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Légende du véritable Lustucru raccommodant les têtes des mauvaises femmes

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Légendes, Superstitions
Légendes, superstitions, croyances populaires, rites singuliers, faits insolites et mystérieux, récits légendaires émaillant l’Histoire de France
Légende du « véritable » Lustucru
raccommodant au XVIIe siècle les
têtes des mauvaises femmes
(D’après « Revue de folklore français », paru en 1940
et « Histoire de l’imagerie populaire », paru en 1869)
Publié / Mis à jour le dimanche 30 mai 2021, par Redaction
 
 
Temps de lecture estimé : 6 mn
 
 
 
S’il nous arrive parfois de songer au personnage de Lustucru, nous l’évoquons à côté de celui de la Mère Michel, images burlesques associées à nos souvenirs d’enfance, mais limitées, somme toute, à cette histoire, car Lustucru ne figure ni dans les contes, ni dans les chansons. Lustucru demeurait donc dans le domaine de l’enfance, parmi les jouets en quelque sorte, il prenait rarement figure de Croquemitaine. Or Lustucru, au XVIIe siècle, était un forgeron imaginaire faisant « sortir les principes pernicieux » pétrissant certaines têtes féminines...

Lustucru, au XVIIe siècle, avait entrepris d’adoucir le caractère des mauvaises femmes. A l’époque où le réformateur proposa son remède, à la fin du règne de Louis XIII, les femmes se livraient à de grandes dépenses d’habits et de paroles ; le langage des précieuses tournait la tête des maris, comme leur amour des dentelles trouait la bourse des hommes. Tout ce qu’il y avait de mauvais dans la femme s’agglomérant dans sa tête, Lustucru proposait d’envoyer cette tête chez le forgeron et de la reforger à coups de marteaux, jusqu’à ce que l’ouvrier en fît sortir les principes pernicieux.

On trouve notamment trace de ce Lustucru au sein de trois pièces publiées en 1660 et intitulées : la première L’Ombre de Lustucru, apparue aux Précieuses avec l’histoire de Dame Lustucrue, la femme qui raccommode la tête des méchants maris ; la deuxième La lettre circulaire de Lustucru, envoyée par toutes les Provinces, contenant son heureux retour en ce monde, le lieu de sa demeure, le pouvoir qu’il peut avoir de rendre service à tout le monde ; la troisième La Plainte de Lustucru, constitué prisonnier par les Femmes, dans la Plaine de Long-Boyau, avec son testament et Déclaration qu’il fait de son secret à tous ceux qui désirent rendre les Femmes bonnes, et son exil dans les Iles Plates.

Or Les Précieuses Ridicules de Molière furent jouées pour la première fois le 18 novembre 1659, et cette satire souleva grande effervescence dans tous les milieux : ceux dont on se moquait, et ceux qui se moquaient. Quoi d’étonnant si un pamphlétaire, l’année suivante, profita de cette agitation pour attaquer avec plus d’ironie ces Précieuses à qui il conseillait de « quitter cette vanité... ce certain langage entremêlé de galimatias... » ?

Les Précieuses Ridicules

Les Précieuses Ridicules

Cet écrit ne semblerait donc avoir qu’un intérêt purement satirique, mais à l’examiner de près, il en est tout autrement : Lustucru, puisque c’est lui ou son ombre qui s’adresse aux Précieuses, n’est pas un personnage quelconque, ni du XVIIe siècle seulement. Ecoutez-le nous révéler les secrets de sa naissance : « Le premier jour de ma naissance, j’étais aussi grand comme père et mère et plus fort que Samson ni Hercule ; je cassais la tête à quatre ou cinq sorcières pour en refaire de nouvelles, et j’appris même aux enchanteurs Merlin et Maugis les plus grands secrets de leur métier ».

Lustucru prend figure de colosse, de géant. Ce géant a une femme : « Ma chère épouse, Dame Lustucrue qui raccommode les têtes des mauvais hommes », tandis que lui a sa « forge pour raccommoder les têtes des mauvaises femmes... Voilà un secret non encore divulgué ».

Nous voici déjà loin des seules Précieuses, mais il y a plus : Lustucru continue sa harangue : « Nous sommes au temps de Carnaval, où vos galants et vos maris, et vous aussi vous allez en masque, tant le jour que la nuit. J’ai appris qu’il s’y commet mille désordres, fautes de bonne conduite.

« C’est pourquoi je vous veux donner de bons avis et conseils pour vous comporter dans les bals et les ballets et autres mascarades tant du Carnaval que du jour de Carême prenant... car ce sont des observations glorieuses et honnêtes pour les gens de condition, et qui ne sont point seulement inventées pour la canaille...

« Adieu, précieuses, précieux, je ne viens à vous que comme une ombre, dépourvue de son corps, mais j’espère de ressusciter un jour pour votre bien. »

Il n’est si pauvre Malotru
Qui ne trouve sa Malotrue
Aussi le bon l’Eusse-tu-crû
A trouvé sa l’Eusse-tu-crûe.

Peut-on trouver texte plus formel, plus convaincant ? Ce couple Lustucru ressemble comme un frère au couple du personnage de Carnaval, chaque conjoint ayant affaire au sexe opposé, intervenant dans les ménages pour sanctionner tous manquements au devoir. Le ménage Lustucru, comme les géants des cortèges, est un peu démesuré dans sa taille, ses propos, ses actes. Le massacre de Lustucru par les femmes, suivi de son exil, provoquent une complainte qui ressemble étrangement à ce que l’on chante à la mise à mort de Carnaval.

Dans le récit du XVIIe siècle, Lustucru semblerait une adaptation du Carnaval populaire au monde de la Cour où ces divertissements un peu rudes devaient paraître une agréable diversion aux passe-temps officiels. Les récits et les gravures de cette époque présentent toujours Lustucru comme un forgeron :

« Après avoir ôté tous mes outils, mes pinces, mes marteaux, mon charbon, mes allumettes, mon enclume. »

LUSTUCRU venant des Enfers
Vous voiré son service et ses fers,
Et mesme ses limes et sa forge
Et vous promet qu’en peu de jours
Vos femmes si elles suivent ces tours
Vous verseront le vin en gorge.

« Ainsi que j’ai une forge pour raccommoder les têtes des mauvaises femmes. »

Voici La Plainte de Lustucru dont une des gravures de ce temps, ayant pour titre Opérateur céphalique et publiée au sein du Recueil des plus illustres proverbes du graveur Lagniet, pourrait être l’exacte illustration :

Lustucru parle de son « admirable et incomparable secret » qu’il veut laisser à la postérité pour qu’elle en fasse un « bon et profitable usage » ; il fait ensuite allusion aux femmes dont il faut « amollir, adoucir ou polir les têtes », et ajoute « et si c’est pour les amollir d’ôter l’opiniâtreté, l’on se servira d’huile et cognée par proportion et selon la dureté de la tête, si c’est pour chasser le jalousie qui ordinairement se rencontre en ces espèces de métaux, l’on emploiera des yeux de taupe avec de la fleur de souci, de terme, et le rognon de mauvais escot, et bien battre et dissoudre le tout ensemble, après quoi on mettra un pain de soufre noir, deux drames de mercure froid dans un panier percé, et le mettrez au feu l’espace d’un clin d’œil et demi, puis mettrez la tête après en avoir ôté les cheveux les uns après les autres, peur de l’écorcher, et la tirerez soudainement, la mettant sur l’enclume, et avec des marteaux d’étoupes, tenant bien ferme le manche d’iceux, vous n’épargnerez vos forces dans un fructueux labeur, vous les conserverez après le plus que vous pourrez dans une bouteille de pelure d’oignon creux, crainte qu’elles ne s’esnantent, c’est tout ce que ma captivité et la rigueur de mes gardes me pressent présentement de vous déclarer ; car j’entends la poésie et les chaudrons, la marmite et les plats, les landiers et les broches, les cuisiniers et marmitons qui m’annoncent un exil sempiternel ».

Opérateur céphalique

Opérateur céphalique. Gravure parue dans le Recueil des plus illustres proverbes.

Sur la gravure ci-dessus, ayant pour titre l’Opérateur céphalique, vous voyez la forge rougeoyante, Lustucru tout à son travail : il tient une tête de femme dans une tenaille, tandis que ses aides brandissent des marteaux. Les têtes coupées, prêtes à être reformées, vous en voyez dans tous les coins de la forge. Au bas de l’homme qui en apporte dans sa hotte, on peut lire : « qui est chargé de fourberies », tandis que le singe à cheval sur le baudet a un panier « qui est chargé de malices ». Dans le côté, un homme passe une lime, une râpe sur une tête. Vous voyez les cargaisons de têtes, déchargées du bateau, dans le fond. Aux murs, aux solives, partout des têtes — ce jour-là il y avait eu bien des ménages à raccommoder !

La légende qu’on peut lire sous le titre Opérateur Céphalique, est la même, mots pour mots, que celle terminant la plainte de Lustucru :

Vous, pauvres malheureux que l’esprit Lunatique
Des femmes d’apresant faict touour enrager
Et qui ne croyez pas les voir jamais changer,
Amené les icy dedans nostre boutique.

De quelque qualité que leurs testes pusse estre,
Nous y mettrons si bien la lime et le marteau
Que la Lune en son plein fut elle en leur cerveau,
Au sortir de chez nous, vous en serez le Maistre.

Nostre boutique aussi n’est point jamais déserte,
L’on y voit aborder de toute nations
Toutes sortes d’estats et de conditions ;
Jour et nuit, en tout temps, elle demeure ouverte.

On ameine en vaisseaus, à cheval, en brouettes,
Sans intermission I’on nous faict travailler.
Nous n’avons pas le temps mesme de someiller,
Car, tant plus nous vivons, leurs testes sont mal faites.

Selon Tallemant des Réaux, « quelque folâtre s’avisa de faire un almanach, où il y avait une espèce de forgeron, grotesquement habillé, qui tenait une femme avec des tenailles et la redressait avec son marteau. Son nom était L’Eusses-tu-cru, et sa qualité médecin céphalique, voulant dire que c’était une chose qu’on ne croyait pas qui pût jamais arriver que de redresser la tête d’une femme. »

Ce L’Eusses-tu-cru ou Lustucru — la dernière orthographe ayant prévalu — était donc un personnage fictif chargé de continuer les plaisantes inventions du passé, peut-être le même qui avait déjà publié à Rouen le Discours facétieux des hommes qui font saler leurs femmes à cause qu’elles sont trop douces.

Quoi qu’il en soit, ce Lustucru peu galant fut puni. Pour populariser sa doctrine, il s’était servi de l’imagerie, il périt par l’imagerie. De nombreuses estampes furent lancées représentant le forgeron massacré par les femmes. Car voici maintenant le groupe des femmes qui va entrer en action (toujours comme dans la période carnavalesque). Elles se montreront de vraies furies, mais avouez qu’il y a de quoi crier vengeance : impossible de se retrouver avec ces têtes changées. En vrai corps constitué, elles font irruption dans la forge et saisissent Lustucru à la gorge.

Le Massacre de Lustucru

Le Massacre de Lustucru. Gravure parue dans le Recueil des plus illustres proverbes.

La gravure ayant pour titre Le massacre de Lustucru, parue elle aussi dans le Recueil des illustres proverbes et que vous voyez ci-dessus, vous donne de la punition infligée une idée plus frappante qu’une description. La légende dit ceci : « II nous est besoin et nécessaire pour notre repos d’ôter du monde cet ennemi de notre sexe, ce forgeron d’enfer que se veut mêler de reforger, polir et rabonnir nos têtes, pour contenter l’esprit bourru de nos jaloux maris, qui croient faire beaucoup de nous envoyer chez Lustucru. Ils ont beau dire, il n’y a point de secret qui nous puisse faire autre que nous sommes, c’est pourquoi, afin que désormais il n’y ait plus d’opérateur si impudent qu’il n’en soit jamais parlé, allons toutes mettre fin à une si glorieuse entreprise, donnons-lui cent coups, après sa mort, mettons-le en pièces, portons sa Diable de tête partout. Témoin de nos courages, allons mettre le feu au vaisseau qui vient. »

Puis voici la Complainte de Lustucru aux Maris Martyrs : « Messieurs, aurez-vous bien la main si lâche de laisser massacrer Lustucru, ce bienfaiteur de vos ménages, celui qui a tant pour reforger et rabonnir les têtes de vos méchantes femmes, quoi faut-il que j’aie tant voyagé pour découvrir ce rare secret et en être si mal récompensé. Songez donc à me secourir promptement, car si vous attendez ma mort, vous êtes perdus ; n’ayant plus de Lustucru, vos femmes vous feront enrager plus que jamais, ayant vu bien que mes cris sont perdus. Je suis accablé, ces Diablesses m’ont surpris. Adieu il n’y a plus de Lustucru. »

Une autre représentation de Lustucru est une reproduction d’un bois du XVIIe siècle, ni fin ni très délicat, mais très saisissant par son relief, par le mouvement des personnages. Cette planche, provenant d’une ancienne imprimerie normande au XVIIIe siècle, est remarquable par ses tailles naïves et farouches. A quel usage servait ce bois ? Serait-ce celui de l’almanach dont parle Tallemant des Réaux ?

Lustucru, d'après une gravure normande du XVIIIe siècle

Lustucru, d’après une gravure normande du XVIIIe siècle

Sa forme carrée donne à croire qu’il était imprimé en tête d’une feuille volante avec la légende au-dessous, que voici : « Maître LUSTUCRU, en compagnie d’un ouvrier, frappe à tour de bras une tête de femme qu’il tient avec des pinces sur une enclume et s’écrie je te rendrai bonne et à quoi le compagnon ajoute Maris, réjouissez-vous ». On remarquera qu’une autre tête de mauvaise femme se trouve sur le foyer de la forge, attendant que le forgeron lui fasse subir la même opération pour la rendre bonne également.

Un chercheur trouvera-t-il le chaînon qui reliera, dans la tradition de Lustucru, ces représentations du XVIIe siècle avec le simple épisode de la Mère Michel ? Faut-il voir en Lustucru une transformation de ces animaux fabuleux dont parlent les poètes du XVe et XVIe siècles : Bygorne et Chicheface qui mangent « les hommes qui font le commandement de leurs femmes » ou « toutes les bonnes femmes ».

 
 
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