée sur l’épaule, et un grand sabre traînant derrière les petites bottes de maroquin rouge » ; rien n’y manquait.

Murat présenta l’enfant en riant aux personnes qui venaient chez lui. Mais la petite Aurore qui aimait déjà la liberté était bien plus heureuse lorsque ayant quitté ce brillant uniforme, elle revêtait le costume espagnol que l’on portait alors, « robe de soie noire bordée d’un grand réseau de soie qui prenait au genou et tombait en franges jusqu’à la cheville, et la mantille plate en crêpe noir, bordée d’une large bande de velours ».

Ce fut là aussi, sur la terrasse, qu’elle connut les premières joies de la solitude pour rêver, jusqu’au jour où tout à coup, ressentant la peur de cette solitude, elle appela le domestique de son père qui lui servait de bonne d’enfant. Une voix répéta « Weber ». L’enfant, intriguée, chercha qui pouvait parler, qui répétait le nom qu’elle venait de prononcer. Elle recommença, appela sa mère cette fois, puis dit son propre nom : chaque fois la voix mystérieuse répondait les mêmes paroles.

Elle cacha cette étrange aventure à sa mère jusqu’au moment où celle-ci surprit l’enfant appelant toute seule sur la terrasse ; elle lui apprit alors que c’était l’écho qui lui répondait. Aurore n’était plus seule ; elle avait trouvé un ami, un compagnon de solitude : l’écho. Il devint son autre elle-même ; elle l’appelait « son double ». Combien de fois dans l’avenir le chercha-t-elle dans sa solitude morale, dans son amour de la rêverie, dans son grand besoin de découvrir son pareil.

De retour en France, à travers feu et sang, couchant dans les camps, elle revint chez sa grand-mère à Nohant, maison seigneuriale où elle devait passer la plus grande partie de sa vie. Mais la mort subite de son père (17 septembre 1808), tué d’une chute de cheval, à cent mètres du pont du Lion d’Argent, en revenant à Nohant dans la nuit, fut le début d’une longue crise de chagrin. L’éducation de l’enfant devint une cause de mésentente entre la grand’mère et sa belle-fille dont l’éducation et la nature étaient si différentes l’une de l’autre.

Aurore dut entrer au Couvent des Dames anglaises » où elle fut adoptée et chérie de tout le monde ; son développement fut celui des jeunes filles de l’aristocratie de cette époque. Cependant, en dehors des jeux où elle était la plus endiablée, en dehors des comédies où elle était la meilleure interprète, où elle adapta même une pièce de Molière avec une grande liberté enfantine sans doute, elle portait en elle son âme ardente et mystique qui la jeta dans une dévotion qui l’inclinait à désirer prononcer ses vœux. Son exaltation religieuse que son confesseur et la mère Alicia combattaient doucement, effraya sa grand-mère qui sortit de sa retraite du Berry pour venir l’arracher du couvent.

George Sand en 1837. Dessin (colorisé) de Luigi Calamatta

George Sand en 1837. Dessin (colorisé) de Luigi Calamatta

Cette fois, Aurore revint en larmes à Nohant. Elle regrettait ses compagnes et la douceur de la vie monacale. II fallut l’intelligente bonté de Msup>me Dupin de Francueil pour reprendre de l’empire sur la jeune fille qui retrouvait avec tristesse les luttes morales entre sa grand-mère et sa mère. Elle les aimait également, mais Aurore de Saxe sut éveiller dans sa petite-fille un côté atavique intellectuel qui fit de rapides progrès sous sa bonne influence et donna à Aurore le désir d’élargir ses connaissances pour mériter l’affection de la grande dame qui l’adorait.

Elle devint bientôt sa garde-malade, Mme de Francueil, étant atteinte de paralysie ; avec son caractère généreux et altruiste, la jeune fille passa son temps au chevet de sa grand-mère. Pendant la nuit elle lisait, tout en la veillant ; elle entourait de soins la pauvre femme qui déclinait. Ce fut le vieux précepteur de Maurice Dupin, devenu le régisseur des biens de Mme de Francueil, qui secondait la jeune fille dans les soins qu’elle donnait à sa grand-mère.

En voyant combien Aurore se fatiguait, Deschartres lui ordonna de prendre des exercices physiques, de monter à cheval, de ne point s’enfermer jour et nuit auprès de la malade. Il traitait Aurore comme il avait traité son père, c’est-à-dire en garçon ; il lui fit revêtir des vêtements d’homme pour le suivre à la chasse dans les champs labourés. Du reste, c’était une mode assez souvent suivie pour passer inaperçue ou pour voyager.

Aurore, entre la lecture des philosophes, l’inquiétude que lui donnait la santé de sa grand-mère chérie, les promenades obligatoires, l’activité d’un esprit ouvert et passionné pour la vérité, se développa presque seule. Son extrême sensibilité exaltée par sa nature, tantôt d’une mélancolie extrême, tantôt d’une exubérance juvénile, ressentit une seconde fois l’horreur de la séparation ; sa grand-mère mourut, confiant sa direction morale à la famille paternelle d’Aurore, désirant, par là, contre-balancer l’influence et le caractère de sa belle-fille.

Mais lorsque ses parents, après la mort de Mme de Francueil, mirent la jeune fille en demeure d’abandonner sa mère et de la renier, celle-ci, obéissant à son esprit de justice, à son besoin d’équité, à son cœur tendre, à la noblesse de son caractère, préféra l’oubli et les anathèmes de ses parents nobles plutôt’ que de commettre une vilenie.

Elle n’en fut pas récompensée ; sa mère tout en l’aimant, la fit durement souffrir par son caractère emporté et souvent injuste. C’est ainsi que ne sachant pas gouverner sa fille, elle la conduisit chez les Duplessis, famille agréable où elle rencontra celui qui devint bientôt son mari.

Casimir Dudevant était un jeune officier en non activité, fils du colonel baron Dudevant, descendant éloigné de la famille écossaise de Law. Les deux jeunes gens avaient éprouvé l’un pour l’autre une sympathie presque amicale, une confiance réciproque qui les aiderait longtemps dans le mariage à conserver l’un pour l’autre une affection qui devait préserver leur foyer jusqu’au moment où les défauts de Casimir augmentèrent de telle sorte que sa femme ne put les supporter davantage.

C’est après avoir renoncé au bel amour réciproque avec Aurélien de Sèze, d’un commun accord sacrifié au devoir, qu’Aurore, ayant senti toute la différence de goûts et d’aspirations qui existait entre elle et Casimir, chercha, en écrivant, à rendre sa vie plus supportable.

Après une entente avec son mari, elle partit pour Paris, emmenant sa fillette, tandis que son fils Maurice entrait au collège. Elle débuta dans la littérature en collaboration avec Jules Sandeau, camarade berrichon pour lequel elle eut ensuite une affection qui finit par une cruelle déception. Le nom de George Sand qu’elle prit pour écrire, était né de chagrins domestiques et d’une rupture littéraire. Elle eut bientôt un brillant succès avec Indiana, puis avec Valentine, Lélia, le plus grand chef-d’œuvre littéraire féminin, mélange de philosophie, d’amour, de passion, d’un style romantique et d’une majesté de composition rare, qui la mit au premier rang de tous les écrivains de son époque.

Elle rencontra vers ce moment-là Alfred de Musset, qui l’admirait. D’un caractère très différent du sien, et d’une valeur tout autre, il s’éprit d’elle. La passion qu’ils éprouvèrent l’un pour l’autre leur fit croire un instant au bonheur pour les déchirer ensuite. Le travail, l’amitié qui accompagnait toujours chez George, même les pires désillusions ou les pires chagrins, joints à son amour profond pour ses enfants, l’aidèrent à surmonter l’envie du suicide dans le dénouement de cette union malheureuse.

Maurice Sand (1823-1889). Dessin de Luigi Calamatta

Maurice Sand (1823-1889). Dessin de Luigi Calamatta

Mais, après cette nouvelle épreuve, elle ne voulait ni ne pouvait se plier à la vie conjugale depuis longtemps terminée de fait : elle plaida en séparation. Les torts de son mari furent reconnus : elle garda ses enfants. Son fils Maurice fut la consolation de sa vie par son affection et ses hautes qualités. Tandis que sa fille Solange fut la source d’une angoisse perpétuelle. Son caractère était fantasque et malintentionné.

George Sand était belle, d’une beauté brune et pâle, étrange à cause de ses grands yeux profonds presque noirs, mats et veloutés. La bouche était bien dessinée, ni charnue, ni épaisse, mais pleine, sinueuse et moyenne. Son nez était d’une belle ligne, aquilin sans être bosselé, les narines délicates. Son front haut, légèrement fuyant, était pur, ses cheveux, ondés, bouclaient naturellement et encadraient d’un nuage sombre son visage allongé. D’humeur mélancolique, avec de brusques gaietés d’enfant, elle était irrésistible. Tour à tour animée, rêveuse, silencieuse, passionnée sous un aspect tranquille, triste jusqu’au désespoir, ne craignant rien, ni peine, ni fatigue, ni travail, ni désapprobation quand elle sentait qu’elle avait raison, elle fut la plus courageuse des femmes, et elle éleva sa vocation de romancière jusqu’aux plus hauts et aux plus nobles problèmes de l’humanité.

Philosophe et « troubadour », elle fit entendre pendant un demi-siècle la voix de ses sentiments généreux, de son âme indépendante. Jacques, si plein d’elle-même, de son émoi, profond et intime ; Le Marquis de Villemeir, Mauprat : le roman d’un seul amour au cœur d’un homme ; Claudie, chef-d’œuvre pastoral, puis Consuelo, Les Maîtres sonneurs, où l’art musical tient la première place ; Le Péché de M. Antoine, Valentine, Jean de La Roche, Le Compagnon du Tour de France, où elle exposait sous un tour romanesque les idées sociales qui se réalisèrent plus tard. L’Homme de Neige, La Comtesse de Rudolstardt, Les Beaux Messieurs de Bois-Doré, unissent de brillantes aventures à la psychologie humaine à travers l’histoire.

Si son style admirable s’est teinté dans certaines œuvres de la couleur de l’époque romantique, il reste malgré ce reflet de l’ambiance l’expression magnifique d’une nature rare, d’un maître génial. On lira toujours Sand parce qu’elle exprime ce qu’elle était elle-même : l’amour, l’intelligence et la bonté. Ce qui caractérise encore la grande George, c’est l’ampleur et l’indépendance de ses idées, c’est aussi la simplicité de son génie. Elle fut l’amie de tous les artistes et de tous les écrivains célèbres de son temps qu’elle devançait ou dépassait par l’ardente aspiration de son cœur altruiste et par son intuition de l’avenir.

Douée pour la compréhension de toutes choses, elle aimait et connaissait la musique, l’histoire naturelle, le dessin, la peinture, les menus soins du foyer. Elle fut non seulement l’amie des écrivains et des poètes, mais aussi des musiciens, de Liszt, de Meyerbeer et de Chopin avec lequel un long attachement fut rompu par des raisons en dehors du sentiment des deux amis. Les peintres et les graveurs Charpentier, Couture, Calamatta, furent ses hôtes assidus ; Delacroix la visita souvent à Nohant et devint le maître de Maurice, fils de George Sand, tandis que Calamatta, le célèbre graveur d’Ingres et de la Joconde, donnait Lina, sa fille, en mariage à Maurice. Alexandre Manceaux gravait le portrait de George Sand par Thomas Couture, et l’ouvrage remarquable de Maurice Sand : Masques et Bouffons. Eugène Lambert, Villevielle Leleux, Véron, Castan, Cicéri, Théodore Rousseau, et d’autres, l’entouraient et la consultaient, tandis que Clésinger, le célèbre sculpteur du Second Empire, épousait sa fille Solange.

Un cénacle, illustre ne cessa d’admirer et d’estimer George Sand. Victor Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Lamennais, Balzac, Théophile Gautier, les Dumas, Ernest Renan, Gustave Flaubert, Fromentin, Berthelot, Marie Dorval, Bocage, la Malibran, Béranger, Berton, Mme Viardot, Mme Arnould-Plessy, Sarah Bernhardt, Mme Worms-Barretta, tous les illustres artistes dramatiques aussi bien que les créateurs, la vénéraient et l’aimaient. Elle encouragea Anatole France, Alphonse Daudet, Émile Zola ; partout où elle rencontrait le talent, elle le louait, le soutenait et lui portait l’amour désintéressé d’un véritable apôtre. Sa générosité égalait son pouvoir de création.

Elle gagna une fortune, non pas en se jouant comme d’aucuns pourraient le croire, mais par l’assiduité d’un labeur constant qu’elle ne se permettait jamais de différer ou d’interrompre ; elle avait ses enfants a élever, avec eux beaucoup d’enfants adoptifs, sans compter les autres secourus qu’elle avait pris sous sa protection. Elle alimenta donc du gain de son œuvre ceux qui avaient besoin d’elle et ne garda presque rien : elle ne donnait pas seulement son cœur, sa fortune, son intelligence et son amour, elle donnait son idéal à l’humanité.

Une telle individualité ne pouvait pas se borner à célébrer dans ses œuvres l’amour et les aventures romanesques, elle avait un vol d’une trop large envergure pour ne pas agrandir son champ d’action : elle chercha donc à exalter le dévouement sous toutes ses formes pour améliorer les conditions de la vie. Tous les problèmes sociaux l’intéressaient, et son génie serait reproché de ne pas contribuer au bien que son âme désirait.

Maison de George Sand à Nohant-Vic (Indre). Timbre émis le 9 septembre 2013 dans la série Patrimoine de France. Dessin de Stéphane Humbert-Basset

Maison de George Sand à Nohant-Vic (Indre). Timbre émis le 9 septembre 2013
dans la série Patrimoine de France. Dessin de Stéphane Humbert-Basset

Si George Sand était une haute pensée, un grand écrivain et un philosophe, elle était aussi l’amante de la nature et des humbles. Ses romans champêtres furent de nouveaux chefs-d’œuvre après ceux qui la rendirent célèbre. Elle connaissait la vie des paysans. Elle les recréa selon son cœur : tels qu’elle les a dépeints, ils restent une création adorable.

Sa vie, souvent tourmentée par la recherche du compagnon qu’elle rêvait de rencontrer pour partager ses enthousiasmes et son idéal, ne l’empêcha jamais de penser à autrui avant de penser à elle-même. Elle sut se sacrifier, elle sut aussi sauvegarder son travail, et son indépendance d’opinion : elle n’usa jamais de ses droits à la recherche du bonheur personnel qu’après avoir rempli les nombreux devoirs qu’elle s’était imposés. Enfin, à ce cœur si féminin, si maternel, à cette intelligence si noble, elle sut ajouter une loyauté virile.

Avec sa famille, elle était aussi tendre, aussi jeune d’esprit dans sa vieillesse que pendant la période la plus mouvementée de sa vie sentimentale : elle avait en plus de ce feu intérieur qui la rendait si séduisante, une grande sérénité qu’elle avait conquise sur elle-même. Après avoir longtemps espéré rencontrer le compagnon de ses rêves, le soutien dans l’existence sur lequel on peut se reposer, elle avait vu peu à peu mourir cet espoir, mais un autre avait grandi auprès d’elle, s’était fortifié de ses déceptions mêmes, s’était consacré à son amour et était devenu une belle réalité : c’était son fils, Maurice.

Dans les dernières années de son existence, nous la retrouvons apaisée et sereine, sa destinée réalisée, son âme satisfaite, jouissant avant tout de son intérieur parfaitement heureux, dans sa retraite bien-aimée de Nohant. Elle aimait passionnément ce coin de terre paisible, milieu calme, humble et silencieux, tout plein du souvenir de sa grand-mère, où, selon ses souhaits, elle mourut et fut enterrée.

Sa famille se composait de son fils Maurice, pour elle ami tout autant que fils, de sa belle-fille, Mme Maurice Sand, née Talamatta, « sa perle de la maison », comme elle se plaisait, à l’appeler, et de leurs deux enfants, Aurore et Gabrielle. Ces deux charmantes créatures faisaient la joie de leur grand-mère qui disait d’elles : « Ces chers petits êtres sont tout dans la vieillesse, mais la vie se passe à trembler pour eux ! »

Cette dernière période de la vie de George Sand nous a été principalement révélée par la publication de sa correspondance, mais c’est le sixième et dernier volume qui nous fait assister au plein épanouissement de ses convictions, éclatant d’autant plus vives qu’elle se heurte partout à un débordement d’athéisme et de froid positivisme dont elle ne peut se consoler.

La foi en l’idéal devint pour elle un impérieux besoin en face de la ruine et du deuil de son pays, en la lugubre année 1870. Quel chemin de croix pour cette ardente patriote, pour cette âme humanitaire qui écrivait, navrée : « Cette boucherie humaine met mon pauvre cœur en loques ! » L’avènement de la République fut, pour George Sand, un court instant d’une joie effacée bien vite par les angoisses innombrables de ces longs mois d’épreuve ; ils firent tant saigner son cœur qu’elle se demandait s’il vivait encore.

Pourtant, ferme toujours, elle ne se laissa pas abattre et tâcha d’encourager les autres. « La vie est si lourde pour les. hommes, à présent, écrivait-elle le 22 février 1871 à Mme Edmond Adam, que les femmes leur doivent de ne pas ajouter à leurs craintes et à leurs chagrins. » Cette fermeté lui devint plus difficile lorsqu’aux désastres de la guerre succédèrent ceux de la Commune. Il lui fallut lutter contre de vraies crises d’abattement, ce qui lui faisait écrire plus tard : « Je ne veux pas être découragée, je ne veux pas renier le passé et redouter l’avenir, mais c’est ma volonté, c’est mon raisonnement qui luttent contre une impression profonde, insurmontable quant à présent. »

Le travail fut encore cette fois pour George Sand le remède héroïque ; il rendit non seulement à son esprit son élasticité et sa vigueur accoutumées, mais lui fournit le moyen de réparer des pertes matérielles et de répondre avec sa générosité habituelle aux appels faits à sa bourse, plus nombreux que jamais et jamais infructueux.

À l’âge de soixante-huit ans, elle se remit à travailler huit heures par jour, ayant retrouvé, écrivait-elle à Flaubert, « une santé de fer et une vieillesse exceptionnelle, bizarre même, puisque mes forces augmentent à l’âge où elles devraient diminuer. Le jour où j’ai résolument enterré la jeunesse, j’ai rajeuni de vingt ans. Tu me diras que l’écorce ne subit pas moins l’outrage du temps. Cela ne fait rien, le cœur de l’arbre est fort bon, et la sève fonctionne comme dans les vieux pommiers de mon jardin, qui fructifient d’autant mieux qu’ils sont plus racornis. »

C’est de cette époque que date la collaboration de l’énergique sexagénaire au journal Le Temps, avec la rédaction duquel son ami Charles Edmond l’avait mise en rapport. Elle lui envoya deux feuilletons par mois, sur des sujets très variés, inspirés par le plus pur patriotisme et n’ayant d’autre but que de contribuer au relèvement moral de la France. Ces articles se trouvent pour la plupart dans les deux volumes Impressions et Souvenirs et Dernières pages. Son charmant roman de Nanon parut aussi alors en feuilleton dans Le Temps, ainsi que les Contes d’une grand-mère et les Promenades autour d’un village. Quant aux autres, ce fut, comme par le passé, la Revue des Deux-Mondes qui en eut la primeur.

George Sand vers 1870. Gravure (colorisée) de Smeeton-Tilly

George Sand vers 1870. Gravure (colorisée) de Smeeton-Tilly

À tout ce travail de l’écrivain s’ajoutait une correspondance énorme, grossie d’envois considérables de livres et de manuscrits de jeunes auteurs. George Sand lisait tout, répondait à tout, toujours pleine de bonté et d’indulgence, sachant dire la vérité sans décourager, mais en démontrant la nécessité du travail et de l’effort pour arriver à produire une oeuvre bonne et belle.

Venaient enfin les heures de délassements que la bonne grand-mère, déchargée par son aimable belle-fille de tous les soins de l’intérieur, consacrait tout entières à sa famille et aux nombreux amis qui venaient, en été surtout, animer son hospitalière maison, et se nommaient Alexandre Dumas fils, Gustave Flaubert, M. et Mme Edmond Adam, Mme Arnould Plessy, Tourgueneff, Mme Viardot et ses filles, etc. Aux jouissances de la conversation s’ajoutaient celles de la musique et du théâtre qui passionnaient George Sand.

Le théâtre, le fameux théâtre de Nohant, organisé par Maurice Sand pour distraire et amuser sa mère, donnait alors ses plus belles pièces, et les spectateurs s’émerveillaient de l’entrain du directeur. Tout à la fois auteur, acteur, décorateur, lampiste, machiniste, il avait inventé un système nouveau pour mettre à lui seul trente marionnettes en scène et rendre le théâtre de « Balandard » digne de ses auditeurs et de sa renommée.

Mais par-dessus tout, les heures heureuses et reposantes étaient pour George Sand celles qu’elle vouait à l’éducation et à l’instruction de ses deux petites-filles, de l’aînée surtout qu’elle appelait : « Aurore, ma passion ! » Elle voulut elle-même lui enseigner à lire et à cet effet s’appliqua à la composition d’un abécédaire à propos duquel elle écrivait à Flaubert : « Te cherche à rendre clairs les débuts de l’enfant dans la vie cultivée, persuadée que la première étude imprime son mouvement sur toutes les autres et que la pédagogie nous enseigne toujours midi à quatorze heures. »

Quel excellent pédagogue devait être ce grand esprit possédant si bien les qualités morales essentielles de l’emploi : jeunesse d’esprit et amour de l’enfance ! Elle adorait les enfants dont le bruit et le mouvement, au contraire de la plupart des personnes âgées, étaient pour elle autant un besoin qu’un plaisir. On voyait sans cesse sa table de travail encombrée de poupées et de polichinelles ; elle travaillait au milieu des jeux de ses petites-filles, prenait part souvent à leurs joyeux ébats, et tous les soirs, avant de les envoyer coucher, 6e mettait au piano pour les faire danser.

Du reste, en lisant sa correspondance, il est impossible de croire à l’âge de George Sand : la jeunesse de son esprit, la vivacité de ses impressions, le font sans cesse oublier. Ce qui certainement contribuait à entretenir la vigueur physique de cette femme exceptionnelle, c’étaient les grandes courses à travers prés et bois qu’elle entreprenait à la suite de son fils, passionné de recherches entomologiques et dont nous trouvons une peinture charmante dans les Promenades autour d’un village. Puis, en été, elle se plongeait journellement dans les flots glacés de l’Indre, sans écouter son médecin, et en dépit d’une coqueluche gagnée auprès de ses petites-filles, et qui résista à un long séjour fait au bord de la mer, une de ses rares dernières absences de Nohant.

Cet âge, par contre, se trahit dans les pages intimes où George Sand épanche son cœur auprès de ses meilleurs amis, par l’expérience, la sagesse, la résignation, l’espérance qu’elle a acquises et qui lui ont enseigné à juger la vie d’une façon si sereine, si noble et si élevée.

Les injustices, les tristesses, les douleurs inévitables en ce monde ne la révoltent plus comme autrefois contre l’ordre social. Il ne faut ni maudire, ni mépriser la vie, dit-elle ; si le chagrin est bon à quelque chose, c’est à nous défendre de l’égoïsme. Plus loin, elle ajoute : « Je suis bien, bien patiente et j’empêche tant que je peux les autres de s’impatienter, tout est là ; l’ennui du mal double toujours le mal. Quand serons-nous sages comme les anciens l’entendaient ? Cela, en somme, voulait dire patients, pas autre chose. Il faut être patients un peu pour commencer, et puis, on s’y habitue ; si nous ne travaillons pas sur nous-mêmes, comment espérer qu’on sera toujours en train de travailler sur les autres ? » Et ailleurs : « Je ne sais rien de rien, qu’aimer et croire à un idéal », écrit-elle encore ; et plus loin : « Le bonheur, c’est l’acceptation de la vie quelle qu’elle soit ! »

Elle croit au progrès, malgré-tout ; y travailler pour soi et les autres, voilà le but de l’existence, pour lequel on trouve la force qu’on ne croyait pas avoir, « quand on désire ardemment gravir, monter un échelon tous les jours ». Il lui fallait aussi un grand courage, à la noble femme, alors que le vide se faisait de toutes parts autour d’elle, et qu’elle voyait disparaître les uns après les autres tant d’amis bien chers. « La vie, écrivait-elle en face d’une de ces pertes douloureuses, est une suite de coups dans le cœur. Mais le devoir est là, il faut marcher et faire sa tâche sans contrister ceux qui souffrent avec nous. »

Son énergie ne l’abandonna jamais et sembla augmenter à mesure que se montrèrent des souffrances indéterminées d’abord, mais qui finirent par faire reconnaître un mal chronique des intestins. Les crises devinrent plus aiguës et plus fréquentes, mais tout en les combattant, George Sand s’en tourmentait beaucoup moins que des névralgies dont souffrait son fils. La dernière lettre du dernier volume de la Correspondance est adressée à son médecin de Paris, Henri Favre. Il est curieux de voir comment la malade y rend compte de son état : « L’état général n’est pas détérioré, et, malgré l’âge (soixante-douze ans bientôt), je ne sens pas les atteintes de la sénilité.

« Les jambes sont bonnes, la vue est meilleure qu’elle n’a été depuis vingt ans, le sommeil est calme, les mains sont aussi sûres et aussi adroites que dans la jeunesse. Quand je ne souffre pas de ces cruelles douleurs, il se produit un phénomène particulier, dû sans doute à ce mal localisé : je me sens plus forte et plus libre dans mon être que je ne l’ai peut-être jamais été. J’étais légèrement asthmatique, je ne le suis plus ; je monte des escaliers aussi lestement que mon chien.

« Mais une partie des fonctions de la vie étant presque absolument supprimées, je me demande où je vais, et s’il ne faut pas s’attendre à un départ subit, un de ces matins. J’aimerais mieux le savoir tout de suite que d’en avoir la surprise. »

Deux jours après cette lettre, George Sand s’est alitée et après dix jours de souffrances, meurt le 8 juin 1876. Ses paroles dernières furent : « Laissez... verdure... pas de pierre, laissez pousser l’herbe. » Ce désir conforme à son amour de la nature, de la simplicité, fut suivi par ses enfants. Quand on l’enterra, un paysan des environs de Nohant s’approcha de la tombe et y déposa une couronne en disant : « Au nom des paysans de Nohant, mais pas au nom des pauvres ; grâce à elle, il n’y a plus de pauvre ici ! »

 
 
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